Nouvelle crise au Mali après l’acquisition d’un avion présidentiel et la signature d’un contrat par le ministère de la Défense. Deux opérations hors budget qui “préoccupent” le FMI. Tandis que la Banque mondiale a suspendu à son tour son aide. Le Mali a jusqu’en septembre pour convaincre de sa bonne gestion.
Légende : Jusque-là, le chef d’État malien, Ibrahim Boubacar Keïta, utilisait un Boeing 737 “prêté” par la Libye de Kadhafi, un appareil en panne depuis septembre 2013.
Trois mois pour convaincre. Les autorités maliennes ont-elles utilisé des fonds du Fonds monétaire international (FMI) pour se payer un avion présidentiel à 40 millions de dollars (29,5 millions d’euros) ? Et pourquoi l’État a-t-il apporté sa garantie à un intermédiaire dans un contrat d’équipements pour le ministère de la Défense ? Un contrat militaire de 108 milliards de francs CFA, soit 165 millions d’euros.
Les 4 et 6 septembre prochains, une rencontre est programmée pour tirer ces questions au clair entre les représentants du bailleurs de fonds international à New York et les équipes de la ministre de l’Économie et des Finances de la république du Mali, Bouaré Fily Sissoko.
Un rendez-vous qui a été décidé lors de la convocation de la ministre au siège du FMI, du 16 au 18 juin. Sommée de venir s’expliquer à New York, Bouaré Fily Sissoko est repartie avec une feuille de route très précise, après son entretien avec Christian Josz, chef de mission du FMI pour le Mali.
“Engagement de bonne gouvernance des finances publiques”
“Au cours de ces dernières semaines, les services du FMI et du ministère de l’Économie et des Finances de la république du Mali ont tenu des discussions à propos de l’achat récent d’un avion, d’un contrat de fournitures autres que des armes et munitions passé par le ministère de la Défense et des Anciens Combattants, et de l’octroi d’une garantie par l’État lié à ce contrat ainsi que d’autres contrats”, a expliqué le communiqué du FMI rédigé le 18 juin à l’issue de la rencontre.
Et de poursuivre : “L’objectif de ces discussions est de s’assurer que la conduite des finances publiques au Mali est compatible avec les objectifs quantitatifs et les engagements de bonne gouvernance des finances publiques du gouvernement du Mali dans son arrangement au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) que le conseil d’administration du FMI a approuvée le 18 décembre 2013.”
À cette occasion, le FMI a ainsi accordé au Mali un prêt de 46,2 millions de dollars sur trois ans, destiné à combler les besoins de financement du pays et à lutter contre la pauvreté, et qui fait suite à deux aides 33 millions de dollars. Le FMI a décaissé immédiatement 9,2 millions en décembre 2013. Et 6 millions devaient l’être en juin 2014. Mais l’aide financière a été gelée jusqu’à nouvel ordre. Sans doute à la fin de l’année.
Audit imposé
Le communiqué du FMI précise encore : “Les services du FMI et du ministère ont discuté des faiblesses dans la gestion des finances publiques et identifié des mesures concrètes pour y remédier.” Conséquence ? Bouaré Fily Sissoko est retournée à Bamako avec l’obligation de réaliser “un audit des transactions” suspectes et de rédiger des “directives précisant les conditions d’application de certaines règles budgétaires et de passation de marché.” Le gouvernement malien s’est engagé à mettre en œuvre ces mesures d’ici la prochaine mission du FMI à Bamako, prévue début septembre. Si le gouvernement convainc le FMI, les versements des crédits reprendront.
En plus des foudres du FMI, le gouvernement a dû affronter les critiques de la presse malienne et de l’opposition, avec une motion de censure rejetée le 19 juin.
Tout avait commencé en mars dernier… juste après le départ de Bamako d’une mission de contrôle du FMI, venue s’assurer que les engagements pris par le gouvernement en matière de gouvernance en contrepartie des fonds débloqués étaient respectés…
Jusque-là, le chef d’État malien, Ibrahim Boubacar Keïta, utilisait un Boeing 737 “prêté” par la Libye de Kadhafi, un appareil en panne depuis septembre 2013. Pour lui permettre de voyager, l’État s’était rabattu sur un Falcon, un jet privé loué 3 millions de francs CFA l’heure (4 500 euros). Par souci d’économie, a justifié le ministre de la Communication, Mahamadou Camara, l’idée a germé d’acquérir un Boeing 737 présidentiel.
Intermédiaire
Mais l’acquisition d’un “Air Force One” aux couleurs du Mali dans un pays dont le budget est principalement sous perfusion de l’aide internationale n’est pas passée inaperçue. Les apports d’aide étrangère ont repris en 2013 au Mali, représentant ainsi un flux additionnel de ressources de plus de 10 % du PIB par rapport à 2012, selon l’OCDE.
De quoi irriter les bailleurs de fonds lorsqu’ils apprennent la nature de ces dépenses réalisées hors budget. “Nous avons appris cet achat après coup, en lisant la presse”, s’était plaint ouvertement Anton Op de Beke, le représentant du FMI au Mali. Autre point de litige : le contrat d’équipement (autres que des armes et munitions) passé par le département de la défense et des anciens combattants pour un montant de 69 milliards de francs CFA. Là, le FMI s’est étonné de l’octroi d’une garantie de 100 milliards de francs CFA (165 millions d’euros) de l’État à son intermédiaire, un importateur, pour financer cette opération auprès d’une banque.
Pourquoi un intermédiaire ? Pourquoi ne pas recourir à un appel d’offres ? Toutes ces questions trouveront une réponse en septembre. Mais déjà, l’État s’est engagé à inscrire ces deux opérations dans une loi de finances rectificative. À lui maintenant de trouver des économies pour ne pas aggraver la dépense publique.
Mais la pression sur le Mali est montée d’un cran encore, avec l’annonce, le 25 juin, de la décision de la Banque mondiale de geler à son tour son soutien, rapporte l’agence Reuters. «Nous mettons en veille notre programme de versement au Mali parce que nous voulons nous assurer qu’il y a une supervision de toutes les dépenses engagées », a précisé Sri Mulyani Indrawati, la directrice générale de la Banque mondiale. L’institution internationale avait programmé de décaisser 63 millions de dollars fin mai, le versement a été reporté, jusqu’à ce qu’ « une évaluation de la gestion par le Mali de ses finances publiques » livre ses conclusions, a justifié à l’agence Reuters Sri Mulyani Indrawati.
Jean-Michel Meyer
Source : ACTEURS PUBLICS
https://www.acteurspublics.com/2014/06/25/le-fmi-fustige-le-mali-apres-l-achat-d-un-boeing-737-presidentiel