Chaque jour, retrouvez un article publié dans notre magazine. Aujourd’hui : la Côte d’Ivoire
Début du procès de Laurent Gbagbo, premier chef de l’État à être jugé par la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité. Pour le moins partial.
Et si tout s’était joué ce lundi 1er février lorsque Me Emmanuel Altit s’est levé au nom de la défense ? Pour répondre à la procureure gambienne Fatoumata Bensouda et à l’avocate italienne Paolina Massidda, « représentante des victimes » (mais qui de fait ne représente que les victimes pro-Ouattara), l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a fait le choix paradoxal d’un avocat français rompu à ce curieux mixte de la procédure de la Cour pénale internationale (CPI), entre commun Law et droit civil.
À la surprise de beaucoup, le public a eu droit à une défense de rupture – non pas à la Jacques Vergès qui eut remis en cause la légitimité de la Cour elle-même. L’avocat de la défense s’est attaqué à la « France coloniale » qui « a fait le travail » : renverser le régime Gbagbo et arrêter le président lui-même, avant que les forces spéciales françaises ne le livrent aux partisans d’Alassane Ouattara le 11 avril 2011.
Remontant à l’élection de Laurent Gbagbo en 2000, et surtout au début de la rébellion de Guillaume Soro en 2002, Me Altit n’eut de cesse de rappeler le contexte des quatre graves épisodes de la « crise postélectorale » (décembre 2010-avril 2011) reprochés aux deux accusés : le refus de certains milieux françafricains de l’élection de 2000 et la rébellion téléguidée depuis 2002 à partir du Burkina Faso.
Au-delà des 726 victimes du camp Ouattara représentées à la CPI, et même des 3 000 victimes « officielles » de la crise, la défense peut s’appuyer sur les chiffres jusqu’ici tenus sous le boisseau de la Commission dialogue, vérité, et réconciliation pilotée par l’ancien ministre ivoirien Charles Konan Banny qui estime le bilan de la crise à plus de 16 000 victimes en Côte d’Ivoire, y compris dans le Nord mis en coupe réglée par les fameux et sanglants « com-zone » de Soro.
Ce sont bien deux conceptions de l’histoire récente qui se sont affrontées, et le malaise croissant du procureur (qui instruit à charge) devant les preuves multiples de la défense révélait cruellement les lacunes d’une version franco-ivoirienne progressivement battue en brèche par nombre d’ouvrages récents et de repentis médiatiques.
Les incidents d’audience successifs, la révélation inopinée par le procureur MacDonald de l’identité de cinq témoins de l’accusation en principe anonymes (dont le général Mangou, ex-chef d’état-major des armées du président Gbagbo), le côté babélien des témoignages (traduction français-anglais-dioula chaotique) peuvent aboutir, comme le dit la journaliste Leslie Varenne, à un « désastre judiciaire », ou même pour Stéphanie Maupas, journaliste au Monde, à la constatation publique que la CPI n’est qu’un malhabile « joker des puissants ».
Une solution négociée, à commencer par une assignation à résidence de Laurent Gbagbo (dont les 70 ans amènent à réflexion) est-elle possible ? Ou faudra-t-il assister trois ans encore à cette tragi-comédie ? Si tout est possible, c’est aussi parce que la présidentielle 2015 est déjà passée à Abidjan : n’était-ce pas, pour beaucoup d’observateurs, la raison profonde de cette inéquitable « justice des vainqueurs » ?