Ancien diplomate et communicateur, Oussama Romdhani était chargé entre 2007 et 2010 de l’élaboration d’un rapport mensuel gouvernemental sur le terrorisme dans le monde. Face à la menace terroriste en Tunisie, il estime que « les appels à la création d’un “front uni” contre le terrorisme resteront un vœu pieux tant qu’un vrai processus de réconciliation nationale n’aura pas été mis en place. »
– Oussama Romdhani
Dans le papier qu’il publie dans le « World Affairs Journal », il estime que rien n’illustre mieux l’évolution du danger terroriste en Tunisie que les opérations terroristes menées simultanément le 16 juillet à Mont Chaambi contre deux cibles militaires tunisiennes. L’attaque a fait 15 morts et une vingtaine de blessés parmi deux groupes de soldats tunisiens, qui se préparaient à rompre le jeune pendant le mois de Ramadan. Un seul élément terroriste a été par contre tué. Ce bilan, remarque Romdhani, est « le plus lourd jamais subi par l’armée tunisienne dans une opération de ce genre depuis l’Independence ». Pour la première fois, aussi, remarque-t-il, les terroristes ont usé de lance-roquettes antichar (ou RPG) contre des cibles militaires tunisiennes.
Le surgissement d’AQMI
L’auteur estime que le véritable tournant s’était opéré en Mai dernier, lorsqu’un groupe armé a attaqué le domicile familial du ministre de l’intérieur Lotfi Ben Jeddou à Kasserine, causant la mort de quatre agents de sécurité. Aucune perte humaine n’a été enregistrée du côté des assaillants. A l’issue de cette attaque, Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) a pour la première fois depuis la chute du régime de Ben Ali en 2011, réclamé la paternité d’un acte terroriste en Tunisie. Dans sa déclaration, l’AQMI a mis en garde les autorités tunisiennes contre « le cout élevé » que comporterait une “guerre ouverte » que mènerait le gouvernement « en vue de satisfaire l’Amérique, la France et l’Algérie ”.
Selon l’auteur, les deux attentats de Juillet et de Mai ont reflété un changement dans le mode opératoire des djihadistes en Tunisie. « Leurs attaques n’auraient pas été possibles sans un plus haut niveau de préparation tactique, notamment en matière de collecte de renseignements, et une plus grande synchronisation des opérations entre Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et les membres du groupe ultra-salafiste local Ansar Al Chariaa de Tunisie”.
Les victimes du terrorisme en Tunisie ne se comptent plus depuis la chute de l’ancien régime
Les réseaux sociaux à contribution
Plus que toutes les activités terroristes précédentes en Tunisie, les deux attaques étaient caractérisées par la recherche du “spectaculaire” et des effets de propagande. En plus de la déclaration de responsabilité publiée par l’AQMI, les assaillants ont « irrigué » les réseaux sociaux (à partir de la mi-juillet) de photographies et de messages vantant “la bravoure” des combattants djihadistes. Par le timing des attaques exécutées en Juillet 2014 (ainsi que celui de l’embuscade meurtrière de janvier 2013), les groupes terroristes opérant au Mont Chaambi ont tenté d’exploiter “la symbolique religieuse” du mois sacré des musulmans et de l’anniversaire de la bataille de Badr, menée au cours du mois de Ramadan 624 (ap. J-C) par le Prophète Mohamed. Il est par ailleurs significatif que la responsabilité des attaques contre les soldats de l’armée tunisienne ait été attribuée par l’AQMI à une “brigade” portant le nom de “Okba Ibn Nafaa”, général musulman qui avait dirigé la campagne pour la conquête du Maghreb en 670 (ap. J-C).
En analysant les raisons derrière l’aggravation du problème terroriste en Tunisie, l’auteur met en exergue l’enchevêtrement de facteurs régionaux et internes. Il estime que les groupes terroristes dans la région ont exploité un certain nombre de facteurs favorables dont notamment l’anarchie régnant en Libye depuis la chute du régime de Kadhafi et la perméabilité continue des frontières, qui a permis un trafic d’armes de tous genres vers la Tunisie.
