Bons sentiments, aveuglement, irresponsabilité… Pour Samantha Power, les Américains ne peuvent jamais se tromper.
Les Américains sont-ils convaincus de ce qu’ils pensent, disent et font en matière de politique internationale ? Oui. Faucons ou colombes, Démocrates ou Républicains, ils partagent une même culture profondément ancrée dans l’inconscient collectif, celle de la supériorité américaine et de la mission que les États-Unis se sont donnés depuis la première guerre contre les Espagnols à Cuba, première intervention « overseas », à l’étranger, une fois qu’ils en eurent fini avec l’invasion des terres indiennes de l’océan atlantique à l’océan pacifique : défendre les intérêts américains partout dans le monde, maintenir l’hégémonie américaine dans le monde et le protéger de ses démons par tous les moyens qui se réduisent, avec une accélération dans ces trente dernières années, à l’intervention militaire.
Samantha Power, représentant permanent de Washington à l’ONU dont le poids au Conseil de sécurité est déterminant, émigrée d’Irlande à l’âge de 9 ans avec ses parents en est un parfait exemple. Journaliste, elle a couvert les guerres de Yougoslavie pour de grands titres américains, écrivant à travers le prisme de la propagande américaine. Fondatrice du Centre Carr, en 2002, pour la politique des droits de l’homme, elle reçoit le prix Pulitzer pour son livre A problem from Hell : America and the Age of Genocide, ou la réponse américaine aux génocides, bien sûr pas celui des Indiens d’Amérique, ni celui du Timor oriental ni de ceux perpétrés par les alliés de Washington, ce qui lui valut quelques critiques de quelques Américains « éclairés ».
Proche de Barack Obama, elle participe à ses diverses campagnes et entre au Département d’État lorsqu’il accède à la fonction suprême, puis au Conseil national de sécurité en 2009, avant d’être nommée à l’ONU en 2013.
Samantha Power ne peut donc être qualifiée de « faucon ». Pourtant, les thèses qu’elle développe ne sont pas différentes. Au retour de son voyage d’inspection du travail des militaires américains dans les zones touchées par Ebola, au Libéria, elle a répondu aux questions du modérateur d’une session du sommet de Defense One, une des branches d’Atlanticmedia un think-tank poids lourd dont le réseau s’étend des bureaux de l’administration américaine aux universités.
Bons sentiments, aveuglement, irresponsabilité, ils ne peuvent jamais se tromper
Traduction d’un extrait de son audition :
Modérateur : il y a une grande déception chez ceux qui disent que l’opposition syrienne, ou les troupes déployées sur le terrain, n’ont pas reçu tout le matériel qu’elles avaient demandé. Et l’inquiétude qu’il n’y aura plus d’opposition modérée avant que ces équipements lui parvienne…
Samantha Power : Je me guide à la position du président Obama sur cette question, à savoir qu’il y a des défis majeurs à court terme en Syrie, sans aucun doute. Et l’opposition modérée a perdu du terrain dans les derniers mois, sans aucun doute. Ceci dit, nous avons établi des contacts avec groupes, avec des groupes examinés de près qui participent à l’effort global car ils veulent protéger leurs familles et échapper aux attaques chimiques et aux bombes. Et donc qui veulent toujours épouser la vision d’une Syrie qui place la révolution à la première place. Et ces gens méritent notre soutien. Le programme du ministère de la Défense filtrera ces gens, à la fois pour combattre l’Etat Islamique (ISIL ou EI ou Daech) et pour protéger leurs familles et leurs communautés contre le régime.
Nous devons donc investir dans cette longue partie, comme nous l’avons fait, car comme l’a dit le président, nous ne pouvons choisir entre les coupeurs de têtes d’un côté et, de l’autre, les utilisateurs de barils explosifs et de bombes chimiques (sous-entendu le régime syrien-NDT). Ce n’est pas un choix que la majorité du peuple syrien ferait. Ils ne choisiraient aucune de ces options. Et tant que cela restera, les deux options dans certaines zones particulières, cette guerre continuera, car les gens ne vont pas tolérer ce type de dirigeants.
Je pense donc que nous devons investir. Je note qu’une des vraies raisons pour lesquelles l’opposition modérée a perdu du terrain dans les derniers neuf mois est qu’elle doit combattre sur deux fronts. Et les dommages que l’ascension et la brutalité d’ISIS ont causé, principalement les groupes d’opposition sunnites, les groupes armés et les civiles sunnites de l’opposition, sont vraiment indicibles. Aujourd’hui, à cause des frappes en Irak contre ISIL et en Syrie, notre souhait est, en même temps que le programme d’entraînement et d’armement pour nettoyer le terrain le plus vite possible – qu’ils vont être soulagés d’ISIS et de ce double front et seront mieux en mesure de se protéger contre le régime. Voilà notre approche.
