Selon le site turc Zaman France, proche du prédicateur exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen, l’offensive menée par l’Arabie saoudite contre les rebelles yéménites, aurait « immédiatement » « déclenché l’engrenage des alliances sectaires (chiites contre sunnites) dans la région. La Turquie « laïque » se découvre son identité de « puissance sunnite » a dénoncé « l’expansionnisme iranien », entrainant immédiatement une réaction iranienne. L’analyse de Sami KILIÇ. Revue de presse.
Une coalition menée par l’Arabie saoudite a lancé une offensive contre les milices houthistes, des chiites soutenus par l’Iran qui sèment le désordre au Yémen. L’engrenage des alliances sectaires s’est immédiatement déclenché. La Turquie, puissance sunnite, a dénoncé l’expansionnisme iranien. Le ton monte entre les deux pays.
«Il faut couper la tête du serpent», aimait dire le feu roi Abdallah d’Arabie saoudite au sujet de l’Iran. Obsédé par l’expansionnisme chiite, le régime saoudien wahhabite aura finalement tenté le coup avec le nouveau souverain Salmane au Yémen, où des milices houthistes ont chassé le président élu Abd Rabo Mansour Hadi.
Le prince Mouhammad ben Salmane, ministre de la Défense saoudien, mène les opérations
La situation devenait en effet critique, les rebelles zaydites (du nom de Zayd, arrière-petit-fils du Prophète) ayant également mis la main sur Aden dont le golfe est stratégique. L’Iran qui s’est imposé comme le grand frère des chiites de la région a naturellement exigé la fin des opérations. C’est le président turc, Tayyip Erdogan, qui est monté au créneau pour dénoncer, dans un langage inhabituellement franc, l’expansionnisme iranien.
Un «printemps persan» au Moyen-Orient
Lors d’une interview accordée à France 24, le chef de l’Etat s’est clairement plaint de la volonté de domination de l’Iran dans la région. Les «printemps arabes» ont en effet renforcé la main de ce pays en Irak et en Syrie jusqu’à en faire un partenaire officieux des Etats-Unis contre Daech si bien qu’on assiste plutôt à un «printemps persan» au Moyen-Orient.
Téhéran a mené des raids aériens contre les djihadistes, jugés «positifs» par Washington. La force Al-Qods, la troupe d’élite iranienne chargée des opérations extérieures, dirigée par le puissant Ghassem Soleimani, n’a pas hésité à s’afficher sur le terrain. Massoud Barzani, le leader du Kurdistan autonome d’Irak, avait aussi indiqué que Téhéran était «parmi les premiers pays à avoir envoyé des armes aux combattants kurdes de Kobané».
Le réflexe sunnite de la Turquie
Erdogan a déclaré qu’Ankara pourrait apporter un soutien «logistique» à Riyad «en fonction de l’évolution de la situation». «L’Iran et les groupes terroristes doivent se retirer du Yémen», a-t-il ajouté. Le ministère des Affaires étrangères turc a publié un communiqué déclarant soutenir l’opération militaire. «Nous pensons que cette opération permettra de prévenir la menace de guerre civile et de chaos qui pèse sur ce pays et de rétablir l’autorité de l’Etat», a affirmé le texte.
Erdogan, visiblement agacé des visées de Téhéran, n’a pas mâché ses mots. «L’Iran doit changer de mentalité. Il doit retirer toutes ses forces du Yémen, tout comme de la Syrie et de l’Irak, et respecter leur intégrité territoriale», a-t-il dit avant d’affirmer qu’en Irak, l’Iran voulait chasser Daech pour installer ses propres milices. «Une attitude qui n’est pas sincère» et qui cache un «agenda confessionnel», a-t-il renchéri.
Lors d’une conférence de presse conjointe avec Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire en visite à Ankara, Erdogan n’a pas reculé. «Les agissements de l’Iran dans la région dépassent les limites de la patience. Ces activités ont provoqué un malaise aussi bien chez les Saoudiens que dans les pays du Golfe. Ce n’est vraiment pas tolérable et l’Iran doit le comprendre». «Comment défendre celui qui se dit ‘musulman’ et qui soutient l’assassin de 300 000 personnes en Syrie ?», a-t-il lâché.
La réponse de Téhéran n’a pas tardé. Mohammed Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères, a adopté un ton non moins diplomatique. «Ce serait une bonne chose que ceux qui ont provoqué des dégâts irréparables en commettant des erreurs stratégiques et en mettant en œuvre des politiques dédaigneuses fassent preuve de responsabilité», a-t-il déclaré.
«Dans les circonstances actuelles, tous les pays doivent travailler ensemble en faveur de la stabilité et éviter la propagation de l’insécurité dans la région», a-t-il dit à Lausanne, où il participe aux négociations sur le programme nucléaire iranien.
Le voyage d’Erdogan en Iran maintenu
Lors de son voyage à Riyad, Erdogan avait déjà détonné. «Nous avons souligné le fait que l’attitude expansionniste et discriminatoire de l’Iran était préoccupante», avait-il confié. Le Premier ministre Ahmet Davutoglu, ancien ministre des Affaires étrangères et père de la nouvelle doctrine diplomatique turque, avait également exprimé sa crainte de voir s’installer des milices chiites en Irak en cas d’éradication de Daech.
Pourtant, Ankara entretient des relations stables et apaisées avec l’Iran depuis au moins… 1639, date de signature du traité de Qasr-i Chirin qui détermine les frontières entre les deux pays. L’embellie au niveau bilatéral s’accommode très bien des divergences de vues sur les dossiers régionaux.
En janvier 2014, Erdogan avait entamé sa visite en Iran pour rencontrer le nouveau président Hassan Rohani en déclarant qu’il se sentait chez lui, «dans mon second foyer», avait-il dit.
Déjà en 2009, lors du soulèvement populaire après les élections présidentielles truquées au profit d’Ahmadinejad, le pouvoir turc avait préféré adopter un profil bas. Un an plus tard, le 17 mai 2010, la médiation de la Turquie et du Brésil permettait à l’Iran de sortir de l’isolement international. Les trois pays avaient annoncé la signature d’un accord pour mettre en dépôt en Turquie de l’uranium faiblement enrichi en échange d’uranium enrichi à 20% utilisable comme combustible à des fins civiles. Cette initiative n’avait pas prospéré faute de soutien dans la communauté internationale.
L’escalade verbale ne semble pourtant pas être de nature à compromettre les rapports bilatéraux. En octobre dernier, Erdogan s’en était pris directement au guide Ali Khamenei qui venait de réitérer son soutien à Bachar al Assad. L’Iran avait préféré escamoter l’incident.
Interrogé sur le sort du voyage qu’Erdogan doit effectuer à Téhéran au début du mois d’avril, le porte-parole de la présidence de la République, Ibrahim Kalin, a déclaré qu’il était maintenu. «Nous sommes opposés à ce que les approches sectaires provoquent des tensions dans la région. L’Iran est notre partenaire commercial. Nous avons toujours discuté clairement de ces choses-là avec l’Iran», a-t-il indiqué.
Source : Zaman France