En ne s’attardant que sur le phénomène de milliers d’immigrants clandestins venus des côtes libyennes et turques se noyer en Méditerranée, versant sans compter des larmes sèches sur les victimes, les « bien-pensants » européens évitent jusqu’ici de poser la question qui fâche : qui en est responsable ?
Peu avant d’être renversé, Mouammar Kadhafi avait pourtant prévenu ses tombeurs : « Je veux bien me faire comprendre : si on menace, si on déstabilise, on ira à la confusion, à Ben Laden, à des groupuscules armés. Voilà ce qui va arriver. Vous aurez l’immigration, des milliers de gens qui iront envahir l’Europe depuis la Libye. Et il n’y aura plus personne pour les arrêter. Ben Laden viendra s’installer en Afrique du Nord et laissera le mollah Omar en Afghanistan et au Pakistan. Vous aurez Ben Laden à vos portes […] vous aurez le terrorisme, des actes de piraterie aux portes de la Méditerranée, à 50 km des frontières de l’Europe. »
Ce message quasi-prémonitoire paraît juste un brin optimiste : ce n’est pas Ben Laden qui est venu s’installer sur les rivages de l’Europe-forteresse, mais Al-Baghdadi, l’auto-proclamé calife de l’État islamique, qui fait passer le fondateur d’Al-Qaïda pour un « modéré » !
Tout le monde savait que le renversement par la force de Kadhafi aurait des conséquences désastreuses sur le plan humain, géopolitique, sécuritaire et économique. Mais Sarkozy, Cameron et l’ancienne secrétaire d’État américaine Clinton, inspirés par l’imposteur Bernard-Henri Lévy (BHL), avaient réussi à entraîner l’Europe atlantiste dans cette abomination pour des raisons douteuses, liées – au moins pour l’ancien président francais – à des intérêts occultes et personnels qu’il revient à la justice d’élucider. Toute cette expédition néocoloniale criminelle a été justifiée par des mensonges grossiers. À savoir, comme continue à le répéter honteusement l’ancien conseiller de Sarkozy, Henri Guaino, aujourd’hui député UMP des Yvelines : la France était « devant un choix tragique : soit laisser massacrer un million d’habitants à Benghazi, soit intervenir ». Il faut une dose inégalable de cynisme pour soutenir cette baliverne, surtout après le mensonge qui a été utilisé par les néoconservateurs américains pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003, « afin de sauver l’humanité des terribles armes de destruction massive »… qui n’ont jamais existé.
Aujourd’hui, le peuple libyen, « libéré de la dictature de Kadhafi », est la proie des organisations mafieuses et terroristes qui l’oppriment, le massacrent, le saignent sans que les belles âmes sensibles en Europe ne bougent le petit doigt pour courir à son secours. La Jamahiriya de Kadhafi offrait à quelque trois millions d’Africains un travail et un revenu décent, malgré les vexations dont certains étaient les victimes. Avec la dislocation de cet immense pays, ils ont dû quitter l’eldorado libyen, subir des massacres par les nouveaux « démocrates » libyens définis par BHL comme des « laïcs ». Une partie de ces anciens immigrés africains et arabes qui avaient fui l’enfer libyen sont rentrés dans leurs pays d’origine pour y aggraver la crise économique et le chômage ; d’autres ont rejoint les milices libyennes et les groupes terroristes qui sèment la désolation dans ce pays ; d’autres enfin ont tenté leur « chance » vers l’Europe sur les bateaux de la mort…
Alors qu’on n’a pas encore fini de compter les cadavres de ces noyades en série d’Africains, de Syriens, de Palestiniens, et d’autres victimes de guerres civiles, de la misère et de l’effondrement provoqué de leur pays, voilà qu’une radio dite de « service public », France Inter, tend complaisamment le micro à BHL, non pas pour lui demander des comptes, mais pour lui permettre de répéter ses sornettes sans être contredit. « La source de cette abomination qu’est cette hécatombe en mer, qu’est cette transformation de la Méditerranée en cimetière, la source, a-t-il osé affirmer sans faire broncher son interlocuteur, c’est la non-intervention en Syrie, c’est le collapse en Somalie et c’est la dictature en Érythrée. » Rien moins que ça !
Le président socialiste François Hollande, lors du sommet exceptionnel de l’Union européenne, convoqué en urgence à Bruxelles pour trouver une solution non pas à cette hécatombe, mais aux moyens d’empêcher ces milliers de réfugiés de s’installer en Europe et de les refouler « avec humanité » vers leur enfer d’origine, a surpris en déclarant : « Il y aura toujours cette cause terrible qui est le fait que ce pays [la Libye] n’est plus dirigé ; il n’est même plus gouverné, il est dans le chaos. La question, c’est de savoir comment se fait-il qu’après une intervention il y a maintenant plus de trois ans et demi, il n’y ait eu aucune réflexion sur ce qui devait se passer après. Alors, maintenant il s’agit de réparer les erreurs d’hier. » Mais il oublie d’ajouter que ces erreurs étaient collectives, les socialistes ayant applaudi des deux mains cette guerre d’agression.
Pour réparer non seulement les « erreurs du passé » mais aussi celles d’aujourd’hui, il est urgent d’arrêter de jouer au pompier pyromane, de s’allier à la Turquie pour déstabiliser la Syrie, ou à l’Arabie Saoudite pour enfoncer le Yémen dans le chaos. Les pays du Sud n’ont pas besoin de larmes de crocodile. Ils ont besoin qu’on cesse de les défaire pour… en faire des pays exportateurs de réfugiés !
À lire dans Afrique Asie du mois de mai.