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À entendre les autorités nigérianes, le groupe islamiste Boko Haram a été délogé de ses sanctuaires, vaincu par les opérations militaires, dont plusieurs bombardements aériens. Mais la réalité du terrain n’est pas à la hauteur de cet optimisme. En 2009, le mouvement était effectivement sur le point de disparaître, son recrutement était au point mort. Mais il a réussi à renaître de ses cendres et, en 2016 comme au cours des sept années qui précèdent, il continue à être très actif, notamment dans l’État de Borno, son fief. Comme le confirment les données récoltées par Global Terrorism Database – une base de données collective gérée par l’université du Maryland (États-Unis) –, il est un des mouvements terroristes le plus meurtriers de la planète.
Vengeance ou sécurité ?
Le fait marquant de cette année 2016 aura été l’accroissement des interventions menées par la Force multinationale conjointe (MJTF) autour du lac Tchad. Composée de 8 700 militaires, policiers et civils issus des armées béninoise, camerounaise, nigérienne, nigériane et tchadienne, elle dispose d’un mandat émis par l’Union africaine qui l’autorise à intervenir dans ces cinq pays, dont elle traverse les frontières sans restriction. Elle est actuellement placée sous le commandement du major général nigérian Tukur Yusuf Buratai. Natif de Biu, dans l’État de Borno, cet officier supérieur âgé de 56 ans, très apprécié par ses hommes, est le fils d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui s’est illustré en Birmanie. Autant dire que les armes sont, chez lui, une affaire de famille.
Avec une solide formation à l’école militaire de Kaduna, Buratai est à lui seul une cible privilégiée de Boko Haram : en mars 2015, 23 personnes ont été décapitées en public par les djihadistes dans son village natal. Celui de sa mère, Kamuya, a été visé par plusieurs attaques qui ont fait au total presque 60 morts. Pour cette raison, il lui a été reproché de mener des opérations de représailles aux allures de vengeances, faisant de nombreuses victimes civiles indifférenciées.
Sa tâche n’est pas aisée, car la particularité des membres de Boko Haram est de pouvoir se fondre dans la population ou la communauté culturelle à laquelle ils appartiennent et dans laquelle ils trouvent refuge – même s’ils sont combattants actifs. Toutefois, cela est de moins en moins le cas, tant la violence provoque un phénomène de saturation chez les Nigérians.
Une donnée nouvelle est survenue en août 2016 : le mouvement s’est scindé en deux factions, lesquelles opèrent de façon différente. Celle du tristement célèbre Abubakar Shekau – pourtant réputé mort – mène des attaques tous azimuts, tandis que celle soutenue par le groupe État islamique et dirigée par Abu Musab al-Barnawi combat essentiellement les forces de sécurité. Cette différenciation a pour effet immédiat une meilleure perception du groupe lié à l’État islamique de la part des civils, car ils n’en sont pas la cible. Les ONG présentes sur le terrain remarquent donc que ce groupe attire de plus en plus de monde.
Une kyrielle d’ONG pour la paix
Comment et pourquoi les habitants du Borno s’enrôlent-ils au sein de cette mouvance ? La situation économique et sociale du Nigeria dans son ensemble provoque chez ses citoyens deux types de réponses : l’une est pacifique, l’autre violente. Le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (Mend) ou les Vengeurs du Delta ont pris les armes contre l’État. Parallèlement, des milliers de membres de la société civile travaillent au sein d’une myriade d’ONG pour promouvoir la paix. Contre le seul Boko Haram, le site d’information AllAfrica.com en répertoriait plus de 5 000 en août 2016. Elles ne sont pas seulement internationales, nombre d’entre elles sont purement locales. Elles travaillent en majeure partie au dialogue interreligieux, à la cohabitation pacifique entre communautés culturelles différentes, lesquelles sont parfois complémentaires, parfois traditionnellement antagonistes. Il est à noter que 58 % d’entre elles se consacrent à des tâches humanitaires, notamment la fourniture de denrées alimentaires ou de première nécessité pour les villages meurtris par Boko Haram. Douze pour cent sont engagées dans les dialogues entre religions ou entre communautés, 8 % travaillent avec les institutions religieuses, toutes confessions confondues, et enfin 10 % s’occupent d’éducation et de développement.
Comme l’analyse l’Institute of Security Studies, une organisation sud-africaine spécialiste en études géopolitiques des pays africains, c’est en réaction à leur situation économique personnelle que les individus basculeraient soit vers l’entraide et la solidarité, soit du « côté obscur de la force », c’est-à-dire dans le terrorisme. Une alternative extrême à nuancer, bien sûr, car entre ces deux attitudes, une grande variété d’options demeure. Par ailleurs, les raisons pour lesquels un homme décide de rejoindre Boko Haram changent en fonction du contexte politique du moment et des événements – notamment sécuritaires – survenus dans sa région.
Foin des institutions séculières !
Toutefois, il semble bien que le facteur religieux soit non négligeable, surtout depuis que la faction « État islamique » prend de l’ampleur, c’est-à-dire quelques mois. Cela se voit, entre autres, dans le nom que ce groupe s’est donné, qui signifie en français « groupe engagé dans la propagation des enseignements du Prophète et dans le djihad ». Les institutions séculières sont hautement méprisées par les militants, tout comme la Constitution nigériane, la démocratie, les explications scientifiques aux phénomènes du cosmos et de la nature. Rien de tout cela ne leur semble compatible avec une vie religieuse, réglée par une stricte application de la loi islamique, laquelle loi est pourtant officiellement en vigueur dans tous les États du nord du pays. Mais étant empreinte d’une dose de sécularité – puisqu’elle est le fait du gouvernorat –, elle leur apparaît comme dévoyée, détournée de son véritable objectif : faire de chacun un musulman pur et authentique.
Recherche de la pureté et de la vérité constitue le fond de l’endoctrinement, qui joue également sur la maigre connaissance du Coran par la plupart des jeunes. Conséquence : un enrôlement toujours plus large et plus efficace. L’idéologie véhiculée prône des actions violentes et des comportements asociaux qui sont pourtant en complète contradiction avec les traditions africaines en général, et nigérianes en particulier. Par exemple contracter un mariage « forcé », utiliser des enfants comme esclaves sexuels ou pour des actes terroristes, cibler des innocents, etc.
La famille large, premier recruteur
La question se pose alors : comment couper court à ce recrutement ? Ceux qui partent en Syrie ou en Irak le font souvent grâce aux réseaux sociaux, à Twitter ou Facebook, mais dans les lieux reculés du nord du Nigeria, où l’électricité est rare, pour ne pas dire inexistante, ce n’est pas principalement par ce biais que les jeunes viennent en contact avec les « sergents recruteurs » de Boko Haram, même si cela peut être le cas dans les petites villes. C’est plutôt par le réseau des connaissances, des amis, de la famille au sens large, ainsi que via les prédications d’imams formés à « faire du nombre » dans les petites mosquées tranquilles des quartiers ou des villages. Autant de moyens informels qui sont difficilement combattus par les autorités. D’où l’accent mis sur la répression plus que sur la prévention. Or, ce n’est pas en fabriquant des « martyrs » que cette source peut se tarir. Bien au contraire.