Dans cet essai, M. Anouar Moghira propose un état des lieux aussi exhaustif que possible sur l’évolution récente de son pays, l’Égypte. Soixante ans de système politique corrompu et monolithique, ajouté à cela un centralisme étatique d’un autre âge auront en parti eu raison de la faillite du plus grand pays arabe demeuré à l’écart de l’autoroute de la mondialisation.
Originaire de Nubie, l’auteur est un ancien colonel de l’armée égyptienne expert des questions de défense, de stratégie militaire et des services de renseignements arabes devenu journaliste. Il dresse dans son livre une liste à la Prévert des maux et des défis dont souffre son pays : démographie galopante (en phase de transition), développement industriel inégal, urbanisation incontrôlée, sous-emploi et chômage endémique, etc. Trois fléaux majeurs retiennent son attention : la corruption endémique, l’insécurité qui mine le tourisme et les conséquences des dérives sectaires d’une société égyptienne gagnée en partie par le fanatisme religieux. Si cet essai très descriptif mobilise une abondante documentation, on regrettera le peu de place apportée à l’analyse des enjeux tout comme la recherche de solutions au malaise égyptien.
Aujourd’hui, les options divergentes qui s’affrontent sans cesse sur la scène gouvernementale interpellent tous les observateurs, l’Égypte est appelée à subir encore pendant quelques années cette période d’incertitudes et de turbulences. Si au plan politique les véritables changements démocratiques réclamés par le peuple depuis la révolution du 25 janvier 2011, ne sont toujours pas au rendez-vous, l’auteur mise sur une jeunesse que les événements récents ont rendue plus mature. Aussi, une piste de sortie de crise passerait selon l’auteur par la reconstruction de l’appareil d’État et des instances du pays, ainsi que la mise en place d’une véritable opposition institutionnalisée. Car c’est dans le cadre du multipartisme, que les Frères musulmans retrouveront selon lui leur place, tandis que pour l’heure l’armée maintient son rôle incontournable de « vigie de la nation ».
Au plan économique, le Caire poursuit ses grands projets d’infrastructures au canal de Suez, le pharaonique projet d’irriguer le désert de Nubie (Toshkâ) ainsi que les gigantesques possibilités qu’offrent les gisements d’hydrocarbures que recèle le sous-sol égyptien. Autant de projets compromis par les agissements des groupes djihadistes… Des vœux pieux donc, qui ne convaincront pas les lecteurs les plus sceptiques. Ce livre a toutefois le mérite de se pencher sur un aspect moins connu de la « question égyptienne » à savoir l’épineuse question de la répartition des eaux du Nil avec l’Ethiopie et les risques stratégiques qu’elle fait peser sur l’avenir du pays ainsi que la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis de l’étranger.
Mohammed Anouar Moghira, L’Egypte en marche, les atouts, les espoirs et les défis (1952-2015), l’Harmattan, 280p. 28€