Une campagne de financement collaboratif en ligne récolte des fonds pour publier « Walls of freedom », un livre de référence sur la révolution égyptienne. Retour sur un art rebelle qui incarne plus que tout autre l’aspiration à la liberté des Egyptiens
On croit que la révolution égyptienne s’est faite essentiellement sur les murs Facebook et autres réseaux sociaux. Mais elle s’est faite aussi sur de vrais murs, de pierres et de briques ceux-là, où s’expriment au jour le jour la rage, les désirs, les colères, les deuils, les espoirs, mais aussi les contradictions d’une révolution toujours en cours, et dont on a vu encore très récemment qu’elle était loin d’être essoufflée, mais loin, aussi, d’avoir atteint ses objectifs.
Une documentation artistique en temps réel des événements
De fait, tous les soubresauts de cette histoire en marche trouvent un écho presque instantané sur ces espaces d’expression de la voie publique, qui deviennent alors des murs de liberté. Ils ont un impact plus décisif que ce que l’on peut penser car ils créent une connexion immédiate avec les gens de la rue. Ces graffitis, du fait de leur force visuelle, sont souvent repris pour illustrer dans les médias des sujets sur l’actualité tourmentée de l’Egypte, mais ils sont rarement étudiés pour eux-mêmes, (à quelques notables exceptions près comme ici dans Le Monde). Ils vont faire l’objet d’un ouvrage exceptionnel – en anglais – à paraître l’année prochaine, documentant en images et en textes le formidable essor du street art révolutionnaire en Egypte.
C’est le résultat du travail de Don Karl et de Basma Hamdy, qui plus que de simples auteurs, se définissent eux-mêmes comme des « curateurs », ce qui semble approprié tant ce livre s’annonce comme un monde foisonnant de centaines d’illustrations, photos, reproductions d’œuvres mais aussi d’articles de décryptage. Don Karl est un artiste de graffiti, auteur et éditeur de Berlin. Il a notamment coécrit avec Pascal Zoghbi le livre « Arabic Graffiti » sorti début 2011 et qui est un ouvrage de référence sur l’émergence du street art dans le monde arabe. Basma Hamdy est une artiste et universitaire égyptienne spécialisée dans l’art et le design du Moyen-Orient. Depuis le début de la révolution, tous deux ont été impliqués directement sur la scène street art égyptienne, mais ont aussi en parallèle documenté cette explosion artistique.
50 photographes, 30 artistes et 20 articles d’analyse
C’est ce que propose de compiler « Walls of freedom » pour rendre compte d’un changement radical de l’expression artistique dans l’espace public en Egypte. Les textes comprendront à la fois des témoignages directs d’artistes eux-mêmes et également des analyses de la part d’activistes politiques, d’historiens, et même d’égyptologues. Après tout, les premiers graffitis de l’Histoire sont sans doute les hiéroglyphes sur les murs des temples de l’Egypte antique. Sans compter la tradition égyptienne de peindre sur les murs des maisons des heureux pèlerins, des représentations naïves de leur voyage à la Mecque. Les graffeurs égyptiens d’aujourd’hui font fréquemment référence dans leurs œuvres aux éléments de l’identité égyptienne, tels que la culture de l’Egypte pharaonique, ainsi qu’aux grandes figures historiques et populaires égyptiennes.
Outre ces traditions artistiques historiques qui jouent incontestablement un rôle, l’extraordinaire créativité de la scène graffiti égyptienne depuis 2011 peut s’expliquer d’après Don Karl, fin connaisseur du street art mondial, par l’élan exceptionnel d’énergie des premiers 18 jours de la Révolution qui ont transcendé tous les domaines, dont celui des arts. Ammar Abo Bakr, l’un des graffeurs les plus en vus de cette vague street art dit quant à lui qu’ « une Révolution jaillit toujours en réaction à la laideur », et c’est bien l’art finalement qui est capable de retranscrire la beauté de la Révolution.