Modérateur : Êtes-vous frustrée par cette situation, connaissant la personne très directe et active que vous êtes ?
Samatha Power : Oui, bien sûr. Particulièrement dans le contexte syrien car nous nous trouvons devant un conflit qui dure maintenant depuis 2011. Il y a eu plus de 7 millions de déplacés. Et en tant que parent ou non, imaginez seulement ce que cela signifie d’essayer de fuir. Beaucoup, beaucoup de familles ont fui de multiples fois. Ils pensent qu’ils ont trouvé un refuge et aussitôt les bombes arrivent, et ils doivent partir ailleurs. Les pays voisins de la Syrie explosent littéralement en termes de réfugiés qu’ils doivent absorber, créant toutes sortes de tensions et de dislocations sociales.
…Nous avons une stratégie, nous pouvons injecter du sang frais dans un processus politique, à nouveau, si l’opposition modérée peut tenir ses positions et se renforcer avec le temps. Mais, bien sûr, on a envie d’aider chaque famille ici et maintenant. Nous faisons donc ce que nous pouvons sur le plan humanitaire en tant que premier donateur pour essayer de nourrir les gens qui ont été déplacés et trouvent refuge quelque part. Et, évidemment, nous essayons de travailler avec l’ONU et autres pour essayer d’établir aussi la responsabilité des atrocités qui sont perpétrées.
Modérateur : Vous avez parlé de l’architecture post 2ème guerre mondiale dans laquelle nous vivons. Dans un monde en feu, des réformes sont-elles nécessaires, faut-il de nouvelles institutions ?
Samantha Power : Nous devons d’abord examiner nos propres capacités de réponse au niveau national, car les nations-États sont le fondement de l’ordre international. Les mouvements sociaux de protestations et les acteurs civils, la société civile mais aussi les terroristes, font les événements, de toute évidence, dans différentes parties du monde, et dans le cas des terroristes, avec des moyens très perturbateurs. Mais le monopole de la force est celui de l’État.
Ebola est un très bon exemple. (…) Chaque jour, nous, notre armée, sommes engagés dans la lutte contre l’explosion d’une maladie infectieuse. (…) Aujourd’hui, cette lutte a reçu une nouvelle énergie d’autres pays qui peut-être n’avaient pas été aussi interpellé par la question que nous l’avons été. Un autre exemple, le maintien de la paix. Nous avons fait un vrai pas en avant sous la direction du Président Obama pour, à la fois, rendre les missions plus efficaces car elles sont plus nombreuses et de plus en plus coûteuses, car il y en a tant dans le monde et parce qu’il y a un coût réel à protéger les bases de l’ONU où les gens pouvaient venir, parcourir, consulter leurs emails ou autres, comme le Canal Hotel à Bagdad avant l’attaque. Nous ne pouvons plus avoir ça. Nous essayons donc de les rendre plus efficaces, mais aussi d’entraîner avec nous des pays qui, dans les années 1990, étaient engagés dans le maintien de la paix, comme les pays européens.
Nous devons aussi renforcer les capacités – c’est une chose à laquelle participe l’armée américaine et nos partenaires européens – de ces pays qui veulent envoyer leurs propres soldats. Par exemple : le Rwanda et l’Éthiopie, les deux plus grands contributeurs africains. S’il y a une crise en Républicaine Centrafricaine, que les musulmans sont visés par les chrétiens ou l’inverse, les Rwandais sont généralement les premiers à lever le doigt du fait de leur propre histoire. Et ils n’ont pourtant pas la capacité d’intervenir dans leur propre pays. Voilà ce que les forces militaires américaines font souvent.
Souvent, ils n’ont pas la capacité de compter sur eux-mêmes, d’avoir le genre de logistique dont ils besoin en un instant, et si nous voulons soutenir le Rwanda en tant que bonne force de maintien de la paix régionale comme jusqu’à maintenant, et protéger les civils, apporter une nouvelle énergie dans le maintien de la paix, nous devons non seulement les aider dans telles ou telles mission mais travailler également pour le jour où il pourront intervenir eux-mêmes et être totalement indépendants. C’est pourquoi le Président a lancé ce qui s’appelle l’African (Peacekeeping Rapid) Force Partnership (Partenariat pour une force africaine (rapide de maintien de la paix) avec six armées africaines qui sont les plus plausibles d’avancer et les armées les plus capables sur le continent. Nous essayons maintenant de mettre en commun avec nos partenaires européens l’entraînement, les ressources et les capacités afin que nous puissions réellement voir six armées africaines capables de faire ce que nous savons pouvoir faire.
