Le Brésil, House of Cards ? On peut parier qu’il finira comme Anaconda, avec Lula neutralisant les hyènes de la Guerre hybride dans une étreinte de cobra.
Jamais, dans le monde moderne, il n’a été aussi facile d’ « abolir le peuple » et d’éradiquer tout simplement 54 millions de votes exprimés dans une élection présidentielle libre et honnête.
Après un marathon mémorable, le Sénat brésilien a voté la procédure contre la présidente Dilma Rousseff pour « crimes de responsabilité » liés à un présumé « maquillage » du budget national. Le point culminant d’un processus interminable qui a commencé avant même la réélection, fin 2014, de Dilma Rousseff, élue avec 54 millions de voix. J’ai décrit la bande de responsables de ce que la créativité brésilienne a appelé « golpeachment », un mélange de « coup » et de mise en accusation, par les « hyènes de la Guerre hybride » (stratégie militaire qui combine guerre conventionnelle, non-conventionnelle et cyberguerre – NDT).
Le golpeachment soutenu par ce Collège Electoral Inquisitoire, a propulsé la Guerre hybride à de nouveaux niveaux. La Guerre hybride, appliquée au Brésil, a utilisé des éléments classiques de la révolution de couleur. Bien sûr, il n’y a pas eu besoin de zones d’exclusion aérienne ou d’impérialisme humanitaire pour « protéger les droits humains », ni, non plus, d’incitation à la guerre civile. Mais, considérant le haut niveau de résistance de l’État-victime, dont la société civile est très dynamique, les instigateurs de la Guerre hybride, dans ce cas, ont parié sur une combinaison de capitulation – et trahison – des élites locales, avec les « protestations pacifiques » et la campagne incessante des grands médias. Appelons ça une « guerre civile feutrée ».
Rousseff peut être accusée d’erreurs économiques sérieuses et d’être incapable d’articulation politique au milieu de la fosse à requins qu’est la politique brésilienne (immensément corrompue). Mais elle, elle n’est pas corrompue. Elle a fait une grave erreur en combattant l’inflation, laissant monter les taux d’intérêts à un niveau non viable, elle est le bouc émissaire (facile) de la récession au Brésil.
On peut la critiquer pour n’avoir pas eu un plan B pour combattre la récession. Le Brésil s’appuie essentiellement sur deux piliers : l’exportation des produits de base et la dépendance des entreprises locales au biberon étatique. L’infrastructure est, en général, mauvaise, à quoi il faut ajouter ce qui est décrit comme le « coût brésilien » du business. Avec l’écroulement de la production, les fonds publics ont été réduits et tout a été paralysé – crédit, investissement, consommation.
Le prétexte de la destitution de Rousseff – le soi-disant transfert de fonds des banques publiques au Trésor pour maquiller l’ampleur du déficit fiscal – est, au mieux, léger. Toute administration occidentale le fait, y compris celles de Clinton, Bush et Obama.
L’opération Car Wash, lancée il y a deux ans, était censée révéler la corruption du système politique brésilien, comme l’implication des dirigeants du géant pétrolier Petrobras, les compagnies BTP brésilienne et le financement de la campagne politique. Car Wash n’avait rien à voir avec l’organisation d’un golpeachment. Cependant, on s’est trouvé face à deux autoroutes parallèles aboutissant à une seule destination : la criminalisation du Parti des Travailleurs et l’assassinat, définitif si possible, de Rousseff et son mentor, l’ex-président Lula.
Quand le golpeachment a atteint la chambre basse du Congrès – un spectacle affligeant – Rousseff a été étripée par les hyènes de la Guerre hybride de l’espèce BBC. En anglais, BBC veut dire « balle, bible et troupeau », « balle » se référant à l’industrie de l’armement et de la sécurité privée, « bible » à pasteurs et fanatiques évangélistes, et « troupeau » au puissant lobby agro-industriel.
Les hyènes de la BBC sont membres de presque tous les partis politiques brésiliens, livreurs de journaux des grands titres et, non des moindres, partisans de la corruption. Elles bénéficient toutes des candidatures politiques des millionnaires. L’ensemble de l’enquête Car Wash, qui au Brésil, contrairement aux États-Unis, ne bénéficie pas de lobbies légalisés, est un « Ouest sauvage » à la Tarantino.
Le Sénat brésilien n’est pas exactement une chambre « haute ». 80% de ses membres sont des Blancs dans un pays où domine le métissage. 58% font, de façon sidérante, l’objet d’une enquête criminelle liée à Car Wash. 60% appartiennent à des dynasties politiques et 13% ne sont pas du tout élus. Parmi ceux qui ont prôné l’impeachment, 30 sur 40 ont un problème avec la loi. Les chefs d’inculpation incluent, principalement, le blanchiment d’argent, les crimes financiers et la corruption pure et simple. Renan Calheiros, le président du Sénat qui a supervisé le vote d’impeachment, est visé par pas moins de neuf enquêtes sur le blanchiment/corruption dans le cadre de Car Wash, plus deux autres enquêtes criminelles.
Rousseff est désormais suspendue pour un maximum de 180 jours, le temps donné à un comité du Sénat pour décider du bien fondé de l’impeachment. Arrive, maintenant, le président par intérim Michel Temer – un manipulateur dangereux et véreux – qui a été qualifié d’ « imposteur » par Dilma Rousseff. Et imposteur, ce Brutus local l’est sans aucun doute : « L’impeachment est impensable, il provoquerait une crise institutionnelle. Il n’y a aucune base juridique ou politique pour ça », écrivait-il sur Tweeter, le 30 mars.
