En tant que témoin du massacre de 1982, je suis souvent retourné à cet endroit de souvenirs et de fantômes, pour parler aux quelques survivants.
Sabra et Chatila ont été le théâtre de crimes de guerre. En septembre 1982, les alliés chrétiens libanais d’Israël – sous les yeux même des troupes israéliennes qui avaient encerclé ces deux camps de réfugiés palestiniens – ont massacré jusqu’à 1700 civils.
Ce fut un lieu d’horreur et, beaucoup plus tard, de mémoire. La fosse commune se trouve encore sous une marée de boue derrière un bouquet d’arbres où des réfugiés syriens vendent des chemises et des DVD à bas prix.
Mais les noms de Sabra et Chatila sont aujourd’hui associés à une honte que personne ne pouvait imaginer il y a 34 ans.
Le trafic de drogue – par les Syriens plus que les Palestiniens – a contaminé les camps et il y a eu des meurtres et, plus tragique encore, de la prostitution. Personne dans Sabra et Chatila ne dissimule sa douleur. Le massacre, la douleur des survivants, les années de misère et le siège par des miliciens chiites Amal – qui ont tué encore plus de Palestiniens que les Israéliens – n’ont pas brisé la volonté des Palestiniens, mais il ne faut pas longtemps aujourd’hui pour saisir la profondeur de leur désespoir.
« Qu’attendez-vous quand une population de réfugiés vit dans cette pauvreté et quand ils ont encore moins d’argent ? » me demanda l’un des responsables des camps tandis que nous marchions dans les ruelles étroites – si étroites que vos épaules frottent les murs des taudis de chaque côté.
« Les Libanais ne permettent pas aux Palestiniens de travailler en dehors des camps, il y a de moins en moins d’argent venant des Nations Unies. Certains ont des familles à l’étranger qui les aident. Les autres non. »
L’homme avait raison. Lorsque arrivent les réfugiés, la mafia arrive aussi, comme les passeurs. Le plus cruel et plus rapace prospère au milieu de la douleur, tout comme en Bosnie après la guerre de 1992-1995. Les Palestiniens sont arrivés dans Sabra et Chatila en 1948.
Il a fallu près de 70 ans et le massacre de 1982 pour finir par connaître la honte de la drogue et de la prostitution en cet endroit. Mais ce n’est pas sur une assez grande échelle pour attirer l’attention. Seul un très petit nombre de femmes palestiniennes ont quitté les camps – elles doivent partir pour le bien et l’honneur de la famille – s’établissant ailleurs au Liban, à Jounieh au nord de Beyrouth, selon un responsable politique dans les camps.
En tant que témoin du massacre de 1982, je suis retourné souvent à cet endroit de souvenirs et de fantômes, pour parler aux quelques survivants. Sabra et Chatila sont à peine à trois kilomètres de ma maison à Beyrouth.
Il y avait cinq mille Palestiniens dans les camps en 1982, et y subsistent peut-être seulement 3000 aujourd’hui.
Mais un article paru dans un des journaux de Beyrouth avait attiré mon attention. Un Palestinien d’âge moyen, est-il rapporté, avait été abattu par deux islamistes sur une moto. Est-ce que cela signifie que le culte de Daech (EI) avait infecté même Sabra et Chatila ? Dans ce cas, Daech était donc à Beyrouth.
Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.
29 février 2016 – The Independent – Vous pouvez consulter cet article à : https://www.independent.co.uk/voices… Traduction : Info-Palestine.eu
https://www.info-palestine.net/spip.php?article15934
Photos :
– Des tas d’ordures et des enchevêtrements de câbles aériens sillonnent les ruelles sinueuses de Chatila – DR Wojtek Arciszewski
– Image d’archives – Prières sur les corps des martyrs des massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982