Mais au-delà de ces simples manifestations migratoires et rapports culturels et religieux forts, que gagne le Sénégal sur le plan économique ? Il semble que sous ce rapport, le pays de Senghor est le grand perdant.
Le jambon halal marocain
Comment comprendre l’angélisme qui prévalu avec cette visite de Mohamed VI au Sénégal ? En tout cas certains médias s’en sont donné à cœur joie pour vanter cette visite placée « sous le sceau de la « fraternité », « de la coopération ancienne et solide qui date du temps de Senghor et Hassan II ». La télévision nationale a en tout cas traité le sujet avec beaucoup de zèle et l’unanimisme qui a prévalu sur la chaîne publique en est presque étonnant. Point de retenue, rien que des termes élogieux, aucune distance critique sur le sujet. Seul un quotidien de la place et une radio locale ont eu le recul nécessaire pour évoquer le sujet sous l’angle critique et inégalitaire dans lequel se joue cette coopération à un seul gagnant, le Maroc.
Bien sûr qu’il y a la Tarikha Tidjane largement partagée et entretenue avec ferveur au Sénégal. Bien sûr qu’il y a des marocains et des sénégalais entre les deux pays. Tout cela n’est pas mauvais en soi. Ce sont même de très bonnes choses.
Mais au-delà de ces simples manifestations migratoires et rapports culturels et religieux forts, que gagne le Sénégal sur le plan économique ? Il semble que sous ce rapport, le pays de Senghor est le grand perdant. L’expérience d’Air Sénégal International est fraîche dans nos mémoires et nous édifie sur une coopération sud-sud qui a eu du mal à décoller du côté sénégalais. Et surtout sur la fin chaotique qu’a connue cette coopération. Royal Air Maroc certes plus ancienne, plus puissante et plus expérimentée a survécu à la crise là où ASi est mort de sa belle mort avec ses nombreuses victimes au niveau social. Les marocains ont tranquillement continué leur envol et les gouvernants sénégalais n’ont plus pipé mot !
L’installation de la banque Attijari, devenue par la suite la première banque du Sénégal a réservé de grandes surprises. Elle a montré à quel point le management marocain sous Abdelkrim Raghni l’ancien Directeur général s’est exercé sous l’angle de la discrimination vis-à-vis des cadres sénégalais avec une absence totale de ces derniers dans le top management, ceux-là qui ont fait grandir cette boite. Une situation qui a traduit une marocanisation croissante de cette banque sans parler de la différence abyssale de traitement entre sénégalais et marocains notamment les expatriés. A cela s’ajoute le climat délétère, l’inaccessibilité aux crédits par les employés, le non paiement des primes réduites à peau de chagrin. Même le recours quasi permanent à des fournisseurs marocains pour une banque installée au Sénégal aura été vivement critiqué.
Faut-il alors naïvement continuer à se croire au pays des anges avec les marocains ? Toujours est-il que le roi du Maroc creuse ses sillons pour son économie et ses entreprises. Et en véritable VRP pour le Maroc, il a pris son bâton de pèlerin à la recherche de terres où caser ses entreprises. Accompagné d’une forte délégation composée du prince Moulay, de 2 conseillers, de 10 ministres et de plusieurs directeurs de sociétés, il a posé ses baluchons à Dakar, la première étape d’une offensive sur le continent.
Les Sénégalais étaient avertis. Le Maroc avait clairement affiché sa volonté de faire de l’Afrique subsaharienne un hub, une sorte de pont entre l’Europe et l’Afrique dans un document de France 24. Il y était dit sans pudeur que cette offensive relevait d’une stratégie mûrement réfléchie.
C’est ainsi qu’au Sénégal, après Attijari devenue la 1ère banque sénégalaise, Banque Of Africa et la Banque Atlantique, ce seront autour de Wafa Assurance, Saham Assurance s’étant déjà installée. Le 23 septembre 2014, le président de la République Macky Sall a procédé à la pose de la première pierre de la ‘’Cité de l’émergence’’(ancienne gare routière ‘’Pompiers’’) pour 21 milliards de francs Cfa, nous a appris le quotidien EnQuête qui ajoute qu’un autre marché a été attribué à la société marocaine Dohha ainsi que la ‘’Cité de l’avenir’’ pour 19 milliards de francs Cfa, toujours au même groupe. Mais le projet phare dans l’immobilier reste sans contexte le pôle urbain de Diamniadio dans lequel on retrouve le groupe Alliance. L’industrie pharmaceutique est un autre secteur exploré par les Marocains et lors de sa visite en mars 2013, le roi Mohammed VI a inauguré West Afric Pharma, une unité pharmaceutique de 8 millions d’euros, filiale de la société marocaine Sothema.
