La décision annoncée du premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, d’utiliser l’invitation du Républicain John Boehner à s’adresser au Congrès pour critiquer la politique iranienne du président Obama, ne semble pas avoir obtenu le résultat escompté. À quelques semaines des élections générales israéliennes, ses propos se sont non seulement attiré une réaction immédiate de la Maison Blanche avec la décision de Barack Obama de ne pas le recevoir lors de son séjour, mais également des attaques multi-directionnelles directes contre le gouvernement israélien.
Joe Biden, le vice-président, a décidé de ne pas assister au discours de l’Israélien au Congrès. Au moment où ce dernier lancera son invective, il sera au Guatemala ou en Uruguay où il assistera à la cérémonie d’investiture du président Tabaré Vazquez. Un voyage qui tombe à point. En revanche, signe d’un changement d’alliance qui se confirme, Joe Biden et John Kerry ont rencontré publiquement, le dirigeant du parti travailliste israélien Isaac Herzog, en marge de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich. « Si vous demandez à Obama ou John Kerry qui ils veulent comme prochain Premier ministre israélien, cela ne sera pas Netanyahu. Ils préfèrent le Parti travailliste. Cela ne fait aucun doute », déclarait Aaron David Miller, conseiller de six secrétaires d’État successifs pour le Moyen Orient, parlant de la détérioration des relations entre Israël et les États-Unis. Il ajoutait, en outre, que cet incident donne une opportunité à Washington « pour essayer de démontrer à quel point cette détérioration est le fait de Netanyahu, et pour faire pression pour un changement de régime » avec en toile de fond, également, la question palestinienne.
Susan Rice, la conseillère américaine à la sécurité nationale, a qualifié cette initiative, organisée sans l’accord de la Maison Blanche, de « destructrice pour les bases mêmes des relations américano-israéliennes (…) Ce que nous voulons, c’est une relation entre les États-Unis et Israël forte, immuable, indépendante des péripéties politiques dans les deux pays » a-t-elle déclaré. Et plus d’une vingtaine de Démocrates ont déjà annoncé qu’ils n’assisteront pas au discours du Premier ministre israélien, comme Patrick Leahy, un élu du Vermont et doyen des sénateurs qui a accusé les Républicains d’orchestrer ce qu’il appelé « une magouille cavalière et de mauvais goût qui a embarrassé le Congrès lui-même ».
N’était-ce pas le but du jeu ? Cette initiative a provoqué, effectivement, une polémique et une division plus profonde et agressive dans le Congrès. Le président de la Chambre des Représentants (l’une des deux branches du Congrès, l’autre étant le Sénat) qui est à l’initiative de l’invitation sans avoir consulté la Maison Blanche, un précédent, est très clair : « Le peuple américain et les deux partis du Congrès ont toujours soutenu Israël et rien, et personne, ne barrera cette route. Ce qui est destructif, c’est de faire un mauvais accord qui pave le chemin pour un Iran nucléaire ». L’enjeu est d’autant plus important que les Républicains sont majoritaires dans les deux chambres et que le Sénat doit se prononcer dans quelques semaines sur de nouvelles sanctions contre l’Iran, ce qui pourrait influer sur l’issue des négociations.
Le discours annoncé de Netanyahu est aussi entré de plein fouet dans la campagne électorale en Israël. Pour l’opposition, les choses sont claires. « Il est temps que Bibi (Netanyahu) annonce l’annulation de sa visite au congrès, déclarait Isaac Herzog. Les conversations que j’ai eues avec plusieurs dirigeants américains et européens montrent clairement que Netanyahu a provoqué une grande colère en utilisant la discussion sur le programme nucléaire iranien pour des intérêts politiques, et en la transformant en une confrontation avec le président des États-Unis. Ce discours qui est né dans le péché, comme une « invention électoraliste » met en danger la sécurité des citoyens d’Israël, particulièrement la relation spéciale entre Israël et les États-Unis. C’est une erreur stratégique », expliquait le leader du Parti travailliste et de la coalition Zionist Camp formée avec l’ex-ministre des Affaires étrangères de Netanyahu, Tzipi Livni, pour le scrutin du 17 mars.
