Depuis la rencontre, en mars 2015, du président turc, Recep Tayyip Erdogan, avec le roi saoudien Salman bin Abdul-Aziz al Saud, à Riyadh, la coopération de la Turquie avec les pays du Golfe n’a cessé de se renforcer. Elle s’étend progressivement, aujourd’hui, aux questions de sécurité.
Les rapports de coopération militaire entre la Turquie et le Qatar ne sont pas nouveaux. Ce n’est pas un secret que le Qatari, Sheikh Tamim bin Hamad bin Khalifa al Thani, s’est rendu en Turquie, en décembre dernier, pour discuter des moyens de renforcer la coopération en matière de sécurité et de défense entre les deux pays. Thani a poursuivi ces discussions au cours de sa seconde visite en mars.
Ces contacts de haut niveau ont abouti à un accord Turquie-Qatar de coopération militaire, signé avec une rapidité inhabituelle, par le parlement turc, d’abord, le 22 mars, puis par Erdogan, le 27 mars. L’accord est entré en application après sa publication le 28 mars dans le Bulletin officiel.
L’accord définit le partage des informations entre le Qatar et la Turquie ainsi que la coopération militaire et le déploiement de force dans chaque territoire. Il n’y a plus d’empêchement légal au retour de l’armée turque au Qatar.
Au cours des discussions concernant l’accord, la commission parlementaire turque des Affaires étrangères a fortement exprimé son opinion. Le député du principal parti d’opposition, le Parti populaire républicain (CHP), Ali Ozgunduz a demandé si « le Qatar a besoin de militaires turcs pour entraîner son armée ». « Des soldats américains sont basés au Qatar. Envoyons-nous, en réalité, des unités militaires pour rejoindre, finalement, une force internationale d’intervention qui pourrait être mise en place là-bas ? Nous voulons savoir. Pourquoi nos soldats y sont envoyés ? Vont-ils défendre le Qatar contre quelque ennemi ? » a-t-il demandé.
Un communiqué officiel de la commission des Affaires étrangères soulignait qu’il n’y avait pas de lien entre les accords entraînement/équipement entre la Turquie et les États-Unis pour entraîner l’opposition syrienne et l’accord militaire signé avec le Qatar. L’accord avec le Qatar, dit le communiqué, ne devrait pas aller au-delà de ce qui y est stipulé et n’a rien à voir avec les activités de l’US CENTCOM au Qatar. Le communiqué notait aussi que l’accord permettrait au Qatar d’envoyer son personnel militaire en Turquie. Reste la référence aux engagements militaires étrangers dans les pays du Golfe et les dispositions similaires à l’accord Turquie-Qatar qui pourraient un jour être appliquées aux autres pays du Golfe.
L’accord militaire avec la Turquie a une signification particulière pour le Qatar, inquiet de l’influence iranienne croissante dans le Golfe, de l’amélioration des relations États-Unis/Iran et du rôle grandissant de la Chine au Moyen-Orient. Le Qatar manque d’une force militaire sérieuse et semble déterminé à pallier à sa faiblesse de dissuasion dans le Golfe en entrant dans une alliance militaire avec la Turquie et en diversifiant ses capacités de défense. Une alliance militaire forte avec la Turquie donnera au Qatar la possibilité de renforcer sa capacité militaro-industrielle, d’améliorer la formation de ses soldats et de réduire sa dépendance militaire par rapport aux États-Unis en diversifiant ses partenaires militaires pour contrer l’influence iranienne et, peut-être même, pour développer une coopération plus importante avec l’OTAN via la Turquie.
Mais pourquoi la Turquie a-t-elle voulu conclure un tel accord avec le Qatar ? Selon Mehmet Akif Okur, professeur associé à l’Université de Gazi, le Golfe est important dans l’équation mondiale politico-économique et la Turquie veut avoir son mot à dire dans le Golfe. Une alliance militaire étroite avec le Qatar donnera au ministère turc de la Défense une opportunité tentante d’accéder à un marché lucratif. Il offrira aussi à la Turquie le moyen de contrer stratégiquement l’influence de la Turquie dans la région et de renforcer son rôle dans la sécurité mondiale et la sécurité mondiale énergétique.
Okur attire l’attention sur deux aspects des facilités militaires que la Turquie prévoie au Qatar. « D’abord, la Turquie doit s’assurer que le public comprendra les risques et les avantage d’avoir une base dans une région importante comme le Golfe et qu’un mécanisme démocratique supervise le processus de l’ouverture d’une base et de la sécurité qu’elle apporte », dit-il. Une telle transparence qui implique civils, militaires et sécurité n’existe pas en Turquie. « Une telle « boîte noire » ne permet pas la surveillance et la responsabilité publiques en dissimulant les décisions derrière l’écran du secret ».
Selon Okur, les relations du militaire et du sécuritaire avec les pays pétroliers riches nécessitent un examen plus attentif des liens entre les intérêts publics et privés. Pour lui, il est important de définir clairement les objectifs du positionnement de troupes turques au Qatar. « Le Qatar est un pays frontalier de l’Arabie saoudite. Il craint aujourd’hui une menace de l’Iran et est sujet à des luttes de palais pour le pouvoir. Il essaie d’être influent dans les affaires régionales de différentes manières. Ce qui signifie que les soldats turcs qui vont servir au Qatar, pourraient être soumis à un large spectre de tensions. Une préparation stratégique et logistique appropriée permettra à la Turquie d’opposer une résistante forte contre quiconque souhaiterait l’empêcher d’intervenir ailleurs. »
Des sources sécuritaires à Ankara ont informé le journal Al Monitor que les Forces armées turques souscrivaient à l’« approche prudente » prônée par Okur. Selon elles, la Turquie est aujourd’hui militairement engagée dans des études sérieuses des coûts et bénéfices et des analyses de risques. Pour l’instant, l’unité qui doit être déployée au Qatar est envisagée comme un bataillon renforcé d’intervention qui inclut un petit bâtiment de la marine, des ingénieurs militaires et des forces spéciales. Le haut commandement militaire turc travaille sur un projet de mission, les prérogatives, les obligations, les règlements d’engagement et les aspects légaux internationaux de la force. Ces sources insistent sur le fait que l’armée turque est déterminée à respecter strictement la légalité nationale et internationale.
Elles soulignent aussi l’importance d’une coopération étroite avec les États-Unis et l’Otan dans le Golfe. La mise en place d’une présence militaire au Qatar et le développement de l’alliance sunnite de la Turquie, l’Arabie saoudite et du Qatar débuteraient après les élections générales du 7 juin. Une autorité qui désire rester anonyme affirme que l’armée turque avance lentement consciemment pour voir comment le paysage politique se dessinera après les élections.
En résumé, malgré le retour des soldats turcs au Qatar après cent ans de messages symboliques forts, l’armée turque aborde la question de manière sérieuse et professionnelle. Bien sûr, les autorités d’Ankara se posent une autre question capitale : quelle sera la réaction de l’Iran au déploiement de soldats turcs au Qatar ?
Source : Al-Monitor
https://www.al-monitor.com/pulse/ru/contents/authors/metin-gurcan.html#
Traduit par Afrique Asie