De Lionel Jospin à Jean-Christophe Cambadélis, en passant par Hamon, Mélenchon et tous les autres, l’histoire secrète d’un trotskisme d’État.
Une vraie bonne idée, cette enquête solide et passionnante d’Émilie Lanez sur les trotskistes parue dans Le Point du 14 mai dernier ! Intitulée « Leurs années Trotski », elle mettait en scène des dirigeants socialistes formés au trotskisme des années 1970 et suivantes, comme David Assouline, Jean-Pierre Bel, Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, Gérard Filoche, Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon. Sans compter Lionel Jospin, Jean-Marie Le Guen, Pierre Moscovici, François Rebsamen ou Michel Sapin.
Tous, officiellement « ex-trotskistes » et ex-membres patentés de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) ou de l’OCI (Organisation communiste internationaliste). Pourquoi ex-trotskistes ? Auraient-ils renié leur trotskisme ? Seraient-ils passés en cours de route de l’extrême gauche à la droite ? Anticapitalistes et antilibéraux, seraient-ils devenus des hérauts de l’économie de marché et auraient-ils abandonné leurs convictions étatistes et marxistes ? Ces questions méritent d’être posées aujourd’hui quand on se rappelle, il n’y a pas si longtemps, les années de plomb (1997-2002) de Lionel Jospin à Matignon et ses conséquences désastreuses pour la France. L’histoire du trotskiste Lionel Jospin vaut d’être contée car elle nous conduit directement à François Hollande.
Des archéocommunistes
Comme un certain nombre de membres de l’OCI, ce groupuscule marxiste extrémiste, Jospin pratiquait son trotskisme en secret, son mentor Pierre Boussel, dit Lambert, étant un partisan de l’ « entrisme » pour ses meilleurs éléments. De quoi s’agit-il ? De s’installer dans un parti, une institution ou un syndicat, y cacher ses vraies convictions, y faire carrière et s’efforcer par tous les moyens d’arriver au sommet. Puis se servir de ce pouvoir pour mieux combattre le capitalisme honni qui, de toute façon, se désagrégera un jour, victime de ses propres contradictions. Et donc, le pousser à s’effondrer plus vite. C’est une lubie de certains archéocommunistes basée sur une vieille théorie marxiste. Lambert, à l’époque, y croit dur comme fer. Jospin aussi et, à partir de là, il fait son apprentissage d’espion avec Lambert, trop heureux d’avoir un si brillant énarque pour disciple.
Après ses études à l’ENA, Lionel Jospin reste cinq ans au Quai d’Orsay, jusqu’en 1970, puis passe dix ans à l’IUT de Sceaux comme professeur d’économie où il devient l’ami de Claude Allègre. Entre-temps, il a rejoint le Parti socialiste, à la demande de Lambert, et en grimpe très vite les échelons. Le journaliste Claude Askolovitch, auteur d’un livre sur Jospin, est le premier à avoir découvert le pot aux roses. Il raconte dans Le Nouvel Observateur du 31 août 2006 : « Quand, militant trotskiste, il entre au PS naissant de François Mitterrand, Pierre Lambert lui a confié une mission : empêcher que ce vieux « parti de la classe ouvrière » soit bradé à la bourgeoisie par ses nouveaux maîtres. La taupe Jospin doit être un gardien de la vraie foi. Un moine-soldat grimé pour la cause. Il entre en double vie au nom de la vulgate. Quatorze ans plus tard, le quadra Jospin, toujours secrètement lié aux lambertistes, est premier secrétaire du PS au pouvoir. » C’est à la même époque que Marc Blondel, un autre disciple de Lambert, prend d’assaut la direction de Force ouvrière, jusqu’alors dirigé par un syndicaliste neutre, André Bergeron. FO est, depuis, toujours contrôlé par des trotskistes.
Le trotskisme n’est pas une maladie de jeunesse
Nous sommes en juin 1985. Lionel Jospin est âgé de 46 ans, comme quoi la maturité ne change rien à la chose : le trotskisme n’est pas une maladie de jeunesse et on peut rester trotskiste toute sa vie. Il a donc une double vie d’espion et de taupe depuis plus de vingt ans et va pouvoir déployer ses talents de manipulateur, tapi dans l’ombre. Devenu ministre de l’Éducation, il commence sa besogne par sa « loi Jospin » de 1989 qui place l’élève au centre du système et l’incite à « construire ses propres savoirs » comme le serine déjà à l’époque la rengaine « pédagogiste » dont nous constatons les méfaits grandissants aujourd’hui. Il est le principal responsable de ce que Jean-Paul Brighelli a appelé La Fabrique du crétin dans son livre paru il y a dix ans, en 2005, lequel Brighelli ajoutera plus tard : « Crétin, c’était gentil. Aujourd’hui, ce sont des barbares que l’école fabrique. » Merci Jospin.
Parvenu au pouvoir en 1997, grâce à une incroyable bévue de Chirac, Jospin met en place la fameuse « gauche plurielle » qui intègre l’extrême gauche, et s’attaque alors à sa grande œuvre, la démolition du capitalisme de l’intérieur avec sa loi sur les 35 heures, l’invention la plus diabolique qu’un cerveau humain ait jamais produite pour détruire une économie capitaliste déjà lourdement handicapée par un « modèle social » paralysant et un « modèle fiscal » inhumain. Manipulant Martine Aubry pour lui faire endosser ces funestes 35 heures, une brillante manœuvre trotskiste, Lionel Jospin aura ainsi fait doublement la fierté de son gourou, Pierre Lambert.
