Quel est le rapport entre le prix d’un baril de pétrole et le prix d’une tête d’intellectuel ?
Romancier, poète ou critique littéraire, peu importe. En arabe ou en français qu’importe. Il existe bel et bien des souks pour le pétrole, tantôt perturbé, tantôt maîtrisé ! Une armada de culture boursière l’enveloppe. Je ne suis pas un économiste. Je ne suis pas non plus un argentier. Ce qui me frappe, ces jours-ci, c’est que partout on ne parle que de cette crise du prix du baril de pétrole. Des journaux spécialisés, des banquiers et même l’épicier du coin. On ne parle que de ça !!! Je ne comprends pas grand-chose, mais je me demande : pourquoi est-ce qu’on ne parle jamais des bazars pour les têtes d’intellectuels ? Les têtes intellectuelles ! Un marché là où se vendent les têtes d’intellectuels ! Le marché des troupeaux humains ! Et pourtant cela existe depuis les nuits des temps. En méditant sur la tête intellectuelle et le baril de pétrole, j’ai découvert qu’il y a une ressemblance flagrante entre ces deux choses ! Ceci dit qu’il y a un rapport direct entre les transactions du pétrole et celles des têtes intellectuelles ! Dès que le prix du pétrole se voit en chute, le prix de la tête d’intellectuel suit automatiquement. C’est drôle ! S’bahane Allah ! Comment acheter une tête intellectuelle ? Quelles sont les astuces pour faire baisser les prix des têtes d’intellectuels dans le marché algérien, maghrébin ou arabo-musulman ? Comment payer moins pour avoir plus de bêtes penseuses et panseuses dans les sérails ? Comment peut-on faire, face aux appétits, riposter aux convoitises qui guettent les têtes intellectuelles ? L’argent du baril des pays du Golfe met, de plus en plus, la main sur la culture et les intellectuels maghrébins et arabes. Il a commencé d’abord par absorber les meilleurs intellectuels égyptiens, puis syriens, libanais et soudanais en les plaçant dans des universités ou dans des institutions médiatiques et économiques. Cette hémorragie intellectuelle qui a asséché l’Égypte et Bilad Achcham de leurs enfants diaboliques a débuté dans les années quatre-vingt, avec la montée du phénomène du pétrole. Cette effusion a avorté tout mouvement moderniste dans ces pays abandonnés par leurs élites. Les sociétés se trouvaient sans guides, sans classe moyenne. Une majorité d’universitaires, d’écrivains, de journalistes, de médecins justifient leur départ vers les pays du Golfe par ces termes : partir dans les pays du Golfe c’est faire son avenir. Construire une villa. S’acheter une belle voiture. Posséder un compte bancaire en monnaie américaine. Même avec un retour aux pays d’origine, avec un autre mode de vie, l’intelligentsia d’Égypte et de Bilad Achcham, se voit couper de sa société, étrangère dans son pays. L’hémorragie intellectuelle ne s’est pas arrêtée aux portes de ces pays moyen-orientaux. La maladie s’est élargie aux pays du Maghreb. Aujourd’hui on compte beaucoup d’intellectuels marocains et tunisiens engagés dans des différentes institutions du Golfe. Ceux qui jadis faisaient la lumière dans les universités et dans la vie culturelle de leurs pays d’origine se trouvent installés dans le silence complice. La décennie noire qu’a vécue l’Algérie a poussé un nombre de journalistes, de médecins et… au départ pour s’installer dans les pays du Golfe. Mais ce départ qui au départ était forcé est devenu délibéré. Les prix littéraires, les festivals du cinéma ou du théâtre, les revues, les journaux… toute cette armada de la culture mercantile n’est qu’un piège tendu aux intellectuels maghrébins de lumière. Et je me demande : pourquoi n’existe-t-il pas un seul marché où se négocie le prix du baril de pétrole au côté de la tête d’intellectuel ?
Publié par : Liberté
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