La proposition russe de placer sous contrôle international les armes chimiques du régime de Damas a changé la donne. Au Moyen-Orient, la presse est partagée : coup de génie ou voie dangereuse dans laquelle il ne faut surtout pas s’engouffrer ?
« L’initiative russe de dernière minute a sauvé le monde d’une guerre qui s’annonçait globale, dangereuse et incertaine à plus d’un titre », s’enthousiasme Scarlett Haddad dans le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, précisant que « le coup de génie [de la proposition russe] est qu’elle permet à chacun des deux camps de se considérer comme victorieux ».
« Le président américain Barack Obama s’est empressé de dire que ce sont incontestablement les préparatifs de l’opération militaire qui ont poussé le président syrien à accepter la proposition russe », note la journaliste, qui fait également remarquer que « le régime syrien et son allié iranien disent à leur tour que cette proposition a offert une issue de secours au président américain, inquiet des menaces de riposte et soucieux de ne pas parvenir à convaincre l’opinion publique américaine ».
« Un délai supplémentaire pour tuer »
Autre son de cloche dans le quotidien panarabe saoudien Al-Hayat : « La proposition russe sauve Barack Obama. Depuis le début, il ne voulait pas se laisser entraîner dans une intervention militaire en Syrie. » Mais le journal reproche surtout à l’initiative de Moscou de « repousser à nouveau la décision, laissant à Assad un délai supplémentaire pour tuer son peuple. Sur le terrain, la révolution syrienne est abandonnée par l’opinion publique occidentale, qui ne voit que le danger des djihadistes et des extrémistes islamistes, mais qui n’est pas perturbée par le fait que le régime utilise ses Scud et son aviation de guerre contre sa propre population. »
Et Al-Hayat de s’étonner : « Soudainement, le régime syrien donne des visas d’entrée à tous les médias du “monde libre” afin de leur servir leur vision des choses. Ces derniers jours, alors que le régime syrien craignait des frappes américaines, les médias américains, britanniques et français se sont employés à convaincre l’opinion publique que ce régime n’y est pour rien et qu’il combat le terrorisme et Al-Qaïda. »
Il n’y a guère que Hollande et Fabius qui trouvent grâce aux yeux du quotidien : « Ils ont eu le courage d’afficher des sentiments humains devant une opinion publique hostile aux frappes, mais malheureusement le choix du président se heurte à des obstacles de pure politique intérieure. Quant à l’opposition de droite, elle est désespérante, avec ses manœuvres destinées à nuire à leur adversaire socialiste. Seul Alain Juppé a une nouvelle fois démontré sa stature d’homme d’État. »
Ne pas laisser les Russes s’imposer
Encore plus sévère, l’analyse d’un autre quotidien panarabe édité par les Saoudiens, Asharq Al-Awsat, qui déplore « la faiblesse américaine et internationale ». « Les Russes ont infligé aux Américains, et plus précisément au président Barack Obama, une leçon que ceux-ci n’oublieront pas. La région est en danger, d’autant que les Russes ont réaffirmé qu’ils étaient un acteur majeur au Moyen-Orient. C’est comme s’ils avaient permis à Damas de se réinsérer dans la normalité des relations internationales. »
« Pour ce qui est des Arabes, ou bien ils acceptent le jeu des Russes et d’Assad, et ils vivront avec une crise dont le prix sera exorbitant, ou bien ceux qui ont des moyens d’action décident de renverser la table », estime le quotidien. « Cela exige d’abord de poser des conditions drastiques pour l’acceptation de l’initiative russe, par exemple en invoquant le chapitre sept de la Charte des Nations unies. Et ensuite d’imposer le fait accompli sur le terrain. À défaut, cela voudrait dire que les Arabes acceptent que les Russes s’imposent comme puissance au Moyen-Orient, au seul bénéfice de l’Iran et d’Assad. »