De la « Grande lutte des Mineurs » à « Avoir 20 ans dans les Aurès » celui qui fut le « cinéaste français le plus censuré » a définitivement abandonné sa caméra le 4 janvier pour d’autres cieux. René Vautier avait 86 ans et un parcours d’homme rebelle et entier. Son engagement anticolonialiste, notamment auprès de la Révolution algérienne, a fait de lui la bête noire des services et des autorités français pendant longtemps.
Né dans le Finistère le 15 janvier 1928, René Vautier était profondément anti-colonialiste et anti-capitaliste. Anti-capitaliste d’abord, quand à l’âge de 18 ans, tout frais sorti de l’Idhec (Institut des Hautes études cinématographiques fondée fin 1943 par Marel L’Herbier), il met son talent au service du groupe de résistants de l’EDF au poste de responsable de la propagande. C’était en 1944. En 1947, il continue de “sévir” avec la Grande lutte des mineurs. Plus tard, en 1976, ce sera Quand tu disais Valéry et Frontline, un film dénonçant le régime d’apartheid en Afrique du Sud qui n’obtint jamais de visa, mais que, par opportunisme, le gouvernement français sous la présidence de François Mitterrand, a voulu l’offrir à Nelson Mandela lors de sa première visite en France. « Au nom de quoi ? Au nom de qui ? Au nom de gusses qui l’ont interdit pendant vingt ans ? » déclare-t-il, en colère. Plus tard encore, il y aura le documentaire contre le Front National A propos de l’autre détail (1984-1986) ou encore Hirochirac en 1995, « le truc contre les essais nucléaires, au moment où Chirac les faisait reprendre – le film s’appelle Hirochirac – je l’ai commencé à Hiroshima et je l’ai terminé avec les essais nucléaires de Chirac à Mururoa. Et là on s’est aperçu, quand je faisais la projection de ce film, que je ralais tellement contre les cancers de la gorge et les leucémies qui proliféraient sur tous les lieux où il y avait des essais nucléaires, chez les Américains dans le Nevada, chez les Russes, en Algérie, à Mururoa, au Japon, en Australie… et à force de faire tous ces trucs-là, les gars m’ont dit que je faisais un « cancer de la solidarité ». On m’a opéré, on m’a ouvert, on m’a envoyé des rayons et ça m’a complètement bousillé les glandes salivaires. Donc théoriquement, j’étais en sursis », raconte-t-il non sans humour, en août 2004, dans une interview passionnante accordée à Alternative Libertaire (www.alternativelibertaire.org ).
Anti-colonialiste, René Vautier exprima son engagement dès 1950 – il a alors 20 ans – en tournant le premier film anti-colonialiste français, Afrique 50, un court métrage documentaire sur les émeutes anti-coloniales en Côte d’Ivoire et sur la répression sanglante par l’armée française. Non seulement le film fut censuré pendant 40 ans, mais René Vautier fit sa première expérience carcérale, condamné à un an de prison ferme pour violation du décret Pierre Laval (ministre des Colonies) de 1934. Il est enfermé à la prison militaire de Saint-Maixen, puis à Niederlahnstein, en zone française d’occupation en Allemagne d’où il sortira en juin 1952, alors que le film reçoit la médaille d’or du festival de Varsovie. En 1951, le grand historien du cinéma français, Georges Sadoul, écrivait de lui : « René Vautier tranche par son allure et ses convictions, il pense visiblement que lorsqu’un mur se dresse sur la route de ce qu’il veut montrer, la seule solution consiste à foncer dans le mur, camera au poing et tête en avant. Les murs n’ont qu’à bien se tenir ».
Et c’est bien ce qu’il fit, en Algérie, dès 1954, avec Une nation, l’Algérie, histoire de la colonisation. L’une des deux copies du film a été détruite, l’autre a disparu. René Vautier est poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l’État français pour une phrase utilisée dans le film « L’Algérie sera de toute façon indépendante ». En 1957-1958, il filme Algérie en flammes dans les maquis des Aurès-Nementchas et le long de la ligne Morice, frontière de barbelés électrifiés érigée entre l’Algérie et la Tunisie par les Français. À cette époque qui marque le début de la révolution algérienne, un cinéaste français n’est pas forcément bien vu dans les maquis et le militant engagé du côté de la lutte du peuple algérien devra quand même passer deux ans dans une prison secrète du GPRA, le Gouvernement provisoire algérien, à Denden, à l’ouest de Tunis, suspecté d’être un agent… de Moscou.
Son attachement pour l’Algérie ne prend évidemment pas fin avec l’Indépendance en 1962. Il marque, alors, de son empreinte le développement des arts cinématographiques algériens avec le Centre audiovisuel d’Alger dont il est directeur, mais aussi la démocratisation du cinéma avec la mise en place des cinémas populaires, les cinés-pops dont les bus vont circuler dans toutes les campagnes, organisant projections et débats. René Vautier et le centre audiovisuel forment alors, également, les premiers cinéastes et techniciens algériens.
C’est, sans doute, le documentaire réalisé avec Alexandre Arcady et Philippe Léotard en 1972, Avoir 20 ans dans les Aurès qui aura le plus marqué les mémoires. Le film est réalisé après des heures d’enregistrement d’anciens jeunes appelés du contingent ayant combattu en Algérie. Autour de l’histoire d’un commando de l’armée française formé d’appelés Bretons affrontant une unité de l’Armée de libération nationale, René Vautier tente de répondre à la question, ou du moins la pose-t-il, « Comment peut-on mettre des jeunes en situation de se conduire en criminels de guerre ? », mais aussi, comment tout pacifiste peut se transformer en machine à tuer.
Enfin, c’est aussi à René Vautier que l’on doit la fin de la censure cinématographique en France. Celui qui fut militant dans les maquis à l’âge de 15 ans n’a jamais cessé de se battre pour les bonnes causes. En janvier 1973, il entame une grève de la faim pour exiger « la suppression de la possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques ». Soutenu par Claude Sautet, Alain Resnais et Robert Enrico, il obtient une modification de la loi.
Le travail et l’engagement de René Vautier, communiste breton, résistant anti-nazi, militant anti-raciste et anti-colonialiste ont été reconnus à plusieurs reprises. Non seulement il reçut la Croix de guerre à 16 ans et fut cité à l’ordre de la Nation par le général de Gaulle pour faits de Résistance, mais son œuvre sera primée à plusieurs reprises, comme en 1974 avec un hommage spécial du jury du Film antiraciste, en 1998, le Grand prix de la société civile des Auteurs multimédias, entre autres, et surtout, le prix de la critique internationale du Festival de Cannes pour Avoir 20 ans dans les Aurès, en 1972. L’œuvre du réalisateur engagé que fut René Vautier nous lègue un héritage sans égal en ces temps de confusion idéologique et intellectuelle que traversent nos sociétés.