Les super-drones américains MQ-9 ont, désormais, une nouvelle base au Niger. AFRICOM, le commandement militaire pour l’Afrique, s’installe à Agadès, en toute opacité.
Les Africains qui fuient les conflits et la pauvreté ne sont pas les seuls étrangers à passer par Agadès, au centre du Niger. Des documents militaires déclassifiés ont récemment révélé la construction d’une base américaine de drones à proximité de la ville. Le projet planifié de longue date – considéré comme le projet de construction militaire américain le plus important, selon des dossiers secrets obtenus par The Intercept, déclassifiés grâce à la loi sur la liberté de l’information, le Freedom of Information Act – est évalué à $100 millions et n’est que l’une des initiatives militaires américaines dans ce pays pauvre.
La nouvelle base est le signe le plus récent, selon les experts, de l’intensité en progression permanente des opérations de contre-terrorisme au nord et à l’ouest du continent. En étant le seul pays de la région à autoriser une base américaine pour les Reapers MQ-9, un modèle de drone plus récent, plus grand et potentiellement plus meurtrier que le vénérable Predator, le Niger s’est placé lui-même en position de centre stratégique régional pour les opérations américaines. Agadès sert d’avant-poste pour le lancement de missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR- ensemble du système de renseignement en appui aux opérations militaires – NDT) contre une pléthore de groupes terroristes.
Pendant des années, les États-Unis opéraient à partir d’une base aérienne à Niamey, la capital du Niger, mais au début de 2014, le Capitaine Rick Cook, alors chef du commandement de la division du Génie en Afrique, mentionnait la possibilité d’une nouvelle «sorte d’ installation semi permanente », au Niger. En septembre, Craig Whitlock, du Washington Post, révélait le projet d’une base de drones à Agadès. Quelques jours plus tard, l’ambassadeur américain à Niamey annonçait qu’AFRICOM « évaluait, en effet, la possibilité d’y établir un éventuel site de soutien temporaire, expéditionnaire ». L’avant-poste, selon le communiqué, « présente une option attractive pour l’ISR, compte tenu de sa proximité avec les menaces dans la région et la complexité des opérations que représentent les longues distances de la géographie africaine ».
Les documents de l’Air Force soumis au Congrès en 2015, notent que les États-Unis « négocient un accord avec le gouvernement nigérien pour permettre la construction d’une nouvelle piste de décollage, toutes les pistes et les installations attenantes, ainsi qu’une infrastructure adjacente à la Base aérienne 201 des Forces armées du Niger, au sud de la ville ». La loi budgétaire 2016 pour la Défense nationale, présentée en avril dernier, intégrait une demande de $50 millions pour la construction d’un « terrain d’aviation et d’un camp de base à Agadès, Niger…pour soutenir des opérations en Afrique de l’Ouest ». Le Président Obama signa la loi budgétaire, telle qu’elle.
Les investigations de The Intercept ont permis d’établir le coût réel, soit le double de la somme évoquée. En sus des $50 millions pour construire « Air Base 201 », viennent s’ajouter $38 millions, affectés aux « Opérations et Maintenance » (O&M) « pour soutenir le travail des militaires et les équipements secondaires », selon une seconde série de documents non datés, tenus secrets, obtenus du Commandement pour l’Afrique par The Intercept. Cependant, les $38 millions destinés aux dépenses comme le fuel et la solde des militaires, avaient déjà grimpé à $50 millions, selon les nouveaux chiffres présentés par le Pentagone, tandis que les coûts d’entretien sont, aujourd’hui, projetés à $12,8 millions par an.
Les documents obtenus par The Intercept attestent de l’importance des futures missions des drones d’Agadès, avions pilotés à distance ou RPA. On peut lire dans un document de 2015 que « le plus important projet de la MILCOM (construction militaire) pour l’USAFRICOM est situé à Agadès, Niger, pour la construction d’un aéroport destiné aux C-17 et aux MQ-9. La présence de RPA au nord-ouest de l’Afrique soutient les opérations contre sept organisations terroristes étrangères ciblées. Déplacer les opérations à Agadès répond aux renseignements ISR persistants concernant des menaces permanentes et émergentes au Niger et au Tchad et la régionalisation de l’intervention française, et étend la portée de l’ISR à la Libye et au Nigéria.
Cependant, le Pentagone reste muet sur l’avant-poste. « Pour des raisons de sécurité des opérations, nous ne diffusons pas de détails sur le nombre de personnels ou les missions et les lieux spécifiques, y compris les informations concernant la base aérienne nigérienne située à Agadès », a expliqué, par email, à The Intercept, la porte-parole du Pentagone, le lieutenant Michelle L. Baldanza, insistant sur le fait que les drones ne décollent pas encore de cet avant-poste. Cependant, les documents déclassifiés disent que la construction sera terminée l’année prochaine.
Le document donne d’autres détails, dont les plans d’une piste asphaltée de 1830 mètres, capable de supporter des avions cargos C-17 et « divers avions cargos de charge légère et moyenne, une aire de parking de 17458 m2 et un taxiway pour des avions espions légers ISR, l’installation de trois hangars de 140m x 140m pour avions sous tension , ainsi que toutes les infrastructures habituelles pour les militaires et des mesures de protection de la Force » telles que « des barrières, des clôtures et un Point de contrôle des entrées ».
