Barack Obama parle de paix et de dénucléarisation de la planète, pendant que les États-Unis renforcent leur arsenal nucléaire et préparent silencieusement le peuple américain à une nouvelle guerre froide avec la Russie et la Chine. Les candidats à la présidentielles y participent insidieusement ou ouvertement.
Revenu aux États-Unis en pleine année électorale, je suis frappé par le silence. J’ai couvert quatre campagnes présidentielles, depuis 1968. J’étais avec Robert Kennedy lorsqu’il fut assassiné et j’ai vu son assassin se préparer à le tuer. Ce fut un baptême du feu à la mode américaine, tout comme la violence de la police à la Convention truquée du Parti démocrate.
La grande contre-révolution était lancée.
Le premier à être assassiné, cette année-là, fut Martin Luther King. Il avait osé faire le lien entre les souffrances des Afro-Américains et le peuple du Vietnam. Quand Janis Joplin chanta « Freedom’s just another word for nothing left to lose » (« La liberté n’est qu’un autre mot pour « il n’y a plus rien à perdre » », elle parlait peut-être inconsciemment pour des millions de victimes des Américains dans des pays lointains.
« Nous avons perdu 58 000 soldats au Vietnam, et ils sont morts pour défendre notre liberté. Aujourd’hui, ne les oubliez pas ». Ces mots sont ceux d’un guide du Service des parcs nationaux que j’ai filmé, la semaine dernière, au Lincoln Memorial, à Washington. Il s’adressait à un groupe de jeunes élèves en T-shirts orange. Semblant réciter son texte par cœur, il transformait la vérité en un mensonge incontesté. Les millions de Vietnamiens qui sont morts, ont été mutilés, empoisonnés et dépossédés par l’invasion américaine n’ont aucune place historique dans les jeunes consciences.
Il y a quelques années, je visitais une exposition populaire intitulée « Le Prix de la liberté », à la respectable Smithsonian Institution, à Washington. La foule de citoyens ordinaires, pour la plupart des enfants traînant des pieds dans une maison de Père Noël révisionniste, avait droit à divers mensonges : le bombardement atomique d’Hiroshima et Nagasaki avait « sauvé un million de vies », l’Irak était « libéré par les frappes aériennes d’une précision sans précédent ». L’héroïsme était sans conteste : seuls les Américains paient le prix de la liberté.
La campagne électorale 2016 est remarquable, non seulement pour l’ascension de Donald Trump et Bernie Sander, mais aussi pour la persistance d’un silence tenace sur une divinité meurtrière autoproclamée. Un tiers des membres des Nations unies ont chaussé les bottes de Washington, renversant des gouvernements, violant la démocratie, imposant des blocus et des boycotts. La plupart des présidents responsables sont des libéraux, Truman, Kennedy, Johnson, Carter, Clinton, Obama.
La masse époustouflante de perfidie a tellement imprégné la conscience collective, écrivait Harold Pinter que « rien ne s’est jamais passé. Rien n’est jamais arrivé. Même lorsque cela s’est passé, cela ne s’est pas passé. Aucune importance. Aucun intérêt. » Pinter exprimait une admiration ironique pour ce qu’il appelait « une manipulation quasiment clinique du pouvoir sur le monde, tout en la maquillant en une force pour le bien universel. » C’est « une opération d’hypnose brillante, voire drôle, et très réussie », ajoutait-il.
Prenez Obama. Alors qu’il prépare son départ, la flagornerie est à nouveau à l’ordre du jour. Il est « cool ». L’un des présidents les plus violents, Obama, a donné les pleins pouvoirs à l’appareil de guerre du Pentagone de ses prédécesseurs. Il a poursuivi en justice plus de lanceurs d’alerte – qui disaient la vérité – que tout autre président. Il a déclaré Chelsea Manning coupable avant même son procès. Aujourd’hui, Obama mène une campagne sans précédent de terrorisme et de meurtres par drones interposés.
En 2009, Obama a promis d’aider à « débarrasser le monde des armes nucléaires » et a reçu le Prix Nobel de la Paix. Aucun président américain n’a construit plus de têtes nucléaires qu’Obama. Il est en train de « moderniser » l’arsenal apocalyptique, y compris avec la « mini » arme nucléaire, dont la taille et la technologie « intelligente », selon un général, garantit que son utilisation « n’est plus impensable ». James Bradley, l’auteur à succès de Flags of Our Fathers et fils de l’un des Marines qui a planté le drapeau américain à Iwo Jima, dit : « L’un des grands mythes auquel nous assistons est celui d’un Obama pacifique qui essaie de mettre fin aux armes nucléaires. C’est le plus grand défenseur du nucléaire. Il nous entraîne sur une voie destructive de dépense de milliards de dollars pour les armes nucléaires. D’une certaine manière, les gens vivent dans l’illusion que, parce qu’il donne de vagues conférences de presse, qu’il fait des discours et des séances de photos décontractées, on est dans la politique réelle. Ce n’est pas vrai ».
Sous le regard d’Obama, on assiste à la préparation d’une seconde guerre froide. Le président russe est une méchante marionnette. Les Chinois ne sont pas encore revenus à leur sinistre caricature de porteurs de tresse – comme dans le temps où tous les Chinois étaient interdits d’États-Unis – mais les bellicistes des médias y travaillent.
Ni Clinton, ni Sanders n’ont mentionné cela. Il n’y a aucun risque, ni danger, pour les États-Unis et pour nous tous. Pour eux, la plus grande présence aux frontières russes depuis la Seconde guerre mondiale n’existe pas. Le 11 mai, la Roumanie a été mise « en ligne » avec une base de « défense anti-missiles » de l’OTAN qui dirige ses missiles américains de première frappe sur le cœur de la Russie, la seconde puissance nucléaire mondiale.
En Asie, le Pentagone est en train d’envoyer des bateaux, des avions et des forces spéciales aux Philippines pour menacer la Chine. Les États-Unis encerclent déjà la Chine avec des centaines de bases militaires qui forment un arc de l’Australie à l’Asie en passant par l’Afghanistan. Obama appelle cela un « pivot ».
La réponse directe de la Chine a été de changer de politique en matière d’armes nucléaires, passant du « non recours en premier » à l’« alerte de haut niveau », et en équipant ses sous-marin d’armes nucléaires. L’escalade s’accélère.
C’est Hillary Clinton qui, en tant que secrétaire d’État, en 2010, a transformé les revendications territoriales concurrentes pour des cailloux perdus dans la Mer de Chine en question internationale. L’hystérie de CNN et de la BBC a suivi. La Chine s’est mise à construire des pistes d’aéroport sur les îles en contentieux. En 2015, dans son gigantesque « war-game », l’Opération Talisman-Sabre, les États-Unis ont joué au « blocage » du Détroit de Malacca par lequel transitent la plus grande partie du pétrole et du commerce chinois. Ce n’est pas nouveau.
Clinton a déclaré que l’Amérique a un « intérêt national » dans ces eaux asiatiques. Les Philippines et le Vietnam ont été encouragés et corrompus pour maintenir leurs revendications et leur vieille inimitié avec la Chine. En Amérique, les gens sont en train d’être préparés à considérer toute position défensive de la Chine comme offensive. Le terrain est prêt pour une escalade rapide. La même stratégie de provocation et de propagande est appliquée à la Russie.
Clinton, la « candidate des femmes », laisse derrière elle une traînée de mauvais coups : au Honduras, en Libye (avec en prime l’assassinat du président libyen) et en Ukraine. Cette dernière est, aujourd’hui, un « parc à thème », avec des Nazis et la ligne de front d’une guerre à venir avec la Russie. C’est par l’Ukraine – littéralement, pays frontière – que les Nazis d’Hitler ont envahi l’Union soviétique qui a perdu 27millions de personnes. Le souvenir de cette catastrophe historique est toujours présent en Russie.
La campagne présidentielle de Clinton a reçu de l’argent de plusieurs des dix plus grandes compagnies mondiales de l’industrie de l’armement. Aucun autre candidat ne l’a égalée. Sanders, l’espoir de nombreux jeunes Américains, n’est pas très différent de Clinton dans sa conception privative du monde au-delà des États-Unis. Il a soutenu le bombardement illégal de la Serbie décidé par Bill Clinton. Il soutient l’utilisation terroriste des drones par Obama, les provocations contre la Russie et le retour des forces spéciales (escadrons de la mort) en Irak. Il n’a rien à dire sur l’orchestration des menaces faites à la Chine et sur l’accélération du risque de guerre nucléaire. Il est d’accord pour qu’Edward Snowden soit traîné en justice et appelle Hugo Chavez, – un social démocrate comme lui – « un dictateur communiste mort ». Il promet de soutenir Clinton si elle gagne les primaires.
