Nous avons favorisé un chaos où le paravent démocrate a laissé place à des groupes religieux de plus en plus fanatiques.
Si la tragédie qui, depuis des années, se déroule de l’autre côté de la Méditerranée n’avait pas accumulé les souffrances et semé la mort, si ses prolongements n’avaient pas ensanglanté Paris et Bruxelles, le désarroi des commentateurs, leur flottement lexical et leur retournement progressif prêteraient à sourire.
Ce matin même, j’entendais une journaliste de BFM parler de la prise de Palmyre par la coalition.
Évidemment, le reportage plus précis faisait état de l’armée syrienne, soutenue par des milices chiites et par l’aviation russe. Ce n’était donc pas la coalition des Américains, des Saoudiens, des Qataris et des « Occidentaux » dont la France fait partie, et qui a refusé la main tendue par Vladimir Poutine. Comme il fait « le boulot », ils sont bien obligés d’aller dans le même sens et de clamer qu’ils ont tué des chefs de Daech pour compenser le fait que c’est l’autre camp qui mène l’offensive. Or, lors de l’apparition de l’État islamique, il était de bon ton de prétendre que c’était le criminel régime de Damas, grand massacreur de sa propre population, qui avait libéré les pires islamistes de ses prisons pour créer le monstre afin de faire diversion. La quantité de mensonges qui a été déversée par nos médias depuis 2011 donne le vertige. Encore aujourd’hui, ils ont du mal à trouver une ligne. Après avoir évoqué la coalition libérant Palmyre, c’est le même mot qui est employé pour désigner celle menée contre les Houthis chiites du Yémen par l’Arabie saoudite. En fait, celle-ci en est une troisième dirigée par nos grands alliés wahhabites, pour lesquels on privatise des plages publiques et à qui on remet des Légions d’honneur, qui agit au Yémen. Contre qui ? Non contre Daech qui s’y est implanté de même qu’Al-Qaïda, en profitant du désordre, mais contre les chiites soutenus par l’Iran, autrement dit contre ceux qui libèrent Palmyre, pour faire simple.
Le député Larrivé, bien tard d’ailleurs, énonçant un peu laborieusement les sept erreurs commises devant le danger djihadiste, dénonce le mauvais choix des alliances. Nous avons cru soutenir des démocrates épris de liberté afin d’implanter notre régime exemplaire en pays musulman. En fait, nous avons déstabilisé des situations politiques différentes des nôtres, autoritaires et donc fragiles. Nous avons favorisé un chaos où le paravent démocrate a laissé place à des groupes religieux de plus en plus fanatiques.
Nos alliés, la Turquie à l’histoire génocidaire et les royaumes wahhabites du Golfe, dont les régimes sont aux antipodes de notre droit et de nos valeurs, poursuivaient manifestement leurs propres objectifs. La Turquie fait la guerre aux Kurdes, objectivement nos alliés. L’Arabie saoudite fait la guerre aux chiites.. qui combattent Daech… Quant à Bachar el-Assad, qui entre-temps a été réélu président, il est loin d’être seul. Il conserve la maîtrise de la plus grande partie de la Syrie utile et protège donc, quoi qu’on dise, la majorité des Syriens. Il a derrière lui le parti Baas, l’armée et ses fidèles alliés iraniens, irakiens, libanais et russes. Dans les pourparlers de Genève, les Américains souhaitent que soit évoqué son départ. De quel droit ? Au nom d’une ingérence qui a montré ses limites et ses conséquences désastreuses ? Au profit de qui ? D’une faction pro-occidentale qui ne tient pas le terrain et qui conduirait inévitablement à un éclatement du pays semblable à celui qui s’est produit en Libye ?
*Homme politique français, ancien député
Boulevard Voltaire