« Walls of freedom » reflètera cette richesse artistique dans toutes ses dimensions, Don Karl précise qu’il n’est pas seulement financé de façon collaborative, mais les sources de ses contenus sont également collaboratives. Il était important à ses yeux que toutes les photos de graffitis soient replacées dans leur contexte chronologique et politique, avec des traductions de l’arabe et des analyses.
L’art contre l’oppression
Mais les graffeurs ne se contentent pas de « documenter » la révolution et les événements politiques du pays, leurs tags représentent aussi une forme d’activisme en soi, ou « d’artivisme » comme dirait l’artiste italien Michelangelo Pistoletto. De fait les graffeurs sont devenus des activistes influents, usant de la satire, de slogans, d’images visuelles fortes pour exprimer tour à tour leur rejet de Moubarak, de la police, du Conseil Suprême des Forces Armées, ou encore plus récemment de l’instrumentalisation de la religion en politique.
Le livre de Don Karl et Basma Hamdy couvrira près de 3 ans de révolution, incluant la présidence de Morsi et la période post-30 juin jusqu’en novembre prochain, et même une section sur le street art en Egypte avant la Révolution. Il se différencie ainsi des autres livres déjà parus sur le sujet qui se concentraient sur une période plus restreinte. Les graffitis se sont aussi emparés des sujets sociaux comme le harcèlement sexuel, le droit des femmes, d’acuité toute particulière en Egypte. C’est finalement le but du livre d’après Basma Hamdy, « montrer que l’art peut être une arme efficace pour lutter contre l’injustice et l’oppression ».
Ce livre permet aussi de rendre hommage aux artistes qui ont peint les murs en dépit des risques sur le terrain et bien souvent au milieu des gaz lacrymogènes, ainsi qu’aux photographes qui se sont également mis en danger pour prendre certains clichés. Ce fut le cas en particulier dans la rue Mohamed Mahmoud qui a vu se dérouler certains des affrontements les plus sanglants de la Révolution, et qui est pourtant devenue en même temps qu’un théâtre de violence, un mémorial street art à la gloire des martyrs tombés dans cette rue.
Les graffeurs savent que leurs œuvres sont éphémères, documenter leur travail, à un moment aussi crucial de l’Histoire du pays, n’en est que plus important, d’autant que certaines de ses œuvres majeures, dont la fresque collective des portraits de martyrs de la rue Mohamed Mahmoud, ou encore celle fameuse du « tank de l’armée vs le cycliste » du graffeur Ganzeer, ont déjà disparu sous la peinture fraîche des autorités.
Source : Aude Thepenier (www.lepetitjournal.com/le-caire) Lundi 22 juillet 2013
Contribuez au projet !
Le projet est rendu possible par une campagne de financement collaboratif sur la plateforme « Indiegogo ». Ce procédé de financement en pleine expansion permet de récolter des fonds directement auprès des internautes pour un projet auquel ils adhèrent, en échange de contreparties. Pour « Walls of freedom », les auteurs ont imaginé des contreparties très attractives, conçues spécialement pour l’occasion comme des produits dérivés issus du monde du graffiti : posters, tee-shirts, sacs, reproductions d’œuvres et même moyennant un budget plus conséquent, des œuvres originales de certains des artistes présentés dans le livre. Mais il y a aussi tout simplement le livre lui-même que l’on peut obtenir à partir d’une souscription de 40$, ce qui s’apparente finalement à un pré-achat traditionnel.
Cette campagne de financement a connu un tel succès que les auteurs sont en train de doubler la mise par rapport à leur objectif initial. Avec ces possibilités financières étendues, ils prévoient des améliorations sur le projet, telles que la qualité du papier et la sortie d’une édition moins onéreuse pour le marché égyptien. Et l’argent qui sera encore en extra sera consacré à soutenir les artistes de graffiti en Egypte et à financer des projets sur place, dont un grand festival de street art en Egypte en 2014 !
Campagne indiegogo en ligne :
https://www.indiegogo.com/projects/walls-of-freedom
Dépêchez-vous, plus que 3 jours pour participer et réserver votre exemplaire du livre en avant-première !
Crédits photos : droits réservés © « Walls of freedom »