Retrouvez chaque jour un article original de notre magazine. Aujourd’hui : le Burundi.
Après le refus des présidents africains d’envoyer une force de protection de la population, plus rien ne semble faire obstacle à la conflagration intérieure.
Comme on pouvait le craindre, les chefs d’État africains n’ont pas pu s’entendre, les 30 et 31 janvier à Addis-Abeba, sur l’envoi au Burundi des 5 000 hommes de la Mission d’assistance et de protection au Burundi (Maprobu). La proposition avait été faite en décembre dernier par la présidente de l’Union africaine (UA), Nkosazana Dlamini-Zuma, pour protéger la population et favoriser les négociations entre le pouvoir et l’opposition. L’UA a renoncé après la menace du président burundais Pierre Nkurunziza de considérer cette troupe comme une « force d’invasion et d’occupation ».
La déception est considérable dans l’opposition burundaise. Juste avant, l’ancien président hutu Sylvestre Ntibantunganya avait confié à Afrique Asie son espoir quele continent africain « soit le plus unanime possible pour dire à Pierre Nkurunziza que les troupes viennent pour prévenir tout dérapage, mais aussi pour assurer la protection des Burundais, aujourd’hui menacés par la violence ». Pour Léonard Nyangoma, président du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un État de droit au Burundi (Cnared, qui regroupe toute l’opposition non armée), l’UA a également perdu une occasion d’apaiser les tensions. À défaut d’envoyer des troupes d’autres pays, les chefs d’État africains auraient pu au moins envoyer chez eux les quelque 6 000 soldats burundais des missions de maintien de la paix en Somalie et en Centrafrique. « Pourquoi les maintenir dans ces pays alors qu’on ne parvient pas à assurer la sécurité au Burundi ? C’est une contradiction énorme ! », s’est-il insurgé.
Une idée « rocambolesque » !
Mais fonder tous les espoirs sur le déploiement de la mission africaine était peut-être illusoire. Quand bien même aurait-elle été mise sur pied qu’elle n’aurait pas eu de négociateurs à protéger, en l’absence de dialogue. Depuis la fin 2015, Nkurunziza a refusé de négocier avec le Cnared, et l’opposition exige comme préalable aux négociations le départ du président. Le 2 février, ce dernier a semblé plus conciliant, se déclarant prêt à coopérer avec Jamal Benomar, le conseiller spécial du secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon, pour permettre l’ouverture d’un dialogue national et ramener le calme dans le pays. Mais cette volonté apparente de dialogue a été démentie par les mandats d’arrêt émis le même jour par la justice burundaise contre les opposants, membres de la société civile et journalistes exilés, déplore le porte-parole adjoint du Cnared, Pancrace Cimpaye. Pour lui, cette « chasse à l’homme » bloque définitivement la perspective de négociations.
En revanche, Gélase Ndabirabe, porte-parole du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), s’est réjoui, dans un discours radiodiffusé le 2 février, que l’idée « rocambolesque » du déploiement de la Maprobu ait été abandonnée. Et de célébrer l’échec de la prétendue tentative d’installer à Bujumbura un gouvernement de transition dirigé par l’ex-président tutsi Pierre Buyoya, autre membre du Cnared. Ce projet aurait été le résultat de l’« attitude honteuse » de l’ambassadrice américaine à l’Onu, Samantha Power, de l’ancien ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel et du président rwandais Paul Kagame, tous impliqués dans un « complot international ». Selon Ndabirabe, Kagame aurait des visées colonialistes sur le Burundi et mis au point un plan d’attaque pour diriger son pays en recourant à « une ruse ethnique ». Le porte-parole du parti au pouvoir tient le même discours que les génocidaires rwandais de 1994 accusant Kagame d’avoir recouru au génocide, en sacrifiant ses propres frères, pour prendre le pouvoir. Ndabirabe accuse aussi Amnesty International et Human Rights Watch, également impliquées dans le « complot », de propager des mensonges en dévoilant la présence de fosses communes.
« Tueries à tendance génocidaire »
En définitive, le Cnared redoute que la crise ne dégénère en une guerre civile qui aurait aussi des conséquences pour la République démocratique du Congo, le Rwanda et la Tanzanie. Des craintes fondées : le 1er février, un nouveau groupe rebelle (voir encadré), le mouvement Résistance pour un État de droit au Burundi (RED-Tabara) a appelé les Burundais de l’intérieur et de la diaspora à se joindre à « la résistance armée contre la barbarie meurtrière du pouvoir tyrannique en place à Bujumbura ». Pour l’opposant en exil, Alexis Sinduhije, ancien journaliste et leader du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), « on est déjà en guerre civile ». Et celle-ci risque de durer. « Nkurunziza n’arrivera pas à anéantir les mouvements rebelles qui sont en train de naître. Ça fait huit mois qu’il essaie. Ces mouvements vont croître. Et ils deviendront progressivement assez solides pour menacer son pouvoir », prévient Sinduhije, qui dément faire partie d’un groupe armé, comme l’en accuse le gouvernement.
Sinduhije reste toutefois réservé sur les déclarations de responsables de l’Onu selon lesquelles le Burundi court au génocide. « Il y a des tueries à tendance génocidaire. Mais vouloir dire qu’il y a un génocide contre les Tutsi serait tomber dans l’indignation sélective. Nkurunziza tue tout le monde, à la fois des Hutu et des Tutsi. Il n’y a pas un calcul d’extermination des Tutsi, mai un calcul d’extermination de tous ceux qui lui sont opposés », considère Sinduhije. Il doute que le Rwanda soutienne ces groupes rebelles, comme l’affirment les officiels burundais. « Si le Rwanda était réellement derrière ces groupes, le problème de Nkurunziza serait déjà réglé. Et ces groupes armés seraient à la tête du pays », analyse l’ancien journaliste. Mais, dans l’opposition, on n’exclut pas que les officiels rwandais ferment les yeux sur les opérations de recrutement des rebelles sur leur territoire. Nyangoma exprime un avis assez proche. « Nkurunziza ces derniers mois cherche à tirer sur la corde ethnique en faisant croire que les Tutsi seraient soutenus par le Rwanda pour l’agresser. C’est un montage. Car nous savons que, pendant son mandat jusqu’en 2015, il avait de très bons rapports avec le gouvernement rwandais », explique le leader du Cnared. Il n’en est « pas encore » à soutenir les rebelles, mais déclare « ne pas condamner ceux qui ont pris les armes pour résister au pouvoir fasciste de Bujumbura », décrits comme des « forces loyalistes », fidèles à la Constitution de 2005 limitant à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs.