Le problème, c’est que nos gouvernants vont devoir assumer une double humiliation publique, celle de porter des cornes et celle de manger leur chapeau…
La mécanique des révélations liées à l’affaire Snowden est implacable : goutte à goutte, jour après jour, l’alambic distille le breuvage amer via les journaux qui travaillent à l’exploitation de la manne scandaleuse. Scoops garantis dans ce feuilleton à suspens, chacun attend désormais avec plus ou moins d’appréhension les feuillets croustillants que Le Monde voudra bien livrer.
Pendant ce temps, la fanfare des cocus s’organise, en France comme en Allemagne, avec l’aide des orchestres médiatiques qui n’hésitent pas à décaler l’affaire de trois mois, histoire de faire oublier le retard gouvernemental. Quitte même à rapprocher les ires exécutives européennes de celles, jusque là ignorées, de nos désormais compagnons d’infortune sud-américains.
En attendant, le lanceur d’alerte Edward Snowden, à qui l’on doit ces révélations salutaires quoique fort embarrassantes, reste abandonné dans son exil russe, seule terre d’asile qui ait eu l’honneur de lui ouvrir ses portes et encore, à la condition qu’il arrête ses activités…
Au moment où la fanfare des cocus tente d’accorder ses trompettes, peut-être serait-il bienvenu que la France, pays des droits de l’Homme et terre d’asile pour tant de causes moins honorables, reconsidère son refus d’accueillir celui qui mériterait le prix Nobel de la paix ? Le symbole serait à la hauteur de l’humiliation que font subir les Etats-Unis à leurs alliés. A moins qu’on ne reproche désormais à Snowden d’avoir révélé ce que personne ne voulait savoir ? Il est vrai que le cocu préfère généralement se voiler la face, surtout lorsqu’il sait et accepte l’infidélité par faiblesse, comme une sorte de pis aller…
De fait, asservis à la puissance américaine, les Européens sont parfaitement au courant de l’activité débordante du renseignement US (souvenons-nous du pshitt de l’affaire Echelon dans les années 90) et se passeraient volontiers d’une crise de façade. Car c’est bien d’une crise de façade dont il s’agit, qui consiste à montrer aux citoyens qu’on ne se laisse quand même pas cocufier comme ça, fût-ce entre amis. Le problème, c’est que nos gouvernants vont devoir assumer une double humiliation publique, celle de porter des cornes et celle de manger leur chapeau…
Car autant le dire, il ne sortira rien de ces fanfaronnades. Les Etats-Unis cultivent une obsession pathologique du renseignement et lui consacrent des budgets colossaux afin d’asseoir leur domination. Le fait est qu’ils ont une stratégie et qu’à cette fin, ils viennent de construire le plus grand centre de recueil et de traitement de données. Ils violent aussi bien les espaces aériens que le droit international avec leurs drones tueurs. Ils ont les moyens d’écouter, hacker, photographier, filmer, surveiller à peu près tout ce qui peut être numérisé. Qui, dès lors, voudrait croire qu’ils renonceront à ce pouvoir exorbitant, lequel sert selon eux leurs intérêts vitaux ?
Nos dirigeants politiques devraient cesser de lire Oui-Oui chez les Bisounours et reprendre Sun Tzu, bien qu’il soit déjà un peu tard. Imaginez en effet que tout ce qui s’échange de plus secret à l’Elysée, dans les cabinets ministériels, dans les états-majors des entreprises stratégiques, arrive depuis X mois ou années sur le bureau des stratèges américains. Forces, faiblesses, menaces et opportunité, rien de nos intentions des plus secrètes, de nos affaires les plus sensibles, ne leur sont inconnues… jusqu’aux conversations intimes de notre président de la République. Car nul ne peut aujourd’hui vouloir ignorer la probabilité qu’il ait été écouté comme l’a été Angela Merkel.
L’ayant écrit dans mon billet précédent, je persiste et signe : seule la menace sérieuse d’un renversement d’alliance pourrait éventuellement ramener les Etats-Unis à la raison. L’esprit de Munich, ce n’est pas face à la Syrie que nous le cultivons, n’en déplaise à nos élites bien pensantes, mais en refusant de voir les Etats-Unis développer depuis vingt-deux ans une politique néoconservatrice au nom du Nouvel ordre mondial et sous couvert du bien nommé Projet pour le Nouveau Siècle Américain.
Par Franck Bulinge
https://www.espritcorsaire.com/?ID=176/Franck_Bulinge/Espionnage_de_la_NSA_:_la_fanfare_des_cocus
Date de parution: 26/10/2013
Mots clé : NSA, Edward Snowden, Syrie, Etats-Unis, Merkel,
* FRANCK BULINGE est Ancien analyste de renseignement militaire spécialisé dans le monde arabe, titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches, il enseigne le management de l’information et de la communication, et notamment l’analyse d’information stratégique, le décryptage des phénomènes d’influence et de manipulation, la gestion de crise. Ses derniers ouvrages : Intelligence économique, l’information au cœur des entreprises, éditions Nuvis-CIGREF, 2013 et De l’espionnage au renseignement, Vuibert-INHESJ, 2012. Son blog : https://cerad.canalblog.com