Le compromis trouvé entre l’Iran et la communauté internationale sur le nucléaire est loin de rassurer l’État hébreu et de servir ses intérêts.
Le monde entier a salué « l’accord historique » sur le nucléaire iranien arraché dimanche entre les grandes puissances et la République islamique. À une exception près. À peine le texte intérimaire (l’accord final doit être conclu d’ici un an) a-t-il été signé que Benyamin Netanyahou a fustigé une « erreur historique ». « Aujourd’hui, le monde est devenu beaucoup plus dangereux parce que le régime le plus dangereux du monde a réalisé une étape importante vers l’obtention de l’arme la plus dangereuse au monde », a déclaré le Premier ministre israélien en conseil des ministres. Pour Netanyahou, qui s’était lancé dans une campagne tous azimuts visant à durcir la position de la communauté internationale, le texte « offre exactement ce que l’Iran voulait : la levée significative des sanctions et le maintien d’une partie significative de son programme nucléaire ».
Une vision pourtant bien au-delà de la réalité. Comme l’a rappelé mardi le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, seules 5 % des sanctions qui touchent la République islamique vont être levées, et les plus dures – les mesures touchant le pétrole et les banques iraniennes – restent en place. L’enrichissement de l’uranium à 20 % – capacité se rapprochant de l’utilisation militaire à 90 % – est suspendu et le stock réduit, et les sites sensibles d’enrichissement de Natanz et de Fordow sont placés sous la supervision « poussée et quotidienne » des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Quant au réacteur à eau lourde d’Arak, susceptible de produire à terme du plutonium, sa construction est pour l’heure gelée.
Sites nucléaires « secrets » (Israël)
« Nous avons obtenu tout ce que nous voulions en ce qui concerne le gel des activités », se félicite une source diplomatique française. « Nous avons réussi à bâtir une position dure et cohérente, et la marche de l’Iran vers la capacité nucléaire a été interrompue. » Une vision qui tranche singulièrement avec celle d’un haut responsable israélien. « Le véritable problème est que l’accord signé à Genève ne demande pas à l’Iran de revenir sur ses activités nucléaires, ni de démanteler ses usines, ce que l’on a toujours demandé. N’oublions pas que les usines de Natanz et de Fordow ont été tenues secrètes avant leur révélation [respectivement en 2002 et en 2009, NDLR] et qu’elles ont été construites sous terre », souligne le responsable. « Cela démontre qu’elles n’ont pas un usage pacifique. »
De leur côté, les Iraniens expliquent que c’est justement pour protéger leurs sites de frappes extérieures qu’ils demeurent souterrains. Au contraire d’Israël, de l’Inde et du Pakistan, qui possèdent l’arme atomique alors qu’il n’ont pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), Téhéran argue qu’en tant que signataire la République islamique a droit au nucléaire dans un but strictement civil, et que les sites pointés du doigt ont été révélés selon les délais prévus par le TNP. « Jamais l’AIEA n’a déclaré que notre programme était destiné à un usage militaire », souligne ainsi un diplomate iranien. L’agence n’a en revanche jamais pu assurer que le programme nucléaire iranien était strictement civil.
Téhéran et Tel-Aviv d’accord !