Si la Joint (Arab) List qui regroupe des partis arabes israéliens, ne représente pas un danger dans ces élections (elle pourrait obtenir 13 sièges), elle peut, néanmoins, peser en décidant de coopérer avec la Zionist Union d’Isaac Herzog, pour « bloquer la droite » et empêcher un gouvernement de coalition, comme l’a expliqué Ahmad Tibi, l’un des candidats de la Joint List, précisant que « cependant, nous avons de nombreux problèmes avec la Zionist Union », le premier étant la question palestinienne. Ils ne se sont pas exprimés sur l’initiative de Washington. Cependant, séduire le monde arabe est l’un des axes de lobbying des conseillers israéliens à Washington à quelques jours du discours. Et la présence de certains États, du Golfe notamment, lors du discours aurait donné un formidable argument à Netanyahu tout en envoyant un message fort à Obama. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Koweït ne voient-ils pas, entre autres, l’Iran comme leur principal ennemi ? Ne peut-on les convaincre que Barack Obama et ses alliés occidentaux sont en train, volontairement ou involontairement, d’en faire une puissance nucléaire ? Les efforts de l’ambassadeur israélien aux États Unis, Ron Dermer, n’ont, cependant, pas abouti, malgré les emails envoyés personnellement aux ambassadeurs des pays du Golfe, soulignant l’intérêt commun des États arabes sunnites et d’Israël contre l’Iran chiite à présenter un front uni face aux congressistes américains. Aucun ambassadeur arabe ne sera présent au Congrès ce jour-là.
En attendant le 3 mars, les tractations de couloirs et de lobbying vont bon train à Washington. Selon Goldberg, le conseiller de Netanyahu pour les questions de sécurité nationale, Yossi Cohen, souhaiterait que ce discours soit annulé. Tout comme la Maison Blanche, il n’avait pas été informé ni consulté sur cette initiative. Il a rencontré Susan Rice pour tenter de désamorcer la crise. Par ailleurs, une pétition circule dans les rangs des élus américains pour exiger le report du discours. « En tant que membres du Congrès qui soutiennent Israël, nous partageons l’inquiétude de voir que vous utilisez un dirigeant étranger comme instrument politique contre le président » peut-on lire. Le Démocrates du Black Caucus (le groupe des Démocrates Noirs) ont annoncé qu’ils empêcheraient Netanyahu de parler, provoquant la colère des autorités religieuses afro-américaines chrétiennes conservatrices, au nom de « l’héritage commun judéo-chrétien », comme l’a déclaré Star Parker, fondateur du Centre pour l’éducation et le renouveau urbain.
En défendant sa visite, Netanyahu avait déclaré qu’il venait parler au Congrès au nom de « tout le peuple juif ». Une erreur grossière. En effet, 69 % des 6,8 millions de Juifs américains ont voté pour Barack Obama en 2012, alors que 23 % des 6,1 millions de Juifs d’Israël ont élu Netanyahu, souligne le Washington Post. Et de manière générale, les Juifs américains sont radicalement opposés à la politique brutale d’Israël envers les Palestiniens. Les organisations juives Anti-Defamation League et Union for Reform Judaism ont appelé à l’annulation de la séance.
Une campagne online a été, également, organisée par Jewish Voice for Peace et d’autres organisations pour demander aux membres du Congrès de boycotter la séance. « Nous sommes indignés par l’invitation faite au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour parler au Congrès. Il ne parle pas de la paix honnêtement, les colonisations illégales et les violations des droits de l’homme en Palestine n’ont cessé d’augmenter pendant son mandat. Nous appelons tous les membres du Congrès à refuser d’assister au discours de Netanyahu et à envoyer le message que quiconque y fait la promotion de la guerre et non de la paix n’est pas le bienvenu », dit le texte qui a mobilisé déjà plusieurs dizaines milliers de personnes.
Ces derniers jours, la pression s’est accrue. Le 27 février, le Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes, puissant lobby pro-israélien, se trouve dans une situation difficile. En premier lieu parce qu’il craint un fiasco au Congrès. Ensuite parce qu’il doit réunir sa conférence nationale le 2 mars en présence de Netanyahu qui doit s’y exprimer, et que court la rumeur qu’aucun haut représentant de la Maison Blanche n’y assistera.
Il apparaît clairement que l’Administration Obama qui prend ses distances avec l’actuel gouvernement israélien a saisi la balle au bond pour faire savoir très « officiellement », désormais, que Netanyahu n’est plus un allié privilégié. Le discours de Washington est bien une « erreur stratégique ».