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Rarement dans un pays cerné par une menace propice à l’enfermement, le processus démocratique, synonyme de dialogue et de compétition pacifique conclus dans les urnes, n’a été entretenu avec autant de soins qu’en Algérie. Depuis 18 ans, après l’accession au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika, les scrutins se sont succédé en temps et en heure sans aucune interruption, jalonnant solidement les étapes de la démocratisation du pays. Malgré les contestations et les manœuvres subalternes, parfois, la démocratie algérienne en est sortie renforcée. Elle est restée sourde aux « printemps arabes », fabriqués de toutes pièces dans des officines étrangères, qu’elle a pu traverser sans encombre ni dommages.
L’islam politique vaincu par les idées et les armes
L’Algérie revenait de loin pourtant. Pendant plus de 10 ans, elle avait subi une offensive sans nom pour l’établissement d’un prétendu « État islamique », à partir d’une exégèse délirante d’un islam accommodé à des sauces politiques empoisonnées. Elle a triomphé, dans la solitude, de l’assaut de ces « Afghans » barbus, vêtus d’un accoutrement exotique d’un autre âge, à l’issue d’une décennie de sacrifices et de souffrances. La résistance des démocrates du pays, de ses universitaires, de ses femmes, a été remarquable. La résilience de la société autour de ses constantes nationales régénérées ne le fut pas moins. La bataille s’est ainsi terminée par une cuisante défaite idéologique et militaire de l’islam politique, et par une réconciliation nationale fondée sur la repentance des égarés dont les mains n’étaient pas tachées de sang, et le pardon des vainqueurs. Mais sans l’oubli.
Le processus de concorde a été initié et mené à son terme par le président Abdelaziz Bouteflika, qui s’est engagé simultanément à asseoir les fondements de la démocratie en ouvrant largement la voie à l’expression libre des courants politiques autrefois étouffés.
L’exercice démocratique, d’abord hésitant, s’est bien enraciné dans le pays à l’occasion des scrutins présidentiels, législatifs, départementaux et communaux. Malgré des taux d’abstention encore élevés, le retour de la confiance a amené les électeurs de plus en plus nombreux à se rendre aux urnes. Les appels stériles au boycott, fonds de commerce habituel des mouvements marginaux multipliant le buzz pour exister, se sont raréfiés.
Le 4 mai, la quasi-totalité des partis reconnus a présenté des candidats, confortant ainsi la légitimité du scrutin. Résultat d’une politique de scolarisation massive et continue depuis plus de 50 ans, le corps électoral s’est rajeuni, féminisé et largement urbanisé. Son niveau culturel s’est considérablement élevé, donnant naissance à une société politique nouvelle, émergeant autour de thématiques inédites depuis l’indépendance. Les débats sont plus sereins, malgré les menaces qui encerclent le pays à ses frontières et les manipulations venues de l’étranger, relayées sur place par quelques agitateurs déconnectés des réalités nationales.
La force des institutions et du modèle économique
L’Algérie est sans doute l’un des pays les plus politisés du Maghreb et du monde arabe, en raison de son histoire tragique de résistance au colonialisme d’abord, puis à l’islamisme politique ensuite. Elle a atteint un solide consensus concernant la vision que la société peut avoir de son avenir. Ce dernier est désormais consigné dans un nouveau modèle en cours d’émergence. Sur le plan politique et institutionnel, il s’articule autour du respect des constantes nationales, des libertés collectives et individuelles et de la promotion d’une démocratie responsable, décentralisée.
S’agissant de la stratégie économique, il se décline dans la mise en place d’une économie sociale de marché et l’accélération de l’après-pétrole : réindustrialisation, raffermissement de l’agriculture et du tourisme, et promotion d’une économie de la connaissance dans le cadre d’une mondialisation maîtrisée.
L’ambition des autorités est de « bâtir une économie productive et compétitive », assurant un développement durable, dans le cadre d’une justice sociale qui reste la pierre d’angle des politiques économiques allant à l’encontre de la doxa ultralibérale prônée par certains opposants.
