Combien sont-ils à vivre leur foi en silence, par ce mode opératoire qu’est la Taqya ? Statut prudentiel de protection face à la doxa officielle sunnite. 3000, 10 000 ; 100 000, 200 000 chiites ou plus ? Quel est leur pourcentage par rapport à la population marocaine ? Les renseignements généraux, la DST, la DGED, disposent-ils de statistiques bien sourcées sur leur nombre ? Pourquoi cette phobie déraisonnée à l’égard des chiites marocains ? Sont-ils aussi dangereux que les wahhabites, les takfiristes, les jihadistes, et, d’autres sectes qui infestent notre société ? La commanderie des croyants souffre-t-elle d’un déficit de résilience pour pouvoir accueillir en son saint un chiisme aseptisé, moralisateur, qui contribuerait à la régulation du champ religieux ? Qui s’érigerait en contrepoids à la wahhabisation rampante de la société marocaine ? Qui s’imposerait comme une alternative à l’intégrisme religieux ?
Décidément, la religion est le cimetière de la schizophrénie. Idriss Ier, le fondateur de la dynastie idrisside, n’était-elle pas chiite ? Et la dynastie alaouite ne se revendique-t-elle pas de Ahl al Bayt ?, ne descend-elle pas d’Ali ? Cousin germain et gendre du prophète Mohammad. Le vivre ensemble – abstraction faite des appartenances religieuses des marocains – sur la base d’un Islam du Maroc, pluriel, décomplexé, relève-t-il du mythe ? Sommes-nous incapables de réinventer un néo-sunnisme qui cohabiterait avec un chiisme marocain ? Ne sommes-nous pas une terre culturellement plurielle, de tolérance religieuse, qui se prévaut – à l’international -, de sa spécificité, de son Islam modéré ? Verra-t-on un jour sur le sol marocain des mosquées mixtes ou chiites ? Autant de questions dont la réponse nécessite une relecture rationnelle de notre héritage religieux, une remise en question de ce corpus sacralisé de règles, qui fait par moments de l’ombre au Coran, qu’on appelle le Hadith, aussi bien sahih (sain) que Dha’îf (faible).
La liberté de conscience, contrepoids au fanatisme religieux ?
Dans son préambule, la constitution marocaine déclare en des termes solennels, « l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance etc. », « L’État s’engage à bannir et combattre toute discrimination à l’encontre de quiconque, en raison des croyances, de la culture… ». L’article 3 dans une formulation laconique et holiste, dispose que « l’Islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ». Le concept de l’Islam est pris ici dans son acception large, il n’est pas précisé s’il s’agit de l’Islam sunnite ou chiite. Pourquoi nos chiites, ne jouissent-ils pas, à l’instar des chrétiens, des juifs, et, d’autres confessions, de la liberté cultuelle ? Certes, le chiisme n’est pas une religion, c’est un courant de pensée minoritaire de l’Islam, mais le fait d’interdire aux chiites marocains ou de tolérer timidement ; à dose homéopathique la célébration par certaines associations de L’Achoura qui commémore le martyre de Hussein, petit fils du prophète, assassiné par décapitation à Karbala par le clan des Béni Oumaya ; est constitutionnellement discutable. La liberté de conscience qui devrait accélérer le processus de sécularisation de la société marocaine a été sous la pression des courants conservateurs, éliminée de la mouture initiale de la constitution de 2011. L’article 220 du code pénal marocain comporte des dispositions pernicieuses, assassines pour nos chiites ; il punit d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans, quiconque qui emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une religion. Au vu de ce qui précède, doit-on considérer un chiite qui s’adonne au prosélytisme à l’endroit de ses concitoyens ; comme un musulman soi foi ? Le fait de convaincre un sunnite de changer de branche pour une autre, peut-il être assimilé à un changement de confession ? Ce qui est gravissime, liberticide, c’est la fatwa émise par notre instance nationale religieuse ; le conseil supérieur des oulémas du Maroc. « Un musulman qui change de religion, mérite la peine de mort ». Crime d’apostasie, dira le commun des mortels. Sur la base de cette fatwa, un sunnite qui devient chiite, tombe-t-il sous le coup de cette malheureuse fatwa ? Heureusement que ça reste un avis, une opinion, dépourvue de toute force juridique. Mais elle en dit long sur la schizophrénie d’État qui plane sur la chose religieuse chez nous.
Appel d’air ?
Notre pays vient de rétablir ses relations diplomatiques avec l’Iran, rompues depuis mars 2009 pour des raisons intrinsèquement religieuses. Médiatiquement, l’événement est passé quasiment inaperçu. Transgressant les usages diplomatiques en cours, c’est le ministre des affaires étrangères M. Mezzouar, qui s’est vu attribuer cette prérogative régalienne, en recevant le 28 janvier au siège de son département ; le nouvel ambassadeur iranien qu’il lui a présenté sa lettre de créance. Alors que c’est le Roi, chef d’État qui en pratique, reçoit en audience les nouveaux ambassadeurs accrédités auprès de lui. C’est un détail de taille, ce jour-là, notre ministre à reçu, et, non des moindres, les ambassadeurs du Portugal, de la Turquie, de l’Indonésie et de la Guinée. Suite à cette nouvelle configuration, doit-on en conclure que l’endiguement du prosélytisme chiite au Maroc ne représente plus aucun risque pour la commanderie des croyants ? Que la dangerosité du « péril chiite « – comme l’affirme non sans fiel d’ailleurs, notre député cheikh Abdelbari Zamzami – pour l’unité du rite sunnite malékite est mise hors d’état de nuire ? Que la chasse aux sorcières lancée contre les chiites marocains en 2009 est fait historique archivé et classé ? Que « les chiites ne sont plus les ennemis de l’Islam modéré du Maroc » ? dixit Ahmed Khamlichi, directeur de Dar Al hadith Al hassania, lequel a énuméré dans un discours qui remonte au mois d’octobre 2008, la liste de ces ennemis . On y retrouve un large spectre, composé de chiites, de salafistes, d’athées, de chrétiens évangélistes. Malheureusement pour lui, il n’a pas eu la vision large pour prophétiser le côté macabre du printemps arabe, à savoir « l’État islamique » Dae’ch et consorts.
Pour en finir avec cette réflexion, citons la Tunisie, pays arabo-musulman, qui a décidé quatorze siècles après l’avènement de l’Islam ; par une démarche courageuse et séculière d’inscrire la liberté de conscience dans sa constitution. L’article qui suit, en particulier son premier alinéa, doit servir principalement de phare pour nous autres marocains. Je cite : « L’État est le gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance, le libre exercice des cultes et la neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation partisane… ».Constitutionnellement donc, un citoyen tunisien peut s’il le désire, devenir en toute liberté, et sans être taxé d’apostat, agnostique, bouddhiste ou juif, et j’en passe. L’identifiant identitaire est désormais la citoyenneté. C’est elle le socle et le dénominateur commun des Tunisiens .Notre pays suivra-t-il l’exemple de la Tunisie ? Ce n’est pas impossible.
M’hamed Alaoui Yazidi, est journaliste indépendant
alaay45free@hotmail.com
Source : Demain on line
https://www.demainonline.com/2015/03/12/sunnisme-et-chiisme-au-maroc-quel-modus-vivendi/