Opacité américaine
Alors qu’AFRICOM refusait de répondre aux demandes d’informations sur le projet, une photo satellite du site prise en mai 2016, obligeait à un rapport de situation. « L’image montre que la principale piste a été refaite », dit Dan Gettinger, le co-fondateur et co-directeur du Centre d’Études sur le Drone au Bard College et auteur d’un guide pour identifier les bases de drones sur les images satellites. « Près de la piste de décollage, il y a une structure qui ressemble au futur hangar, bien qu’il soit encore en construction. Il y a aussi un nouvelle route de terre qui court sur une distance relativement longue, de la piste de décollage à une base américaine entourée d’un mur, avec un certain nombre de bâtiments pour le personnel et un centre de commande. Tout ce qu’on peut s’attendre à trouver sur une base ». On peut lire, en outre, « le Président exprime sa volonté de soutien aux RPA (drones NDT) armés ». L’activité militaire américaine au Niger n’est pas isolée. « Nous allons vers un engagement plus important et une présence plus permanente dans l’Afrique de l’ouest, le Maghreb et le Sahel » notait Adam Moore du Département de Géographie à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA), et co-auteur d’une étude sur la présence militaire américaine en Afrique.
Depuis le 9/11, en fait, les États-Unis ont déversé des tonnes d’aide militaire dans la région. En 2002, par exemple, le Département d’État lançait un programme de contre-terrorisme, sous le nom d’Initiative Pan-Sahel, qui, plus tard est devenu le Partenariat du contre-terrorisme trans-saharien (TSCTP), pour assister les armées du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Entre 2009 et 2013 seulement, les États-Unis ont alloué $288 millions au TSCTP, selon un rapport de 2014 de la Cour des Comptes américaine. Le Niger apparaissait comme l’un des trois principaux bénéficiaires, avec plus de $30 millions.
Les forces d’opérations spéciales américaines s’entraînent régulièrement avec l’armée nigérienne, et les États-Unis ont transféré, pour des millions de dollars, des avions, des camions et autres équipements à ce pays pauvre. Dans un rapport de 2015 sur l’Afrique et la santé internationale, présenté au sous-comité du Comité des relations internationales du Sénat américain, Lauren Ploch Blanchard, du Service de recherche du Congrès, notait que depuis 2006, le Niger a reçu plus de $82 millions d’aide dans le cadre du programme « Formation et équipement » du Département de la Défense. « En collaboration étroite avec les partenaires militaires de l’Afrique de l’ouest, dont le Niger, USAFRICOM soutient un éventail d’initiatives en cours pour la construction de la sécurité et de la capacité dans la région du grand Sahel », explique Michelle L. Baldanza à The Intercept. « Ces efforts soutiennent les objectifs américains diplomatiques et de sécurité nationale et visent à renforcer les relations avec les partenaires africains, à promouvoir la stabilité et la sécurité et à donner à nos partenaires africains la capacité de répondre aux menaces qui pèsent sur leur sécurité ».
La stabilité et la sécurité semblent, cependant, un objectif illusoire. En 2010, par exemple, une junte militaire renversait le président du Niger, alors qu’il tentait d’étendre son autorité. En fait, tous les premiers membres de l’ Initiative Pan-Sahel ont été victimes de soulèvements militaires. Le Tchad a connu des tentatives de coup d’État en 2006 et 2013, des membres de l’armée mauritanienne ont renversé le gouvernement en 2005 et à nouveau en 2008, et un militaire entraîné par les Américains a renversé le président malien démocratiquement élu en 2012. La région relativement épargnée par les menaces terroristes transnationales en 2001, est, aujourd’hui, régulièrement attaquée par Boko Haram, autrefois petite secte islamiste non-violente du Nigéria qui, depuis, a fait allégeance à État Islamique (IS) et menace la stabilité, non seulement de son pays d’origine, mais, également, du Cameroun, du Tchad et du Niger. Et Boko Haram n’est que l’un des dix-sept groupes qui menacent aujourd’hui la région, selon le Centre Afrique du Département de la Défense pour les Études stratégiques.
Depuis plusieurs années, les drones font partie intégrante des initiatives américaines au Niger. En 2012, selon les documents obtenus par The Intercept, le Niger a accepté d’accueillir les drones américains à Niamey, la capitale, à la condition que les opérations soient déplacées vers une base plus éloignée, à Agadès. En février 2013, les États-Unis ont commencé à lancer des drones depuis la base de Niamey. Plus tard, au printemps, un porte-paroles d’USAFRICOM a révélé que les opérations aériennes américaines fournissaient « un soutien pour la récolte de renseignements avec les forces françaises qui interviennent au Mali et d’autres partenaires de la région ».
Selon Dan Terringer, l’Air Force a annoncé récemment des plans pour réparer les douches et les latrines des installations de Niamey pour « 200 à 300 personnels permanents par jour, les Américains partageant cette base avec la France ». La base de Niamey, expliquait-il, est stratégiquement importante pour la simple raison qu’au nord, il y a le Mali et la menace des groupes liés à al-Qaeda, dont al-Qaeda au Magrheb islamique (AQMI)…. Au sud, il y a le Nigéria et Boko Haram. Il y a donc un fort recours aux capacités de l’ISR ». À Agadès, notait-il, « les Américains n’ont pas besoin de partager les installations avec l’armée française ou l’aviation commerciale. Et Agadès occupe une position plus stratégique que Niamey ».
Comme le dit Adam Moore de l’UCLA, « la trajectoire récente des sites et de l’argent suggère que le Niger est en train de devenir, après Djibouti, le second pays plus important pour les opérations militaires américaines de contre-terrorisme sur le continent ».
Source : The Intercept
https://theintercept.com/2016/09/29/u-s-military-is-building-a-100-million-drone-base-in-africa/
*Nick Turse est un journaliste américain d’investigation. Cet article a été publié par le site américain de contre-information The Intercept.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne