Alors que les forces militaires britanniques quittent l’Afghanistan après treize ans de conflit, 453 morts et 3000 blessés britanniques, le rideau se baisse sur l’un des conflits les plus vains, ineptes et sans gloire de l’histoire récente.
Très loin d’avoir aidé la transition de l’Afghanistan, État marqué par la violence et la rivalité des seigneurs de guerre, à un modèle de démocratie et de liberté, la présence américaine et britannique a été incapable d’empêcher que ce pays soit classé dans les trois premiers États corrompus au monde en 2013, avec la Corée et la Somalie. Elle n’a pas pu, non plus, juguler l’explosion de la production d’héroïne qui représente aujourd’hui les trois quarts de la production mondiale de drogue.
L’Occident a généralement décrit l’Afghanistan comme un pays barbare, primitif et arriéré, irrémédiablement corrompu avec une population largement illettrée. C’est cette caractérisation qui a permis au peuple afghan d’être si facilement déshumanisée aux yeux d’une opinion publique occidentale gagnée au soutien et à l’approbation de la guerre qui leur a été livrée après le 9/11 (l’attaque des Twin Towers à New York en septembre 2011 – NDT)
Cependant, il y a existé dans l’histoire tumultueuse de l’Afghanistan, une période marqué par une tentative déterminée pour tirer le pays et son peuple du féodalisme arriéré et en développer l’économie. L’échec de cette tentative est directement lié au récent conflit à l’initiative de la Grande-Bretagne et des États-Unis et donne, cependant, une leçon salutaire sur le rôle de l’intervention occidentale et l’impérialisme en tant que facteur majeur de déstabilisation dans le monde en développement.
Le parti communiste d’Afghanistan –People’s Democratic party of Afghanistan PDPA – , est né en 1965 en opposition au régime autocratique du roi Zahir Shar. Il contribua au renversement du régime en 1973 par un coup dirigé par Mohammed Daud, le cousin du roi. Au cours des années suivantes, Daud a cherché à se distancer du PDPA et de l’Union soviétique qui était le premier partenaire commercial de l’Afghanistan et une source d’aide dans les années 1970. En 1978, lorsque furent connues les intentions de Daud de purger l’armée de ses officiers et cadres communistes, il fut victime d’un coup organisé par le PDPA soutenu par l’armée afghane.
Le coup bénéficia du soutien populaire dans les villes grandes et petites, un soutien dont la presse américaine s’est fait l’écho. Le Wall Street Journal, qui n’est pas un ami des mouvements révolutionnaires, écrivait à l’époque : « 150 000 personnes ont manifesté pour honorer le nouveau drapeau et les participants semblaient vraiment enthousiastes ». Le Washington Poste affirmait que « la loyauté afghane envers le gouvernement peut difficilement être mise en question ».
Après avoir pris le pouvoir, le nouveau gouvernement a introduit un programme de réformes visant à abolir le pouvoir féodal dans le pays, à garantir la liberté de religion et des droits égaux pour les femmes et les minorités ethniques. Des milliers de prisonniers de l’ancien régime furent libérés et les fichiers de police brûlés dans un geste fort pour montrer la volonté de mettre fin à la répression. Dans les régions les plus pauvres de l’Afghanistan, où l’espérance de vie ne dépassait pas 35 ans, où la mortalité infantile était d’1/3, on mit en place un système de soins médicaux gratuits. En outre, une campagne d’alphabétisation de masse fut lancée, face au besoin urgent d’une population dont 90% ne savait ni lire ni écrire.
Le taux de progrès fut stupéfiant. À la fin des années 1980, 50% des étudiants universitaires en Afghanistan étaient des femmes. Elles représentaient 40% des médecins du pays, 70% des enseignants et 30% des fonctionnaires. Dans ses mémoires publiées sous le titre « New Rulers of the World » (Verso 2002), (Les nouveaux dirigeants du monde), le journaliste australien John Pilger rapporte le témoignage de Saira Noorani, une femme chirurgien qui a échappé aux Talibans en 2001 : « Toutes les filles pouvaient accéder au lycée ou à l’université. Nous pouvions aller où nous voulions, porter ce que nous voulions. Nous allions dans les cafés et au cinéma voir les derniers films indiens. Tout a commencé à aller mal lorsque les Moujahidin ont pris l’offensive. Ils ont tué des enseignants et brûler les écoles. C’était triste de penser que ces gens étaient soutenus par l’Occident ».
Les efforts du gouvernement pour imposer ses réformes à la campagne et démanteler les structures féodales qui prédominaient se sont révélés impopulaires dans ces régions, ouvrant la porte à un soutien secret américain et au financement des groupes tribaux d’opposition. Ce soutien secret a été mis en place par l’administration Carter.
