Pour celui qui se présente comme l’adversaire numéro 1 d’Ali Bongo, et aspire à lui succéder, rien ne se passe comme prévu…
Il y a un an, lorsque Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union africaine (Ua) et ancien poids lourd du régime du président Omar Bongo Ondimba officialisait son nouveau statut d’opposant radical au fils Bongo, Ali, ses partisans avaient le sourire, convaincus que l’heure de leur champion était sûrement arrivée. L’opposition classique gabonaise, en panne d’arguments nouveaux contre Ali Bongo Ondimba accueillait avec beaucoup d’espoir ce « ralliement » de l’ancien ponte, censé accroître la possibilité d’une alternance à la tête du pays à l’occasion de la présidentielle théoriquement prévue au cours du deuxième semestre 2016.
Mais, le bel attelage s’est progressivement disloqué, devant les egos surdimensionnés des opposants à Ali Bongo. Las d’attendre que se tienne la primaire censée départager les candidats à la candidature unique au sein du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fuopa, principale coalition de l’opposition), Jean Ping a forcé son destin. Prenant de court ses concurrents, il a déclaré sa candidature à la présidentielle de façon unilatérale dès le 5 janvier, avant de se faire adouber dix jours par une partie des mouvements composant le Front, lors d’une convention déclarée illégale par les frondeurs. Du coup, le divorce semble consommé entre pro et anti-Ping au sein même de la coalition de l’opposition.
A mesure qu’approche l’échéance présidentielle, l’opposition radicale autrefois soudée pour dénoncer le régime d’Ali Bongo, se rapproche plutôt de la scission définitive entre ses leaders. Dans cette descente aux enfers programmée, la journée du 13 février constitue une étape clef. Ce jour-là, deux têtes d’affiche du Front, Jean Ping et Zacharie Myboto ont étalé à nouveau leurs divergences en organisant des événements parallèles, jaugeant à distance leurs capacités de mobilisation. Tandis que Myboto célébrait le sixième anniversaire de son parti, l’Union nationale, Jean Ping prenait plutôt part à une manifestation dénommée « Convention citoyenne pour le changement et l’alternance Jean Ping 2016 », une tribune au cours de laquelle il a réitéré sa candidature à la présidentielle.
La sérénité n’est plus de mise chez les opposants radicaux à Ali Bongo. Le discours de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine lors de la fameuse « convention citoyenne » de la mi-février, en est une parfaite illustration. Même s’il a dit accepter l’appel de ses concitoyens à briguer la magistrature suprême, Ping n’a pas caché la difficulté de la tâche, criant à la trahison de certains opposants qui serait à l’origine de la perpétuation des régimes Bongo, père et fils.
«Je pense que ce qui a manqué hier à Mba Abessole en 1993, à Mamboundou en 1998 et à Mba Obame en 2009, et qui risque de nous manquer demain si l’on n’y prend garde, c’est la capacité de l’opposition à s’unir de façon unanime et sincère derrière un candidat unique et à le soutenir franchement pour revendiquer la victoire et accéder au pouvoir. Ce qui nous a également desservi, c’est le jeu sournois des uns et des autres qui, nichés jusque dans l’opposition travaillent et continuent de travailler avec le système. C’est ce jeu qui, à mon avis a validé toutes les impostures» , analyse-t-il.
En face, le camp Ali Bongo se frotte les mains. Les dissensions entre les chefs de l’opposition, c’est du pain bénit pour l’actuel locataire du palais de bord de mer. Bien que sa candidature ne fasse pas l’unanimité au sein de sa propre formation politique, comme le laisse penser les défections d’anciens barons, le clan Bongo paraît moins éprouvé que l’opposition gabonaise. Ses communicants peaufinent une stratégie devant mettre en exergue les grands chantiers réalisés et les projets à venir, au cas où le président était reconduit.
Malgré une conjoncture pas très favorable, Jean Ping veut se persuader que son heure est arrivée. « J’ai des atouts pour gagner cette élection présidentielle. Et ils sont de deux ordres, renseigne-t-il. Ils sont d’abord d’ordre interne : l’expérience que j’ai accumulée au niveau national, comme directeur de cabinet du président Omar Bongo pendant six ans, puis dix ans ministre des Affaires étrangères et enfin vice-Premier ministre, constitue une base solide pour prétendre briguer la magistrature suprême du pays ». Quant à ses atouts internationaux, Ping rappelle volontiers qu’il a dirigé l’Opep, présidé la 59e Assemblée générale des Nations unies avant la commission de l’Union africaine. « Mes relations personnelles avec plusieurs chefs d’État d’Afrique et d’autres continents, sans oublier celles que j’entretiens avec les principaux responsables de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et de l’Union européenne, seront utiles dans la résolution de nombreux problèmes que nous laissera ce pouvoir dont la boulimie financière a frôlé les records », se convainc l’ancien ministre gabonais des Affaires étrangères.
Ces atouts seront-ils suffisants pour succéder à Ali Bongo dans quelques mois ? Rien n’est moins sûr. Le Gabon étant abonné aux retournements impromptus d’alliances, il se peut que, sur la dernière ligne droite, des personnalités annoncées comme étant des opposants irréductibles rejoignent le camp présidentiel, « au nom de l’intérêt supérieur de la nation ». Pour ne rien arranger, la stratégie du candidat Ping qui consiste à ameuter le sérail politique français au sujet du « chaos gabonais » et de mobiliser quelques soutiens, rebute encore nombre de Gabonais. Commentaire du petit peuple : l’élection se passe au Gabon. Et à chaque fois que Ping se rend à Paris, il s’éloigne du palais de bord de mer.