Le Sud-Africain Tony Ehrenreich, membre de la communauté juive sud-africaine et secrétaire de la confédération syndicale Cosatu pour la région du Western Cape, s’est attiré les foudres, en août, du South African Jewish Board of Deputies (SAJBD) le groupe des députés juifs sud-africains au Parlement, en diffusant sur Facebook un texte dénonçant les crimes d’Israël à Gaza.
« Le moment est venu de rendre « œil pour œil » à l’agression sioniste », titre le texte.
« Nous avons tous noté les terribles destructions, mutilations et massacres perpétrés à Gaza. L’armée israélienne a agi en toute impunité, dans sa tentative de voler la terre palestinienne. Ces actes lâches ont été condamnés internationalement par le gouvernement et des millions de personnes dans les rues. Nous avons vu dans notre pays le Jewish Board of Deputies (JBD) organiser des rassemblements pour manifester son soutien au massacre de Palestiniens. Nous savons que le JBD a facilité et soutenu le financement de l’armée israélienne et permis à des jeunes Sud-Africains de se joindre aux massacres à Gaza. Ce qui fait du JBD le complice des crimes contre le peuple de Gaza. Le temps est venu de dire très clairement que si une femme ou un enfant est tué à Gaza, le JBD, qui est complice, subira la colère du peuple d’Afrique du Sud selon l’antique leçon biblique « œil pour œil ». Le temps est venu de mener le combat partout où les partisans du sionisme financent et approuvent la machine meurtrière de guerre d’Israël. Dans d’autres pays, des gens ont combattu chez eux pour la libérer les Sud-Africains de l’apartheid, nous avons le devoir de faire de même pour d’autres pays où on pratique l’apartheid. »
Tony Ehrenreich a, bien sûr, été immédiatement accusé par les organisations sionistes sud-africaines, d’antisémitisme et d’incitation à la haine et menacé par le SAJBD, d’une plainte en civil et en pénal, soutenu par la Fédération sioniste sud-africaine et le Congrès juif mondial.
Tony Ehrenreich qui a précisé que sa démarche était personnelle et indépendante de ses fonctions à la Cosatu, a refusé de retirer ses propos ou de s’excuser. Sa réponse est claire. Il ne s’agit pas pour lui d’un appel à la violence ou à la haine contre la communauté juive à laquelle il appartient. « Je considère que ce que j’ai écrit signifie, non pas une quelconque violence contre les Juifs, mais qu’il doit y avoir des actions proportionnelles contre Israël ».
L’Afrique du Sud est très engagée dans le soutien à la Palestine et la lutte contre le sionisme. En juillet, le président Jacob Zuma avait pris position très clairement contre la politique israélienne en Palestine. Tout en appelant le Hamas à mettre fin à ses tirs de roquettes sur le territoire israélien, « nous nous opposons fortement contre la construction et l’expansion de colonies dans les territoires palestiniens occupés par le gouvernement israélien qui viole la loi internationale, sape gravement les efforts de paix et menace la viabilité d’une solution de deux États », avait-il déclaré. Il saluait les efforts d’unité entre les Palestiniens, dont la formation d’un gouvernement d’union nationale et la perspective d’élections générales. De son côté, l’ANC, dans un communiqué, qualifiait les attaques de « barbares » et comparant Israël aux Nazis, elle l’accusait de « transformer les territoires palestiniens en camps de la mort permanents. »
Mais en Afrique du Sud, qui a connu les plus massives manifestations de son histoire pendant l’attaque d’Israël contre Gaza, c’est la société civile qui, au-delà des mots et des déclarations officielles, a fait de la question palestinienne une priorité. Le mouvement « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS), a été lancé par l’historique cadre de l’ANC, Ronie Kasril. Un grand nombre de juifs arrivés au début des années 1800, et plus massivement à partir de 1881, fuyant les pogroms dans l’empire russe, défendaient des idéaux progressistes, voire socialistes. Certains de leurs descendants, comme Rosnie Kasrils, ont joué un rôle politique important tant au sein du Parti communiste que de l’ANC, à l’image de Joe Slovo ou Denis Goldberg ou encore Albie Sachs, le « père » de la constitution sud-africaine post-apartheid. Rosnie Kasrils, ancien membre de la direction du Parti communiste et de l’ANC dont il était le chef des services secrets pendant la lutte et dont il fut le ministre des Services de renseignements de 2004 à 2007, lança, en 2001, la « Déclaration de conscience des descendants de juifs sud-africains ». Il fit, lui aussi, l’objet d’une plainte, en 2006, du South African Jewish Report, aux mêmes motifs que Tony Ehrenreich. Et lorsqu’il invita, en 2007, le Premier ministre palestinien, Ismail Haniyeh, à consacrer sa première visite hors du monde musulman, en Afrique du Sud, le même SAJBD condamna l’invitation pour « idéologie raciste ».
La décision prise octobre 2013 par le Trauma Center for Survivors of Violence and Torture, institution hautement respectée pour sa mission, créée sur l’île de Robben Island, le tristement célèbre bagne où nombre de dirigeants et membres de l’ANC, dont Nelson Mandela, ont passé de longues années de détention, a jeté un nouveau et gros pavé dans la mare sioniste sud-africaine. En effet, le Trauma Centre a décidé, en association avec BDS, de rompre toute relation avec la compagnie de sécurité G4S. « Le Trauma Centre s’est donné pour mission de créer une société libre de violence et de torture, et une culture des droits humains. Nous accordons, donc, toute notre attention aux allégations sérieuses concernant la complicité de la compagnie de sécurité G4S dans la détention illégale et la torture de Palestiniens en Israël et les Territoires palestiniens occupés. De tels actes violent les principes fondamentaux de notre raison d’être en tant qu’organisation des droits humains. Et c’est parce qu’ils violent nos valeurs fondamentales que le Conseil du Trauma Centre a décidé de mettre un terme à nos relations avec G4S », écrit James Taylor, son président, dans un communiqué.