Et rappelez-vous, le maintien de la paix est souvent un petit bout de l’activité secondaire comparé aux questions que nous traitons avec notre armée. Mais de plus en plus de ces missions se trouvent là où se trouve le lien avec notre intérêt de sécurité nationale, comme en Somalie, comme au Mali, et même en République Centreafricaine où vous pouvez déjà voir Boko Haram et al Shabaab la menacer d’une certaine manière et puis dans d’autres pays pour voir s’il y a un terrain fertile à exploiter. Nous avons donc un intérêt à ce que le maintien de la paix deviennent plus efficace, même au-delà de la prévention des atrocités et des intérêts de la protection civile.
Modérateur : l’armée américaine a-t-elle un rôle plus important à jouer dans le maintien de la paix par l’ONU ?
Samantha Power : Ce sont les États-Unis qui ont aidé en Centrafrique à construire les bases où ont été déployés les Casques bleus. Le président Obama a alloué plus d’un million de dollars pour entraîner et équiper ces unités. Nous avons plus de cent militaires et officiers de police répartis aujourd’hui dans les missions. Et j’encourage vraiment ce type de déploiement qui, selon moi, présente un risque minime. Mais imaginez le pouvoir de ce créneau, être un planificateur – comme vous le savez, nos planificateurs ont aidé l’Union africaine dans la mission somalienne, et la mission en Centrafrique – juste un petit déploiement d’une poignée de gars, le genre d’influence dans le commandement et le contrôle et le professionnalisme que cela peut générer dans une mission. Nous faisons beaucoup, en réalité.
Modérateur : Au sujet de la Libye, puisque vous avez parlé des leçons à apprendre, je me demande quelles leçons ont été apprises et ce que vous pensez de la Syrie ?
Samantha Power : En fait, la Libye n’est certainement pas…ce matin, lorsque je suis sortie de l’avion à New York, il y avait un espoir de cessez-le-feu, et juste en entrant ici, il n’y en avait plus. La Libye est en très très grande difficulté aujourd’hui. Vous savez, en regardant en arrière, en 2011, il y a eu un moment où Kadhafi a très clairement exprimé ses intentions envers, non seulement les gens de Benghazi, mais envers tous ceux qui avaient pris les armes contre lui. Le président Obama, je pense, a fait le bon choix qui est de d’empêcher ce qui – si nous prenons Kadhafi au mot et compte tenu de ses pratiques jusque là dans la répression de la rébellion – aurait pu être un massacre horrible.
Il y a eu l’intervention. Nous avions des tas de pays à nos côtés et, encore une fois, la direction américaine a créé une large coalition. Donc nous n’avons pas porté le poids tout seuls. Le défi réside dans le fait qu’il y a en Libye un tas de dynamiques tribales qui se sont déclenchées et que le peuple a peu de tradition de régler pacifiquement ses différents à cause de l’ancien régime de Kadhafi. Donc, lorsque Kadhafi est parti, ces éléments se sont déclenchés et malheureusement, nous ne vivons pas là-bas, pas nous, mais le peuple libyen doit vivre dans cet environnement.
Encore une fois, je pense qu’il y a trop de « Oh, c’est ce que l’intervention a apporté », mais, vous savez, si vous prenez un cas où – vous voyez la Syrie aujourd’hui, bien, où les gens se sont soulevés et le gouvernement a décidé de réprimer la rébellion fermement, ce n’est pas non plus un modèle de société. Autrement dit, les choses sont extrêmement difficiles là-bas, atrocement difficiles pour les civiles en Syrie.
Modérateur : Avons-nous tiré les leçons de l’Irak ? Vous savez, les Américains sont fatigués et il y a une sorte d’inquiétude pour tout ce qui ressemble à une intervention, qu’elle soit humanitaire ou militaire ?
Samantha Power : j’ai beaucoup de sympathie pour le public, avec le nombre de vies données, de vies américaines, perdues en Irak et en Afghanistan et les sacrifices que les familles des soldats ont fait encore, encore et encore. Je ne peux imaginer ce qu’est, vous savez, d’être une épouse dans une famille comme ça et les défis. Et ce n’est que ce qui concerne les membres de l’armée. Il y a aussi le public, généralement qui a vu les dépenses de ressources. Aussi, comme je l’ai dit, il y a un scepticisme sain et les risques d’utiliser la force armée sont si importants – pour nos hommes, nos femmes, pour les individus dans le pays en question – il y a tellement de conséquences imprévisibles lorsque vous utilisez la force qu’il devrait y avoir un tas de vérifications et de bilans. En même temps, il y a réellement des menaces profondes pour notre sécurité nationale qui existent au niveau international aujourd’hui, que ce soit un mouvement – le premier mouvement terroriste, le premier de la sorte qui contrôle le territoire, contrôle les champs de pétrole, vous savez, utilisent un armement lourd. C’est le genre de force destructrice terroriste
https://usun.state.gov/briefing/statements/c60561.htm
Remarks by Ambassador Samantha Power at the Defense One Summit
Samantha Power
U.S. Permanent Representative to the United Nations
New York, NY
November 19, 2014