Le rôle régulateur et de stratège de l’État est réaffirmé avec force. Il se donne pour mission d’encourager les entreprises sans discrimination entre secteur public et secteur privé, tout en préservant la propriété publique des mines, des hydrocarbures et des autres secteurs vitaux. Il lui revient enfin de sauvegarder les terres agricoles, prises d’assaut par l’urbanisation sauvage, d’accroître la surface agricole utile à travers la mise en culture des jachères et de l’amendement des terres semi-désertiques, et de valoriser les ressources hydriques.
La nouvelle offre politique est résumée dans la Constitution amendée il y a un an, qui couronne les réformes entreprises depuis 1999. L’objectif de cette réforme cruciale, menée en concertation avec les partis politiques et la société civile, adoptée le 7 février 2016 par le Parlement, était la consolidation de l’État de droit, l’enracinement de la démocratie et le renforcement de l’unité nationale. Elle a été marquée par la reconnaissance du tamazight comme langue nationale et officielle, aux côtés de l’arabe, qui reste cependant la seule langue officielle de l’État.
Une étape historique irrévocable
Sur le plan institutionnel, la réforme promeut l’alternance démocratique à travers la limitation à deux mandats successifs qu’un candidat à la présidence peut briguer. Cette disposition est désormais non révisable. Dans le même esprit, elle renforce les libertés démocratiques et garantit les libertés d’expression, de manifestation pacifique et de la presse. Elle reconnaît le droit d’accès à l’information et aux données, et garantit leur circulation.
La nouvelle Constitution accorde par ailleurs un rôle accru à l’opposition. Celle-ci doit être consultée par le chef de l’État pour le choix du premier ministre au sein du parti majoritaire au Parlement. Elle obtient aussi le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel pour contester éventuellement les lois votées. À sa demande, le recours aux ordonnances présidentielles a été limité aux seuls cas d’urgence durant les vacances parlementaires. Il est enfin fait obligation au premier ministre de présenter annuellement au Parlement une déclaration de politique générale définissant les grandes lignes des actions qu’il compte entreprendre.
Une Haute Instance indépendante de surveillance des élections a été instituée, sous la présidence d’une personnalité à la compétence reconnue, Abdelwahab Derbal, ancien conseiller du chef de l’État, ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, ancien chef d’un groupe parlementaire, et ancien ambassadeur. C’est dans ce cadre institutionnel rénové que se déroulent les législatives de mai prochain, premières élections nationales de la nouvelle ère constitutionnelle.
Dans le message qu’il a adressé au Parlement à l’occasion de l’adoption de la nouvelle Constitution, le président Abdelaziz Bouteflika, avait exprimé son « ambition citoyenne et légitime, partagée avec les représentants du peuple et en communion avec l’ensemble des Algériennes et des Algériens, d’inaugurer, ensemble, une étape historique nouvelle porteuse d’avancées démocratiques irrévocables pour notre peuple, et pleine de grandes promesses pour notre nation ».
Deux poids lourds du champ politique
Le fichier électoral a été révisé. « Aucune anomalie, pas la moindre dérive n’a été signalée », a indiqué Abdelwahab Derbal, principal partenaire du ministère de l’Intérieur dans cette délicate opération. Il a appelé les partis à « faire preuve de maturité et à faire prévaloir l’esprit de responsabilité pour garantir des élections propres et honnêtes ».
Malgré une profusion de mouvements politiques de diverses obédiences, seuls trois présentent des candidats dans toutes les circonscriptions. La majorité des autres ne seront présents que dans quelques circonscriptions. Les législatives en cours devraient se terminer par une décantation du champ politique encombré. Une grande partie des mouvements lilliputiens qui vivotent à l’abri des institutions, ne s’activant que par intermittente qu’à l’occasion des diverses élections, devraient être virtuellement éliminés.