Les trotskistes, partisans d’une forme de communisme mou
Il est Premier ministre et personne ne sait qu’il est un trotskiste lambertiste. Pas même Jean-Christophe Cambadélis, qui, pourtant, faisait partie de la même secte politique : « Je n’avais que des ouï-dire et je savais que son frère en était. Le secret était la règle », a-t-il dit à Emmanuel Berretta du Point. Pas même ses meilleurs amis, Claude Allègre et Daniel Vaillant, qui ont confirmé cette ignorance au journaliste Jean-Michel Aphatie dans son livre Liberté, égalité, réalité paru en 2006.
À la table du Conseil des ministres, pas un seul ministre ne peut se douter que la politique de la France est dirigée par un trotskiste anticapitaliste et antilibéral, caché derrière le paravent d’un socialisme étatique, attaché pour l’apparence à des « valeurs » morales et des cohérences de gauche bien établies. On a beaucoup glosé sur la rigidité et même sur la rectitude de l’homme Jospin. L’explication ne serait-elle pas, tout simplement, celle du masque d’un homme habitué depuis toujours à un contrôle absolu de lui-même, de peur que soit découverte sa double vie ? Avoir choisi de vivre en clandestin des croyances politiques extrêmes n’est pas spécialement un encouragement à la gaudriole !
Alors, Lionel Jospin ex-trotskiste ou toujours trotskiste ? Alors Cambadélis, lui qui fut l’adjoint de Hollande à la direction du PS sous Jospin, lui qui veut aujourd’hui « réformer idéologiquement le socialisme » et se battre contre « le libéralisme thatchérien dévastateur » de la droite la plus gnangnan d’Europe, ex-trotskiste ou toujours trotskiste ? Et les autres, cités plus haut ? Dray, Filoche, Hamon ou Mélenchon, auraient-ils renié leurs convictions de jeunesse et abjuré leur passé ? Et les Moscovici, Le Guen, Rebsamen ou Sapin ? Ce qui est clair, c’est qu’ils sont tous entrés au PS à l’époque de Mitterrand pour y faire leur nid avec l’intention affichée de participer un jour au pouvoir. Les trotskistes ne sont pas psychorigides comme les communistes. Ils ont l’échine plus souple, plus intellectuelle, et sont plutôt partisans d’une forme de communisme mou.
Le test « Veltroni »
Jean-François Revel, dans l’un de ses derniers livres, La Grande Parade, essai sur la survie de l’utopie socialiste, paru en janvier 2000, avait imaginé un moyen imparable pour les contraindre à se dévoiler : leur faire passer « le test Veltroni », du nom du secrétaire de l’ancien Parti communiste italien rebaptisé Parti des démocrates de gauche après la chute du mur de Berlin. Walter Veltroni, contrairement au PC et aux groupuscules français d’extrême gauche, avait condamné officiellement et avec éclat aussi bien « la persécution nazie » que « les horreurs du stalinisme ». Dans le texte fondateur du nouveau parti, il avait écrit : « Nous avons mis le stalinisme sur le même pied que le nazisme, le Goulag sur le même pied qu’Auschwitz, défini le communisme comme tragédie du siècle. » Peut-on être plus clair ?
Lionel Jospin, qui a toujours refusé de reconnaître officiellement son trotskisme, a été soumis au « test Veltroni » en novembre 1997, à l’Assemblée nationale. Interpellé par un député UDF après la publication du Livre noir du communisme, le Premier ministre, hors de lui et en digne héritier du modèle culturel soviétique, avait rétorqué que « la révolution de 1917 [avait] été l’un des grands événements de ce siècle » et avait fini par refuser de « mettre un signe égal entre le nazisme et le communisme ». Jean-François Revel qui pose la question : « Être assassiné par Pol Pot est-il moins grave que d’être assassiné par Hitler ? » en avait tiré la conclusion suivante : « Ce dérapage montre bien quelles extravagances peut proférer un homme intelligent et modéré lorsqu’il est en proie à la passion idéologique. »
Hollande, l’homme le plus assoiffé de pouvoir de toute la gauche
Dans sa Grande Parade, Jean-François Revel raconte qu’un deuxième homme a passé ce test Veltroni, à propos du même Livre noir, François Hollande. Commentant la sortie de l’ouvrage et pour éviter d’avoir à donner une vraie réponse, il avait répliqué par une pirouette : « Chercherait-on à préparer demain des alliances avec l’extrême droite, que l’on prétendrait ainsi légitimer d’avance ? » Hollande, sélectionné avec le plus grand soin par Jospin pour lui succéder à la tête du PS, a sans doute de qui tenir. Il lui a d’ailleurs rendu la politesse en le faisant nommer au Conseil constitutionnel. Quand on constate les porosités entre socialistes et trotskistes, lui, François Hollande, l’homme le plus secret, le plus manipulateur et le plus assoiffé de pouvoir de toute la gauche, aurait-il été marqué au fer rouge, jadis, par une révélation trotskiste ? Serait-il, lui aussi, un trotskiste caché ?
Le Point.fr