Le chef de l’Etat turc, Tayyip Erdogan, a été reçu par François Hollande vendredi 31 octobre dans le cadre d’une visite de travail. Les deux présidents ont notamment évoqué la situation de Kobané dans laquelle les deux pays ont une quasi convergence de vues.
«Le président de la Turquie viendra en France parce que nous avons aussi des problèmes internationaux à régler ensemble», avait annoncé François Hollande à Zaman France lors du Salon international de l’alimentation. Tayyip Erdogan a effectué le vendredi 31 octobre une visite de travail d’un jour. Trois sujets ont dominé le programme de la rencontre bilatérale.
Les relations entre les deux Etats connaissent un nouvel élan depuis l’accession au pouvoir du président socialiste. Le 10 octobre dernier, les ministres des Affaires étrangères de la Turquie et de la France, respectivement Mevlüt Cavusoglu et Laurent Fabius, avaient signé une «déclaration politique commune sur la création d’un cadre stratégique pour la coopération entre la Turquie et la France».
La France et la Turquie défendent une position similaire en Syrie
Les deux pays sont unanimes pour établir une zone tampon en Syrie. La France avait fini par rallier la proposition de la Turquie quant à l’ouverture d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie afin d’accueillir et protéger les personnes déplacées et d’entraver l’avancée de Daech.
«La Turquie regarde comment elle peut permettre aux réfugiés de continuer à venir afin d’être protégés et aux combattants qui veulent aller lutter contre le terrorisme de pouvoir s’y rendre», avait déclaré Hollande à Zaman France.
Sur Kobané, les deux pays sont sur la même longueur d’onde, ils estiment qu’un corridor doit être ouvert afin de venir en aide aux combattants qui luttent contre Daech dans les quartiers de Kobané. La priorité reste l’assistance à la coalition nationale syrienne et non aux Kurdes spécifiquement.
« En Syrie, nous sommes conscients qu’il y a deux adversaires : Daesh et Bachar al-Assad (…) et nous avons longtemps pensé qu’il y avait une forme d’alliance objective entre Daesh et le régime syrien. C’est pourquoi nous faisons en sorte de former, d’appuyer l’armée libre de Syrie », a déclaré Hollande.
Erdogan s’est demandé pourquoi la coalition se préoccupait exclusivement de Kobané. «On ne parle que de Kobané, qui est à la frontière de notre pays. Il n’y a personne à Kobané, 200 000 personnes sont réfugiées en Turquie. Il y a seulement 2000 combattants», a-t-il introduit avant d’ajouter, «il y a d’un côté un groupe terroriste mais il y a également un terrorisme d’Etat de la part d’al-Assad».
«Il n’y a pas que Kobané, le président Erdogan a raison », a souligné Hollande, « il y a d’autres villes qui sont menacées par Daech et, pour nous, la ville qui est clé parmi toutes les villes, c’est Alep en ce moment. Mais même si cette ville a été vidée de sa population, il y a la nécessité de lui apporter les renforts nécessaires et nous faisons là-dessus confiance à la Turquie pour que les mouvements puissent se faire», a-t-il dit.
Le dossier de l’adhésion à l’Union européenne
Ankara a entamé les négociations formelles d’adhésion en 2005 mais seuls 14 chapitres sur un total de 35 ont été ouverts à ce jour et un seul (sur la science et la recherche) a été clôturé.
«Je propose que le chapitre 17 portant sur la politique monétaire et économique puisse être ouvert avant la fin de cette année», avait déclaré Volkan Bozkir devant la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, à Paris. François Hollande avait levé le blocage de la France sur le chapitre 22 (sur la politique régionale).
«La France veut aujourd’hui aller de l’avant. Nous avons pu ouvrir en novembre 2013 un nouveau chapitre de négociations, le chapitre 22 [politique régionale]. Aujourd’hui, j’annonce que la France est disposée à ouvrir de nouveaux chapitres pour la négociation, notamment l’ensemble des chapitres 23 et 24 qui couvrent l’ensemble des domaines des droits fondamentaux et de la justice», avait déclaré Fabius.
Le président Hollande a appelé la Turquie à avoir un « dialogue sincère avec l’Europe ». « Il ne s’agit pas de savoir s’il y aura ou non adhésion, il s’agit de savoir si elle est utile et elle n’est concevable que s’il y a des négociations », a-t-il poursuivi. « La France bloquait 5 chapitres. J’attendais de mon homologue une bonne nouvelle quoiqu’il ait allumé une lumière mais si cette lumière pouvait être plus nette, je rentrerais en Turquie avec cette bonne nouvelle », a insisté Erdogan.
La question de la défense antimissile
La Turquie souhaite acheter son premier système de défense antimissiles. La société chinoise CPMIEC avait remporté l’appel d’offres en septembre 2013 mais l’offre franco-italienne de MBDA et Thales reste sur la table et la diplomatie française n’hésite pas à utiliser la moindre occasion pour la mettre en avant.
«Du point de vue de l’OTAN, il est de la plus grande importance que les systèmes qu’un pays de l’Alliance souhaite acheter puissent fonctionner de concert avec des systèmes similaires présents dans d’autres pays de l’Alliance», avait déclaré Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l’organisation à l’époque. La Turquie s’était donc ravisée pour repenser la question.
«Certains désaccords sont survenus avec la Chine sur la question de la fabrication conjointe et du savoir-faire pour le système antimissile», avait déclaré Tayyip Erdogan en marge du sommet de l’Otan aux Pays de Galles. «Malgré cela, les discussions se poursuivent, mais la France, deuxième sur la liste [des fournisseurs éventuels] nous a fait une nouvelle offre» et «actuellement, nous menons des discussions avec la France», avait dit le chef de l’Etat. Après sa rencontre, Erdogan a seulement affirmé que «les discussions continuaient sur l’industrie de l’armement».