Et même si-là, ce ne sont que quelques signes avant-coureurs de l’expansion marocaine qui ne va pas s’arrêter en si bon chemin, l’on se rend compte que la réciprocité est quasi impossible, ainsi que le relève le journal EnQuête dans son édition du mercredi 20 mai. Il fait ainsi remarquer « qu’il est presque impossible pour un Sénégalais d’avoir une entreprise 100% sénégalaise au Maroc. Non pas parce que les textes l’interdisent, mais parce que l’attitude des hommes, ceux de l’administration notamment, constitue la montagne quasi-infranchissable. En fait, le Maroc protège bien son économie et tient à garder les secteurs-clés, contrairement au Sénégal qui croit devoir s’ouvrir sur tout. »
La question dès lors à se poser est de se demander quelle stratégie l’Etat du Sénégal et en particulier le ministre l’Economie et des FInances ont mise en place ? Quelle politique économique et financière ? Poursuivre la distribution des agréments dans le domaine des banques, assurances et bien d’autres à qui en veut ? Ouvrir les vannes et continuer à nous aplatir pour accueillir tous les investisseurs parce que le programme Sénégal Emergent (PSE) cherche les moyens de sa politique ? Le ministre de l’Economie et des Finances et des patrons d’entreprises sénégalaises étaient récemment invités au Maroc lors de la deuxième journée du Forum international Afrique développement, organisé par le groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank à Casablanca ? N’ était-ce pas là juste pas un appât pour les entreprises sénégalaises ? Que penser de cette invitation du ministre des finances qui y a certes présenté le Plan Sénégal Emergent (PSE) par une banque en compétition avec d’autres sur le sol Sénégalais et qui entend faire de la banque assurance au Sénégal avec l’installation prochaine de wafa assurance via ATTIJARIWAFA BANK ? Quel intérêt les marocains ont-ils à l’émergence du Sénégal ? Sinon que leur propre émergence.
Le rôle du ministre sénégalais des Finances est entre autres un rôle de représentation mais il n’est point baliser la voie à des économies étrangères avec des conséquences peu avantageuses pour le Sénégal, ni de collecter et d’additionner les recettes douanières et fiscales, ni de signer des conventions et de les médiatiser à outrance et encore moins de polémiquer sur de l’argent qui circulerait ou pas.
Son rôle est de tracer un cadre dans lequel les entreprises sénégalaises pourront s’épanouir, de mettre en place une politique économique digne de ce nom avec à la base une stratégie claire et d’activer des leviers pour booster des pans entiers de l’économie porteurs de croissance génératrice d’emploi. Il est aussi d’établir un partenariat avec les banques de manière à ce que celles-ci puissent financer l’économie, la renforcer voire permettre un regroupement des entreprises locales sur des projets et non continuer à attribuer les marchés de l’Etat à des entreprises étrangères sous prétexte que les premières n’ont pas de capitaux ; mais surtout ne pas permettre aux entreprises étrangères d’avoir la majorité dans les entreprises qu’elles installent au Sénégal.
L’installation progressive du Maroc au Sénégal montre en tout cas à souhait que le royaume est déterminé à investir tous les secteurs porteurs au Sénégal et à contrôler à terme l’économie sénégalaise et celle de l’Afrique subsaharienne avec comme conséquence de renforcer sa monnaie, de trouver des débouchées pour son économie.
Avec la visite du roi Mohamed VI, il est prévu de lancer un Groupe d’Impulsion économique coprésidé par les ministres des Affaires étrangères des deux pays aux côtés de deux personnalités représentant chacune le monde des affaires dans chacun des deux pays. Outre les représentants des deux gouvernements, ce groupe d’impulsion économique est composé des représentants des opérateurs économiques privés et publics dans les deux pays, désignés par les gouvernements des deux pays. Il est aussi évoqué les notions de “co-émergence pour les deux pays”, de “co-développement”, d”’intégration économique et financière”, “doing business régional” etc. pour dire qu’on s’inscrit dans un partenariat gagnant-gagnant. Et entre autres secteurs prioritaires visés, on peut noter l’Agriculture, l’Agrobusiness, la Pêche, la Construction, l’immobilier, le Tourisme, les Banques, services financiers, Assurances, les Mines, l’Energie etc. Bref tous les secteurs quasiment
Espérons juste que tout ceci n’est pas un leurre de plus parce qu’on ne voit pas bien comment les Sénégalais investiraient au Maroc alors qu’on note que presque tous les secteurs de l’économie verront à terme la présence marocaine. Une seule morale dans l’histoire, il faut s’aimer soi-même avant d’aimer les autres. Et on n’a pas jusqu’ici senti un patronat fort, ni un état qui protège son économie. ON ne peut pas non reprocher aux marocains de vouloir faire du business. Eux au moins se sont levés tôt. Les Sénégalais dorment encore.
Source : Allodakar
https://allodakar.com/?p=29450