En exclusivité, la chronique de Bruno Guigue que vous pouvez lire dans le numéro de décembre d’Afrique Asie.
Une chose est sûre. L’élection de Donald Trump restera dans les annales. Voilà un candidat réputé conservateur, voire réactionnaire, qui a fulminé avec une rare violence contre les vautours de la finance, qui a incriminé le poids excessif des lobbies, qui a dénoncé les méfaits du libre-échange, et qui a fustigé une politique étrangère erratique, largement responsable du chaos dont souffre le Moyen-Orient.
Par un retournement de situation sur lequel la « gauche » européenne devrait sérieusement méditer, ce milliardaire qui a fait fortune dans la jungle de l’immobilier new-yorkais s’est transformé en porte-parole des sans-voix, des déclassés, des ruraux, de la middle class frappée par la crise, du monde ouvrier laminé par la mondialisation, mais aussi de tous ceux qu’horripilait la manie néoconservatrice de régenter les affaires du monde au lieu de redresser l’économie du pays.
Le magnat des gratte-ciel, le businessman sans complexe qui jette aux orties la political correctness a envoyé dans les cordes, contre toute attente, une adversaire pleine de morgue qui se croyait déjà installée sur le fauteuil présidentiel. Donnée gagnante par les préposés médiatiques au bourrage de crâne, Hillary Clinton a bel et bien subi la défaite parce qu’elle était la candidate de cet establishment politique, médiatique et financier que les classes moyennes et populaires rendaient responsable de leur appauvrissement depuis la crise.
Et pourtant, elle a perdu…
Autre handicap de la candidate démocrate : elle suscitait la méfiance de ces électeurs proches d’une gauche frustrée par l’élimination frauduleuse de Bernie Sanders à l’occasion de primaires truquées. Les États de la Rust Belt, le Michigan, l’Indiana, l’Iowa, mais aussi la Pennsylvanie ont voté pour Trump ou se sont abstenus faute d’avoir pu voter pour Sanders. Enfin, et ce n’est pas anodin, le crédit personnel de Mme Clinton fut miné par une avalanche de révélations qui dessinèrent le portrait d’une politicienne assoiffée de pouvoir, hypocrite, cupide, et compromise jusqu’à l’os avec ses bailleurs de fonds wahhabites.
La candidate démocrate bénéficiait du soutien quasi unanime des lobbies, des médias et des stars du show-biz. Elle a dépensé des sommes astronomiques, quatre à cinq fois supérieures au budget de son adversaire. Les conditions objectives étaient réunies pour lui assurer la victoire. Et pourtant elle a perdu.
Elle a cru, en effet, qu’il suffisait de caresser dans le sens du poil les minorités et d’agiter le spectre du racisme et du sexisme pour battre son adversaire. Mais l’accusation de racisme sonnait étrangement dans la bouche d’une ex-secrétaire d’État qui a littéralement gloussé de plaisir devant le cadavre mutilé d’un chef d’État arabe. De même, son équipe n’a pas compris que le problème de l’immigration illégale existait aussi dans la réalité, et pas seulement dans l’imagination des partisans du candidat républicain. L’administration Obama ayant expulsé des centaines de milliers de clandestins, Hillary Clinton et ses amis étaient bien placés pour le savoir.
On pourrait faire la même remarque à propos de l’accusation de sexisme. Parce qu’elle reçut dix millions de dollars d’une monarchie obscurantiste où l’on décapite au sabre les femmes adultères, Hillary Clinton n’était pas vraiment qualifiée pour traiter son adversaire d’affreux macho. Elle donnait des leçons de respectabilité internationale à Donald Trump, mais son expérience du pouvoir, au Département d’État, a surtout laissé une traînée de sang libyen et syrien.
Les adversaires du candidat républicain n’ont pas voulu voir ce qui se passait. Ils ont fait des gorges chaudes des déclarations démagogiques de Donald Trump sur les immigrés mexicains ou les musulmans étrangers. Mais c’est la charge contre le libre-échange qui fut le leitmotiv de sa campagne. Il a critiqué sans relâche l’OMC et dénoncé une globalisation responsable de la destruction des emplois. Opposé à la libéralisation effrénée du commerce mondial, il s’est prononcé sans équivoque pour l’instauration de barrières tarifaires. Dans une classe ouvrière ruinée par la concurrence chinoise, cet éloge du protectionnisme passait beaucoup mieux que les odes de Mme Clinton aux droits des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans).
Il est de droite, mais est-elle vraiment de gauche ?
Vainqueur des élections, ce porte-parole d’une couche entrepreneuriale arrimée au sol américain promet, une fois intronisé, de rénover des infrastructures publiques délabrées (routes, ports, aéroports). Il veut conforter l’indépendance énergétique des États-Unis au détriment de l’environnement, ce qui est un choix évidemment contestable. Il s’allie à des ultras conservateurs adeptes du créationnisme dont le principal représentant est Ben Carson, un républicain afro-américain. Il a le soutien d’une fraction de l’oligarchie capitaliste qui entend bien tirer profit de ce New Deal républicain.
Donald Trump est de droite, mais Hillary Clinton est-elle de gauche ? Il faudrait le demander à Goldman Sachs qui a financé sa campagne et aux 30 000 Libyens victimes de sa politique. Leur projet économique respectif les opposait. Pour gagner la compétition économique mondiale, Clinton voulait pousser les feux de la mondialisation libérale à l’abri d’un appareil militaire démentiel. Trump veut assigner des limites à la mondialisation et protéger l’économie nationale des turbulences planétaires. Il entend promouvoir un capitalisme national qui s’appuie sur la réindustrialisation du pays, tandis que son adversaire misait sur la prolifération à l’échelle planétaire d’activités de services. En politique étrangère, Hillary Clinton voulait prolonger à tout prix le « chaos constructif ». Le nouveau président pense que cette politique est contraire aux intérêts des États-Unis.
Défenseur des thèses israéliennes
Dans les jours qui ont suivi son élection, Donald Trump a appelé Vladimir Poutine. Il a déclaré à la presse qu’en Syrie la politique de son administration serait de combattre Daech, et non la Russie et la Syrie. Pour le futur président, la politique étrangère d’Obama est un fiasco dont il faut tirer les leçons. Durant la campagne, il a martelé son opposition à l’intervention militaire des États-Unis à l’étranger lorsque leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Il l’a dit clairement : la guerre par procuration en Syrie comme l’intervention en Libye ont semé un chaos dont Barack Obama et Hillary Clinton sont responsables.
De même qu’il a récusé le libre-échangisme, Trump a répudié le néoconservatisme en casque lourd. Simultanément, son adhésion aux thèses israéliennes sur Jérusalem en fait un défenseur intransigeant de la politique sioniste. Quel rôle joueront les États-Unis sur la scène internationale sous la présidence de ce conservateur déjà soumis à des influences contradictoires ? Il est difficile de prévoir ce que sera sa politique étrangère, même si ses déclarations laissent présager une révision de l’unilatéralisme mâtiné de smart power légué par les présidences précédentes. Wait and see !
(*)Bruno Guigue, est un ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’université de la Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe. L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.