La compagnie privée multinationale de sécurité G4S avait, en octobre 2013, été confondue d’actes de tortures et de mauvais traitements à la prison sud-africaine de Mangaung, entre autres, infligeant des électrochocs aux prisonniers, leur administrant à doses répétées des produits antipsychotiques contre leur volonté, ou utilisant la torture. G4S, entreprise britannique, est la troisième entreprise du genre dans le monde. Elle est présente dans plus de 120 pays et emploi plus de 600 000 personnes.
En Israël, G4S contrôle les prisons de Ketziot et Megiddo où sont détenus les prisonniers politiques, mais aussi des enfants, emprisonnés sans procès et soumis à la torture. La compagnie fournit aussi des équipements à la prison d’Ofer située en Cisjordanie occupée, ainsi qu’aux centres de détention de Kishon et Moskobiyyeh dénoncés par les organisations des droits humains pour pratiquer la torture systématique et les mauvais traitements à l’égard des prisonniers palestiniens, y compris les enfants. Outre les prisons, G4S assure services et équipements aux checkpoints en Cisjordanie, au blocus de Gaza, aux bases militaires, aux centres de police et aux sites industriels illégaux dans les territoires occupés.
Depuis la grande grève de la faim des prisonniers palestiniens en avril 2012, la campagne de BDS, particulièrement en Afrique du Sud, a convaincu de nombreuses entreprises, syndicats, universités et autres institutions publiques de rompre leurs relations avec G4S.
Fin 2013, Fatima Asmal, épouse de Marwan Barghouthi – secrétaire général du Fatah pour la Jordanie membre du Parlement et du Conseil législatif palestinien, détenu depuis 2002 dans une prison de haute sécurité israélienne et condamné à cinq peines de prison à perpétuité, devenu le symbole de la lutte pour la libération des prisonniers palestiniens – assistait, à Robben Island, au lancement de la campagne internationale par la Fondation Ahmed Kathrada – autre compagnon de bagne de Nelson Mandela – pour la libération de son mari et des autres prisonniers. Le symbole était fort, et le message peu apprécié par les autorités israéliennes qui continuent de marteler qu’il n’y a pas de « prisonniers politiques » en Israël, et les organisations sionistes en Afrique du Sud.
L’engagement sud-africain contre la politique israélienne est fort et clair. La récente menace du Forum sud-africain d’action de soutien à la Palestine, d’engager des poursuites pénales contre les mercenaires sud-africains qui auraient servi dans l’armée israélienne, au terme de la loi qui interdit à tout citoyen sud-africain de participer à des conflits armés hors les frontières nationales, se situe dans la ligne de l’appel à un renforcement de la mobilisation contre Israël, y compris de la part du gouvernement, lancé par Tony Ehrenreich. Et il n’est pas le seul ni le premier dans la communauté juive, à s’engager dans ce combat.
La dernière offensive d’Israël contre Gaza a provoqué un sursaut de conscience au sein la communauté juive sud-africaine – 100 000 membres environ et plutôt sioniste – qui montre une division plus profonde sur la politique d’Israël en Palestine. Preuve en est, entre autres, ces appels qui inquiètent les autorités israéliennes et sionistes sud-africaines, signés par plusieurs centaines de juifs d’Afrique du Sud en juillet dernier. « Nous, descendants de Juifs sud-africains, condamnons fortement le bombardement israélien de la Bande de Gaza », dit le premier appel lancé par des personnalités juives du monde universitaire plus particulièrement. « Cette agression se place dans le contexte de sept ans de blocus de Gaza qui ont gravement altéré la santé, les infrastructures sanitaires, détruit les emplois et provoqué des pénuries importantes des produits de première nécessité. (…) L’impunité dont bénéficie le comportement d’Israël ne peut être tolérée plus longtemps. Nous pensons que le temps est venu pour le gouvernement sud-africain de rompre tout lien avec Israël », conclut l’appel.
Une autre pétition, plus large, était lancée dans la communauté juive contre les attaques menées par Israël. « Nous, Juifs sud-africains, sommes atterrés et dévastés par l’assaut d’Israël contre Gaza. (…) Nous nous désolidarisons des organisations juives sud-africaines dont le soutien aveugle aux actions disproportionnées d’Israël nous éloigne d’une résolution juste du conflit », dit, entre autres la pétition signée massivement peu après sa diffusion.
Certes, l’appel de Tony Ehrenreich peut être jugé excessif dans ses termes, mais il reflète la sincère et profonde colère des Sud-africains, dont plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont marché sur le Parlement national à Cape Town, le 9 août, à l’appel de la Coalition nationale pour la Palestine qui regroupe plus de trente organisations religieuses et de la société civile, syndicats et partis politiques. À Cape Town comme dans toutes les villes où se déroulaient des manifestations massives, les manifestants demandaient « une action décisive du gouvernement sud-africain contre les attaques israéliennes » et exigeaient « des actes au-delà des mots » de la part des autorités.