Complots régionaux
Avec la détérioration de la situation sécuritaire en Libye, plusieurs dirigeants gouvernementaux et politiques ont mis en garde les Tunisiens contre les risques de « complots régionaux » qui viseraient à entraver la bonne marche des élections présidentielle et législative prévues en automne. Certains analystes, note l’auteur, spéculent même qu’Al Qaida au Maghreb Islamique chercherait à intensifier ses actions “spectaculaires” pour damer le pion aux sympathisants de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui chercheraient à la concurrencer en Afrique du Nord.
Romdhani souligne cependant que les racines du mal terroriste à l’intereur du pays sont désormais mieux reconnues par les responsables et les experts tunisiens, surtout après l’attaque du 16 juillet. Partout on s’accorde à dire que même le “danger régional” que pourrait encourir le pays serait lié en fait au rôle prépondérant joué par les éléments tunisiens au sein des différentes filières terroristes à l’extérieur du pays. Les chiffres officiels parlent de pas moins de 8.000 candidats au djihad empêchés de quitter la Tunisie en 2013. Beji Caid Essebsi, dirigeant de Nida Tounes, principal parti « moderniste » tunisien, a récemment rappelé aux téléspectateurs que 11 des terroristes qui avaient attaqué en Janvier 2013 l’installation gazière algérienne de In Eminas étaient de nationalité tunisienne.
Le gouvernement intérimaire de Mehdi Jomaa chercherait en fait à tarir les sources de soutien dont semblent bénéficier les terroristes à l’intérieur du pays, indique l’auteur. Les opérations de ratissage après l’attentat du 16 juillet ont couvert des zones de l’Ouest tunisien où les djihadistes tunisiens semblent jouir de complicités. Les autorités ont également décidé de suspendre les activités de plus de 150 associations soupçonnées de soutenir le terrorisme, de fermer 21 mosquées sous le contrôle des salafistes radicaux ainsi que des chaines de radios et de télévision opérant sans autorisation. Le ministre de la défense a de son côté reconnu que 25 des terroristes qui avaient attaqué le domicile du ministre Ben Jeddou en Mai dernier étaient originaires de Kasserine même. Les lacunes en matière d’équipement militaire et de stratégie de lutte anti-terroriste font aussi désormais partie du débat national. Romdhani écrit que la Tunisie a besoin d’un équipement militaire adéquat mais aussi “d’une approche sécuritaire intégrée” et d’une mise à niveau des efforts en matière de renseignements, de formation et de coopération internationale, et ce “afin de rattraper le retard accusé pendant une longue période d’hésitation à confronter le terrorisme.”
Union sacrée ou réconciliation nationale
L’auteur estime aussi que pendant les quelques mois menant aux élections le pays restera confronté au risque de nouveaux attentats terroristes. “Le cauchemar hantant les esprits des Tunisiens est de voir les terroristes substituer des cibles civiles dans les zones urbaines à leurs cibles sécuritaires et militaires actuelles”, écrit il. Selon l’auteur, la question terroriste est désormais entrain “d’émerger en tant que facteur de polarisation politique et élément déterminant de la prochaine campagne électorale”. Si les dirigeants d’Ennahdha, principal parti islamiste du pays, se plaignent de la « manipulation injuste” de cette question à leur dépends, les politiciens et commentateurs libéraux et de gauche font assumer aux islamistes la responsabilité de l’aggravation du problème, remarque-t-il.
D’autres voix se sont élevées pour prôner une « union sacrée » face au péril terroriste, sans considération des appartenances partisanes ou politiques. Romdhani estime cependant que « les appels à la création d’un “front uni” contre le terrorisme resteront un vœu pieux tant qu’un vrai processus de réconciliation nationale n’aura pas été mis en place. »
La version originale cet article est accessible sur : https://www.worldaffairsjournal.org/article/terror-and-politics-tunisia?
–