Parmi les poids lourds des partis en lice, il faut citer le Front de libération nationale (FLN), le mouvement historique, sous la bannière duquel s’est déroulée la guerre d’indépendance (1954-1962), et le Rassemblement national démocratique (RND), qui en est issu et qui en reste le frère jumeau, avec une sensibilité plus libérale et quelques nuances sur le plan économique et social. Les deux forment l’ossature des deux chambres du Parlement. Ils ont soutenu depuis 17 ans, sans discontinuer, les programmes successifs de redressement du président Abdelaziz Bouteflika, en s’associant ou non à d’autres mouvements minoritaires. Ils ont par ailleurs fourni les chefs de gouvernement de la période et le plus important contingent de ministres. Leurs chances de garder cette position dominante sont intactes. Le FLN, comme premier de cordée, ambitionne de conserver les postes convoités de premier ministre et de président de l’Assemblée populaire nationale (APN).
La surprise pourrait venir d’un mouvement de création récente, issu de la mouvance islamique : Tajamou Amal El Jazair (TAJ – Rassemblement pour l’espoir de l’Algérie), de l’ancien ministre Amar Gould, 56 ans, ingénieur, titulaire d’un doctorat d’État en génie nucléaire et d’un autre en génie mécanique. Contre toute attente, ce mouvement, qui a attiré un grand nombre de femmes et de jeunes, a présenté des candidats dans les 52 circonscriptions en jeu. Fervent adepte de l’union nationale, le TAJ, qui se veut rassembleur au-delà des clivages politiques traditionnels, compte sur son vaste réseau d’intervenants sociaux sur Internet – Amar Gould revendique plus d’un million de « suiveurs » sur son compte Facebook – pour animer sa campagne électorale.
La mouvance islamiste en décomposition
Les partis islamiques, qui s’étaient déchirés à qui mieux mieux depuis vingt ans sur des problèmes d’ego et de leadership plutôt que sur des questions politiques ou idéologiques, ont tenté en vain de se rapprocher afin de former des coalitions électorales qui leur éviteraient de nouveaux effritements, du fait des nouvelles modalités de scrutin imposant un seuil de 4 % de voix pour l’entrée à l’APN. Ils n’ont pas abouti, à leur grande déception, à rebâtir le « parti réunifié » auquel ils aspiraient. Ils ont néanmoins pu conclure des arrangements partiels leur assurant un minimum de représentation. Deux pôles distincts et rivaux se sont constitués à l’occasion du scrutin, l’un autour du Mouvement pour une société de paix (MSP), l’autre autour d’Ennahdha.
En fait, le processus de décomposition de cette mouvance est toujours en marche. Après la violente bourrasque des années 1990-2000, les mouvements islamiques se sont en effet détachés du Front islamique du salut (Fis). Ils ont fait le choix de la légalité en participant à divers gouvernements dans le cadre d’une « alliance présidentielle » avec le FLN et le RND. Revenus des dérives du Fis, ils semblent avoir renoncé à la chimère de l’État islamique et rompu définitivement avec la violence. Leur poids réel dans l’électorat reste incertain et ils ne peuvent plus compter sur les mosquées pour mobiliser, le ministère des Affaires religieuses ayant mis en garde les « imams militants », sous peine de graves sanctions, contre toute intrusion de la politique dans les « maisons de Dieu ». Le plus important et le plus pragmatique d’entre eux, le MSP, cherche à rétablir les ponts avec les autorités, en vue d’obtenir quelques maroquins au sein des prochains gouvernements. Son entrée dans l’exécutif dépendra du succès de sa stratégie électorale.
La grande inconnue vient du mouvement salafiste, dont les contours restent flous. Soutenu en sous-main par l’Arabie saoudite, il s’affiche son indifférence à la politique, en développant un discours piétiste et moralisateur d’islamisation rampante de la société autour du credo wahhabite – la doctrine officielle des Saoudiens. Les salafistes s’appuient sur un réseau caritatif qui semble étendu. L’une de ses figures de proue, Abdelfattah Hamadache, s’est distinguée récemment en émettant une fatwa de mort contre l’écrivain Kamel Daoud, accusé d’atteinte aux valeurs de l’islam. Hamadache a été condamné par un tribunal pour incitation à la haine religieuse.