Chaque jour, retrouvez un article publié dans notre magazine Afrique Asie. Aujourd’hui : Haïti.
Après l’annulation du second tour de la présidentielle le 24 janvier, Le Parlement a désigné un président de transition : Jocelerme Privert. Pas un inconnu…
Contre toute attente, ils sont parvenus à s’entendre : le 14 février, entre 3 et 4 heures du matin, députés et sénateurs ont finalement voté en faveur d’un président de transition. Jocelerme Privert, 62 ans, auparavant président du Sénat, va donc diriger le pays durant 120 jours, selon les termes d’un accord signé quelques heures avant la fin du mandat du chef de l’État sortant, Michel Martelly. C’est la première fois qu’un président est élu par le Parlement depuis 1946, date à laquelle avait été adoptée une Constitution prévoyant expressément cette forme de suffrage pour un chef de l’État. Cette Constitution fut abrogée en 1950 au profit d’une autre Loi fondamentale, instaurant entre autres le suffrage universel.
Élection sans précédent pour vide institutionnel sans précédent : la politique haïtienne est fidèle à elle-même, elle n’en finit pas de surprendre. Tout comme avait surpris, le 24 janvier dernier, la décision du président du Conseil électoral provisoire (CEP) de reporter sine die le second tour de l’élection présidentielle. À moins de 48 heures de la tenue du scrutin. En effet, les manifestations orchestrées par les oppositions de toute obédience s’intensifiaient dans les départements du Nord, du Centre, de l’Artibonite et de l’Ouest, tandis que des milliers de jeunes gens de Port-au-Prince, dont plusieurs bandes de voyous surexcités, montaient des quartiers de Cité Soleil et Carrefour vers Pétionville et le siège du CEP, prêts à tout casser.
De toute évidence, l’élection était en grand danger de ne pouvoir se tenir de façon régulière. Sans compter que le candidat de l’opposition, Jude Célestin, avait annoncé qu’il boycotterait le scrutin tant que le CEP ne serait pas remanié. Seul Jovenel Moïse, dauphin de Michel Martelly, vainqueur, mais d’une courte tête au premier tour, avait fait campagne durant les semaines suivantes, l’ensemble de ses adversaires dénonçant une « mascarade électorale » après des irrégularités étaient criantes au premier tour.
Une commission d’évaluation avait mis en lumière de multiples défauts de signatures et d’empreintes digitales manquantes sur plus de la moitié des bulletins de vote examinés, ainsi que sur les procès-verbaux de comptage, révélant ainsi des bourrages d’urnes à grande échelle. Le CEP, qui n’avait pas voulu admettre les conclusions de cette commission, s’était discrédité : deux de ses membres, représentant les Églises catholique et protestante, avaient démissionné, un troisième s’était déclaré « en rébellion » et, pour couronner le tour, une quatrième était écartée pour cause de « corruption » ! On comprend mieux que Jude Célestin, challenger de Jovenel Moïse, ait refusé de poursuivre un processus déjà bien mal engagé.
Le président de transition Jocelerme Privert aura fort à faire. Et notamment mettre sur pied un gouvernement qui fasse consensus et puisse non seulement expédier les affaires courantes, mais également organiser de nouveaux scrutins avec l’aide d’un CEP entièrement recomposé. Mais il n’est déjà pas sûr que, en dépit de son appel à toutes les forces vives de la nation, il fasse lui-même consensus. D’où son élection à l’arraché. Privert, en effet, n’est pas un novice en politique : il a été, entre autres, ministre de l’Intérieur de Jean-Bertrand Aristide entre 2000 et 2004. À ce titre, il a été accusé d’être responsable du massacre dit de la scierie de Saint-Marc, le 11 février 2004, durant les émeutes qui ont conduit au départ du président Aristide. Il est resté deux ans en prison. Pour plus d’un spectateur haïtien, la présence à sa cérémonie d’investiture de Mildred Aristide, coordinatrice du parti Fanmi Lavalas, signait bel et bien le retour de Lavalas aux affaires.
Il semble donc que la politique haïtienne, en dépit de la multiplicité des partis, se trouve toujours sous-tendue par la bipolarisation héritée de la fin de la dictature : droite contre gauche, ou encore, pour faire court, Duvalier contre Aristide. Du moins leurs héritiers.