L’accord sur le nucléaire a été salué dimanche à Téhéran comme à Washington. Mais sitôt le texte signé, les deux meilleurs ennemis ont fait étalage de profondes divergences dans l’interprétation du document. À en croire le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, l’accord comporte une « référence claire à l’enrichissement d’uranium ». Une version catégoriquement démentie par le secrétaire d’État américain, John Kerry. « Le droit à l’enrichissement n’est pas inclus dans le texte », assure de la même manière un diplomate français. « Le texte donne simplement à l’Iran le droit au nucléaire civil, pas à la bombe. »
Or, si le document de quatre pages interdit effectivement à l’Iran d’enrichir de l’uranium à plus de 5 %, il ne dit mot sur l’enrichissement à des degrés inférieurs, reconnaissant implicitement à Téhéran ce droit. Et, une fois n’est pas coutume, l’Iran et Israël sont totalement en phase sur ce point. « L’accord sur le nucléaire iranien reconnaît le programme d’enrichissement d’uranium, pour la première fois depuis 2003 », souligne le haut responsable israélien. « Or, ceci est contraire à toutes les résolutions de l’ONU qui ont réclamé la suspension de cet enrichissement. » L’analyse est la même côté iranien. « L’accord confirme notre droit à l’énergie civile et nous donne possibilité d’utiliser ce droit, tout en rassurant l’Occident sur le fait que l’Iran ne cherche pas la bombe », insiste le diplomate iranien. « Selon le texte signé, nous pouvons enrichir de l’uranium jusqu’à 5 %. »
Isolement d’Israël
En dépit des mises en garde répétées d’Israël, les États-Unis ont paru déterminés à trouver une issue pacifique à cette crise vieille de dix ans, quitte à isoler l’État hébreu. Un constat renforcé par la révélation de discussions secrètes entre Washington et Téhéran depuis mars 2013. S’il se refuse à commenter ces contacts secrets, le haut responsable israélien affirme que « ceux qui pensent que cet accord signe la fin des relations entre Israël et les États-Unis sont profondément dans l’erreur ». La rhétorique est la même côté américain. « Nous comprenons que le Premier ministre Netanyahou décrive les choses comme il les voit », explique un haut responsable américain. « Nous maintenons des consultations très étroites avec notre allié. Les États-Unis et Israël possèdent le même objectif, que l’Iran n’accède pas à la bombe, mais peut-être n’avons-nous pas la même tactique. »
Depuis la révélation d’un programme nucléaire iranien clandestin en 2002, Israël a joué la carte de l’offensive. Au nom de la défense nationale, l’État hébreu n’a eu de cesse d’agiter le spectre de frappes préventives sur les sites nucléaires iraniens. D’ailleurs, dès la signature du texte dimanche, Benyamin Netanyahou a annoncé qu’Israël n’était « pas tenu par cet accord ». « Le régime iranien est voué à la destruction d’Israël, et Israël a le droit et le devoir de se défendre face aux menaces », a-t-il insisté.
Pourtant, il est aujourd’hui indéniable que la perspective d’une attaque israélienne contre l’Iran s’éloigne considérablement, surtout que le groupe des 5+1 (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine + Allemagne) qui a signé le texte est mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU pour négocier avec l’Iran. Une réalité d’ailleurs publiquement exprimée par le ministre israélien de la Défense intérieur du territoire, Gilad Erdan, qui a admis que l’accord « rendait plus difficile de parler de l’option militaire dans la sphère diplomatique ». Interrogé sur ce constat, le haut responsable israélien préfère botter en touche : « Nous poursuivons nos discussions et échanges avec nos alliés », glisse-t-il.
Fausse ouverture de l’Iran
Outre la « menace existentielle » qu’un Iran doté de la bombe représente aux yeux d’Israël, l’État hébreu n’apprécie que très moyennement le début de réchauffement entamé entre Washington et Téhéran. D’autant plus que l’accord pourrait être le premier pas d’une collaboration inédite entre les deux meilleurs ennemis. Car les États-Unis et la République islamique possèdent un ennemi commun dans la région : l’extrémisme sunnite. Ainsi, les Américains, qui souhaitent se désengager de la région au profit de l’Asie, ne seraient pas opposés à recevoir un appui de Téhéran pour vaincre les djihadistes en Syrie, en Irak, ou en Afghanistan.
Un scénario pour l’heure encore hypothétique, mais qui irrite au plus au point les alliés traditionnels de Washington dans la région, en Israël, mais surtout en Arabie saoudite. Ces deux pays, que tout oppose, se retrouvent de fait unis dans leur lutte contre l’influence grandissante de l’Iran chiite au Moyen-Orient. Une alliance de circonstance encore improbable il y a peu. Le haut responsable israélien s’en cache d’ailleurs à peine : « Tous les pays de la région partagent la même inquiétude quant à la possibilité de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, surtout que l’accord laisse à l’Iran toutes ses infrastructures. »
Et le haut responsable de repousser d’un revers de main l’ouverture iranienne incarnée par le nouveau président Rohani en rappelant la phrase, prononcée à quelques heures du début des négociations, par le Guide suprême iranien, le véritable maître à Téhéran : « Les fondements du régime sioniste ont été affaiblis très fortement et il est voué à la disparition. »
Source : Le Point.fr – Publié le 28/11/2013
Légende : Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, lors du conseil des ministres qui a suivi l’accord historique sur le nucléaire iranien, le dimanche 24 novembre. © Abir Sultan / AP/SIPA