Dans un premier temps, $500 millions ont été attribués à l’armement et à l’entraînement des rebelles à l’art de l’insurrection dans des camps secrets spécialement mis en place de l’autre côté de la frontière avec le Pakistan. L’opposition a commencé à se faire connaître comme Moujahidin (ceux engagés dans le Jihad) et commença ainsi la campagne d’assassinats et de terreur qui, six mois plus tard, conduisit le gouvernment afghan de Kaboul à demander l’aide de l’Union soviétique dès 1979. L’intervention militaire de l’Union soviétique a duré dix ans, au prix de 15000 morts et 35000 blessés. Suite au départ des troupes soviétiques, l’Afghanistan est tombé dans les abysses de l’intolérance religieuse, de la pauvreté abjecte, de la guerre des Seigneurs et de la violence.
Il faut insister sur le point suivant. Contrairement à l’histoire officielle occidentale de l’époque, les Moujahidin ne sont pas nés en réponse à une invasion hostile de l’Union soviétique en Afghanistan, mais, au contraire, l’Union soviétique est intervenue à la demande du gouvernement afghan en réponse à l’instabilité provoquée par une insurrection armée et financée par les États-Unis.
Pourquoi les États-Unis auraient-ils armé, financé et entraîné une insurrection de zélotes religieux en Afghanistan ? La réponse est la même que celle expliquant pourquoi les administrations américaines successives ont armé, financé et entraîné des insurrections et des commandos de la mort partout dans le monde où des gouvernements laïcs, progressistes et dirigés par des organisations de gauche ont essayé d’instituer une justice sociale et économique : stopper un bon exemple dans son élan.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, trois ans après le retrait soviétique d’Afghanistan, les États-Unis se sont lancés dans une course à l’hégémonie mondiale qui continue aujourd’hui. Pour ce qui concerne l’Afghanistan en particulier, avec la rivalité entre les Britanniques et les Russes depuis le 19ème siècle, sa situation stratégique fut la première raison de la présence des troupes occidentales.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique, les énormes réserves de pétrole brut de la mer Caspienne était désormais hors de portée. Tout ce que demandaient les États-Unis et les compagnies pétrolières occidentales, c’était un pipeline pour transporter le pétrole brut vers le port ami le plus proche, d’où il pourrait être embarqué. Ce n’était pas possible avec l’Iran, ce qui faisait de l’Afghanistan la seule option viable. Le pipeline traverserait son territoire avant d’arriver dans le port pakistanais de Karachi.
En fait, ce pipeline était tellement important pour les États-Unis qu’en 1996, une délégation de Talibans de haut niveau s’est envolée pour rencontrer des dirigeants d’UNOCAL à Huston Texas pour discuter de sa construction. Le Gouverneur du Texas à l’époque n’était autre qu’un certain George W. Bush.
Bien que dirigeant un pays où les femmes étaient lapidées à mort pour adultère, dans lequel les hommes étaient torturés et amputés de leurs membres pour des forfaits mineurs, dans lequel la musique et la télévision étaient interdites où il était illégal pour les filles d’aller à l’école, ces représentants de haut niveau furent reçus avec le tapis rouge, hébergés dans un hôtel cinq étoiles et ont bénéficié d’une visite VIP de Disneyworld en Floride. Cependant, après leur départ, leurs hôtes pensèrent qu’on ne pouvait leur faire confiance et le projet de pipeline fut abandonné.
La tragédie du 9/11 a donné à la pétrocratie américaine l’occasion de réaliser son vieux rêve de pipeline à travers l’Afghanistan. Cette opportunité a, sans aucun doute, stimulé la volonté d’invasion qui était en préparation pour nettoyer le pays des anciens alliés américains comme les Taliban ou Osama Ben Laden. Trente ans plus tard, l’Afghanistan a l’honneur d’être l’un des pays les plus pauvres, les moins développés et les plus corrompus du monde, sans parler de la production d’héroïne. En outre, la loi du régime de Kaboul ne s’applique pas à l’ensemble du pays et on parle de désastre militaire et politique dans des proportions monumentales.
Pour les familles et les proches des soldats britanniques qui ont perdu leur vie ou sont irrémédiablement handicapés, les milliers d’Afghans qui ont été tués ou mutilés, dont d’innombrables civils, les treize dernières années ne font que confirmer qu’en période d’oppression et de guerre, la politique peut être soit une affirmation de la vie soit une alliance avec la mort.
(Traduction de l’anglais)