L’élection de Trump ou de Clinton n’est que la vieille illusion d’un choix qui n’en est pas un. Ce sont les deux faces d’une même pièce. En faisant des minorités les boucs émissaires, et en promettant de « redonner sa grandeur à l’Amérique », Trump est un populiste d’ extrême droite. Mais le danger que représente Clinton pourrait être plus mortel pour le monde.
« Seul Donald Trump a dit des choses censées et critiques sur la politique étrangère américaine », écrivait Stephen Cohen, professeur émérite d’Histoire de la Russie, à l’université de Princeton et à la NYU (université de New-York), l’un des rares experts de la Russie aux États-Unis à s’exprimer sur le risque de la guerre. Dans une émission radiophonique, Cohen faisait référence à des questions critiques que seul Trump a posées. Entre autres : pourquoi les États-Unis « sont partout dans le monde » ? Quelle est la véritable mission de l’OTAN ? Pourquoi les États-Unis continuent de pratiquer la politique de changement de régime en Irak, en Syrie, en Libye, en Ukraine ? Pourquoi Washington traite la Russie et Vladimir Poutine comme des ennemis ?
L’hystérie des médias libéraux à l’égard de Trump favorise l’illusion d’un « débat libre et ouvert » et d’une « démocratie à l’œuvre ». Ses conceptions sur les immigrants et les musulmans sont grotesques, mais l’ « expulseur-en-chef » américain des gens vulnérables n’est pas Trump, mais Obama.
La campagne présidentielle ne concerne peut-être pas le populisme, mais le libéralisme américain, une idéologie qui se considère comme moderne et donc supérieure et panacée universelle. Ceux de son aile droite ont une similitude avec les impérialistes chrétiens du 19me siècle, investis par Dieu pour convertir ou coopter ou conquérir.
En Grande-Bretagne, c’est le « blairisme ». Le criminel de guerre chrétien Tony Blair s’en sort impunément avec sa préparation secrète d’invasion de l’Irak, en grande partie parce que la classe politique libérale et les médias ont été séduits par sa « Cool Britania » (expression qui caractérise le renouveau de la fierté culturelle du Royaume uni dans les années 1990, inspiré par la pop music des années 1960, et remise au gout du jour avec l’arrivée au pouvoir du Labour Party et de Tony Blair – NDT). Dans le Guardian, les applaudissements furent assourdissants. On disait Tony Blair « mystique ». Une diversion de politique identitaire importée des États-Unis qu’il a facilement entretenue. Plus d’Histoire, plus de classes et le sexisme promu féminisme. De nombreuses femmes devinrent des députés du New Labour. Elles votèrent, à la première séance du Parlement, pour la suppression des allocations de parent unique, pour la plupart des femmes, comme on leur avait demandé. Une majorité vota pour une invasion qui a fait plus de 700 000 veuves irakiennes.
Les États-Unis ont leur équivalent avec les bellicistes du New York Times, du Washington Post et des grands réseaux TV qui dominent le débat politique. J’ai regardé un débat enragé sur CNN sur les infidélités de Trump. C’était clair, disaient les intervenants, on ne pouvait pas faire confiance à un homme comme ça à la Maison Blanche. Il n’y a eu aucune question. Rien sur les 80% d’Américains dont les revenus se sont effondrés au niveau des années 1970. Rien sur la dérive guerrière. Le message semble être « pince-toi le nez » et vote pour Clinton : tout sauf Trump. C’est comme ça que vous arrêtez le monstre et préservez un système qui a soif d’une autre guerre.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
* John Richard Pilger est un journaliste australien basé en Angleterre, ancien correspondant de guerre au Vietnam et critique anti-impérialiste de la politique étrangère des États-Unis, de l’Australie et de la Grande-Bretagne, ainsi que des grands médias internationaux.
Sources : www.johnpilger.com /https://www.counterpunch.org