La crainte des habitants des régions turques à prédominance kurde est palpable. La fin du processus de paix lancé par le gouvernement pour mettre fin au problème kurde qui dure depuis une trentaine d’années et les derniers affrontements entre le gouvernement et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) font en effet redouter un retour à l’ambiance houleuse des années 1990.
Le processus de paix qui a été lancé à la fin de l’année 2012 en coopération avec le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, en est au point mort depuis le regain de violences que connaît le pays depuis quelques jours. Elément déclencheur, l’attentat de Suruç du 20 juillet, où 33 militants ont été tués et plus de 100 blessés après l’explosion d’une bombe perpétrée par Daesh.
Au lendemain de l’incident, le PKK et le parti pro-kurde HDP ont accusé le gouvernement turc de n’avoir pas mis en place assez de mesures pour empêcher cet attentat. En signe de représailles, le PKK a tué deux policiers dans la ville de Ceylanpinar (province de Sanliurfa) et plusieurs autres attaques contre des militaires et la police ont suivi. Des avions militaires turcs ciblent depuis deux semaines des camps du
Des habitants nerveux et inquiets
Les affrontements et la mort des soldats ont fait grimper les tensions en Turquie, dont l’effet est toutefois bien plus notable dans les régions de l’est et du sud-est du pays.
De nombreux observateurs ont déclaré que la fin du cessez-le-feu entre le PKK et le gouvernement turc, les frappes aériennes contre les bases du PKK, les récentes arrestations de masse de sympathisants présumés du groupe extrémiste, les tentatives du gouvernement de fermer le HDP, les demandes de suppression de l’immunité parlementaire de certains députés pro-kurdes et les mesures de sécurité strictes prises dans la rue rappellent le climat des années 1990.
La possibilité que le pays replonge dans cette période sombre, où la violence financée par l’Etat était fréquente, où des lois martiales étaient mises en place et où des dizaines de personnes étaient exécutées presque tous les jours dans des affaires qui n’ont jamais été élucidées, rend les habitants de la région nerveux et inquiets.
La crainte d’une violation des droits de l’homme
Le président de l’association du barreau de Diyarbakir (sud de la Turquie), Tahir Elçi, a confié à Zaman que les habitants locaux craignaient ce qu’il pourrait arriver si les affrontements entre le PKK et l’armée turque continuaient. «Je crains moi-même que les violations des droits de l’homme ne soient bien pires et bien plus fréquentes que dans les années 1990.
Quand on parle des années 1990, on a en tête les incidents où des civils et des innocents étaient emmenés hors de leur domicile ou de leur travail et exécutés sans procès. Les responsables n’étaient même pas poursuivis […] Ici, les locaux craignent que certains soient ciblés par les forces de sécurité et, le ciel nous en préserve, que de telles luttes déclenchent une agitation sociale au niveau national», ajoute-t-il.
Les individus habitant dans les régions kurdes ont également l’impression que la fin du processus de paix participe d’une stratégie menée par le président Erdogan et le gouvernement de l’AKP pour récupérer les voix des nationalistes et pousser le HDP – qui a réussi à faire son entrée au Parlement avec 80 députés, passant la barre électorale des 10 % – sous le seuil électoral des 10 % pour que l’AKP puisse reprendre le pouvoir seul.
‘Anarchie’, le synonyme des années 1990
Tout comme Elçi, le président de l’Association du barreau de Bitlis, Enis Gül, a également mentionné les peurs. «Nous espérons que nous [dans le sud-est] ne vivrons pas les mêmes problèmes que pendant les années 1990 […] Le synonyme des années 1990 est ‘anarchie’. Nous assistons actuellement à la même chose. Le peuple, l’économie et le monde des affaires ne peut subir de nouveau une telle période», explique Enis Gül.
Le député HDP de Bingöl, Hisyar Özsoy, a déclaré qu’environ 4 000 villages avaient été rasés par le gouvernement et que des centaines de personnes avaient été tuées dans des meurtres non élucidés, dans les années 1990.
Le député HDP de Sirnak Ferhat Encü a déclaré à Zaman que même des zones résidentielles avaient été déclarées interdites d’accès pour motifs de sécurité, marquant un retour au climat des années 1990. «L’attitude actuelle du gouvernement envers le peuple [dans le sud-est] n’est pas si différente de celle du gouvernement dans les années 1990.
En réalité, les moyens de communication n’étaient pas aussi développés à cette période, ce qui expliquait que les gens ne savaient pas ce qu’il se passait. Mais aujourd’hui, on peut facilement être informé de la situation. Cela empêche que de mauvaises choses arrivent. Si cela n’était pas le cas, le gouvernement traiterait les individus de façon bien pire qu’avant», précise le député.
A noter que Demirtas et Yüksekdag, les deux présidents du HDP, sont accusés d’incitation à la violence et de diffusion de propagande terroriste. Les enquêtes ont été lancées la semaine dernière, quelques jours après qu’Erdogan a déclaré que les députés HDP devraient perdre leur immunité parlementaire.
Zaman France
https://www.zamanfrance.fr/article/pkk-turcs-sud-craignent-retour-aux-annees-noires-16943.html
Légende : Des camions incendiés par le PKK sur la route entre Tunceli et Erzincan dans le sud de la Turquie.