Son administration est née avec le péché originel d’illégalité et d’impopularité massive. Son taux de popularité flotte entre 1 et 2%. Il a, déjà, été condamné, la semaine dernière, pour violation du plafond de financement électoral. Enlisé dans un marécage de corruption, il est cité dans deux affaires par Car Wash et accusé de participation à un projet illégal d’achat d’éthanol. Il pourrait être inéligible pendant les huit prochaines années. Pratiquement 60% des Brésiliens veulent, aussi, son impeachment, sur la base des mêmes accusations que celles portées contre Rousseff.
Brutus 1 (Temer) ne jouirait pas de ses quinze minutes de gloire sans les magouilles de Brutus 2, Eduardo Cunha, le champion des escrocs brésiliens, ex-président de la chambre basse, qui doit répondre des accusations de pots de vin et de parjure, détient des comptes illégaux en Suisse et est, maintenant, mis sur la touche par la Cour suprême. C’est Brutus 2 qui a accéléré l’impeachment par pure vengeance. Le Parti des Travailleurs ne l’a pas couvert lorsqu’il a eu à affronter un tsunami d’accusations de corruption. Brutus 2 a utilisé tout son immense pouvoir – il mène une campagne pour financer une escroquerie à l’intérieur du Congrès – pour obstruer l’enquête Car Wash. Son remplaçant, le président du Congrès par intérim, fait, également, l’objet d’une enquête pour corruption.
Temer, Cunha, Calheiros, ces trois « amigos » sont les véritables stars de la République bananière des crapules et des escrocs. Et, bien sûr, la Cour suprême est exempte de fripouilles ! Le juge Gilmar Mendes, par exemple, est un vassal ploutocrate du plus bas niveau. Lorsqu’un procureur a présenté une motion visant à suspendre l’impeachment, il a lancé ironiquement : « Ah, ils peuvent aller au paradis, chez le Pape ou en enfer ! ». Un autre juge prétentieux a reçu une requête pour écarter Cunha dès décembre 2015. Il a examiné la requête quatre mois plus tard, quand le plan du golpeachment était dans sa phase décisive. Il a même déclaré qu’ « il n’y a aucune preuve que Cunha a contaminé le processus d’impeachment ».
Finalement, pour être complet sur toute cette escroquerie, nous trouvons les grands médias brésiliens, avec, en première ligne, l’empire toxique Globo qui a largement profité du coup d’État militaire de 1964.
Wall Street et la City de Londres, n’ont pas pu cacher leur excitation, pensant que Brutus 1 Temer serait un mieux économique. Sans doute, pourrait-il oser ajuster le code fiscal kafkaïen et faire quelque chose concernant le trou énorme dans le système des retraites. Mais ce que cette entité mytique – les « marchés » – et la myriade d’ « investisseurs » salivent le plus, c’est la perspective de fabuleux taux de rentabilité dans un Brésil à nouveau ouvert à la spéculation. Le jeu de Brutus 1 sera un gueuleton néolibéral, en réalité une « restauration » sans représentation populaire d’aucune sorte.
Le gang du golpeachment est réellement furieux quand on les identifie à des fomenteurs de coup d’État. Pourtant, ils ne peuvent pas négliger le fait que l’OAS (Organisationdes États Américaine), le Mercosur, l’Unasur ont, tous, condamné le coup, sans parler du Saint-Graal : les BRICS. Sous Brutus 1, le ministère des Affaires étrangères qui sera dirigé par un sénateur mauvais perdant, devra faire sombrer le rôle clé du Brésil dans la coopération BRICS, au bénéfice de l’Exceptionalistan.
Tout ce qu’on doit savoir, c’est que ni le Prix Nobel « Kill List » Obama, ni la Reine du Chaos Hillary « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » Clinton n’ont condamné le changement de régime/feutré/golpeachment. C’était prévisible, considérant les opérations d’espionnage de la NSA en Exceptionalistan concernant Petrobras, et Dilma Rousseff personnellement, genèse de ce qui devait devenir l’enquête Car Wash.
Le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest s’est limité aux platitudes habituelles : « un moment difficile », « confiance dans les institutions brésiliennes », ou même « démocratie mature ». Il a, cependant, ajouté de façon significative que le Brésil est « sous surveillance ».
Bien sûr, l’étape actuelle de la stratégie très sophistiquée de la Guerre hybride est terminée. Mais d’innombrables inconnues restent à venir. L’enquête Car Wash, ralentie en ce moment, va s’accélérer, une éruption d’affaires sales étant déjà en stock pour créer les conditions d’une criminalisation définitive, non seulement de Dilma Rousseff, mais de la pièce maîtresse de l’échiquier : Lula.
La partie est terminée ? Pas si vite. Le front anti-golpeachment doit avoir une stratégie : imprimer, particulièrement dans le « Brésil profond » – les larges masses de salariés pauvres – la notion d’égalité, reconstruire l’image de Rousseff en tant que victime d’une profonde injustice, redonner de l’énergie au front progressiste, faire en sorte que le gouvernement de Brutus 1 échoue et créer les conditions pour que celui « qui viendra du froid » gagne les élections présidentielles de 2018.
Le Brésil, House of Cards ? On peut parier qu’il pourrait, même, finir comme Anaconda, avec Lula neutralisant les hyènes de la Guerre hybride dans une étreinte de cobra.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne pour Afrique-Asie
*Pepe Escobar, né au Brésil, est un analyste géopolitique indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient, l’Asie central et de l’est. Il est auteur de nombreux ouvrages.