Une visite dénoncée
Dans un communiqué virulent, le parti communiste français a dénoncé la position d’Erdogan «qui a juré la perte de l’expérience démocratique de Rojava». «Il viendra le dire à F. Hollande le 31 octobre 2014. Cette visite déplacée et inopportune est une provocation qui vise à faire pression sur la France afin qu’elle infléchisse sa position et qu’elle ratifie les accords de coopération policière et judiciaire liberticides», a poursuivi le texte.
En outre, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) a exprimé «ses plus vives inquiétudes» à l’annonce de cette visite. «L’objectif d’Erdogan n’est-il pas d’infléchir la position du gouvernement français à la veille de la journée internationale de solidarité avec Kobané ?» s’est interrogé le MRAP. «Plus que jamais, il est nécessaire d’obtenir l’abandon définitif des « accords sécuritaires contre le terrorisme » Guéant – Fabius, les « terroristes » (dont il est question) en question étant les sympathisants du PKK dont les militants sont en première ligne des combats pour défendre Kobané contre les vrais terroristes de Daech », pouvait-on lire dans le communiqué.
Le Conseil démocratique kurde de France (CDKF) a de son côté appelé à manifester vendredi 31 octobre à 14h à Paris. «L’objectif de cette visite est de faire pression sur la France afin de l’amener à infléchir sa récente position favorable aux Kurdes. La Turquie qui a pour ambition d’occuper la région du Kurdistan de Syrie et de mettre un terme au système démocratique d’autogestion mis en place dans cette région essaye par tous les moyens d’entraver la résistance de Kobané contre Daech et d’imposer son projet de zone tampon au nord de cette ville», a estimé le CDKF.
Source : https://www.zamanfrance.fr/article/erdogan-a-paris-on-ne-parle-que-kobane-il-ny-a-personne-a-kobane-13064.html?&;_suid=141487094356708990085776895285
Annexe : Déclaration conjointe à la presse avec M. Recep Tayyip Erdogan, président de la République de Turquie
Mesdames, Messieurs,
J’avais souhaité, il y a quelques jours, lors d’une conversation téléphonique avec le Président ERDOGAN, qu’il puisse venir à Paris pour évoquer notamment la situation en Irak et en Syrie, et revenir sur notre coopération bilatérale à la suite de la visite d’Etat que j’ai effectuée à Ankara il y a quelques mois. Je veux revenir sur ces différents sujets et sur la relation que nous avons, à tous les points de vue excellente, avec la Turquie.
Je reviens d’abord sur la situation en Irak et en Syrie.
En Irak, nous voulons, c’est la position de la France depuis le départ, qu’il y ait une lutte efficace contre Daesh qui puisse rassembler toutes les parties prenantes. Nous sommes conscients qu’il n’y aura pas de reconquête des territoires qui sont occupés par Daesh s’il n’y a pas, au-delà d’un gouvernement inclusif, la mobilisation de tous, c’est-à-dire des Irakiens eux-mêmes dans toutes leurs composantes, dans toute leur diversité. La France a décidé d’intervenir en Irak en appui aérien de l’armée irakienne, et également là où il y a des conflits ouverts, en appui des kurdes d’Irak, pour leur apporter non seulement le soutien aérien mais également la formation nécessaire.
En Syrie, nous sommes conscients qu’il y a deux adversaires : Daesh et Bachar El-ASSAD qui continue de bombarder la population civile, y compris des femmes et des enfants. Il y a même une forme d’alliance objective entre Daesh et le régime syrien. C’est pourquoi, nous faisons en sorte de former, d’appuyer l’armée libre de Syrie. C’était d’ailleurs le sens de la conversation que nous avons eue avec le Président ERDOGAN parce que nous sommes sûrs qu’il n’y aura, là-encore, de victoire – quelles que soient les actions de la coalition notamment à Kobané – que si l’armée syrienne libre, c’est-à-dire l’opposition démocratique reçoit les soutiens nécessaires.
Nous avons regardé comment nous pourrions, dans le cadre de la coalition et de ce que nous avons à faire avec la Turquie, examiner la mise en place de zones de non survol d’avion et des zones aussi où nous pourrions apporter les appuis nécessaires de formation et de matériels à l’armée libre de Syrie.
Voilà ce que j’ai voulu avec le Président ERDOGAN évoquer sur la Syrie et sur l’Irak. Nos ministres des Affaires étrangères vont travailler dans cette direction notamment pour les zones qui doivent être fixées.
Nous avons aussi parlé de nos relations bilatérales. Un certain nombre de décisions avaient été prises lors de mon déplacement : le développement de notre commerce, l’ouverture des marchés, un certain nombre de dossiers sur lesquels nous sommes partie prenante. Je sais que le Président ERDOGAN avait fait en sorte que, notamment sur la question du nucléaire civil, la France puisse revenir. Cela a été le cas dans une coopération avec le Japon. De la même manière sur un certain nombre de matériels, sur un certain nombre de projets, notamment d’infrastructures de transport, il y a de grands progrès dans la relation économique entre la Turquie et la France.
Sur les négociations des chapitres, pour que la Turquie puisse avoir un dialogue sincère avec l’Europe, il ne s’agit pas de savoir s’il y aura une adhésion. Il s’agit de savoir si elle est possible. Elle n’est concevable que s’il y a des négociations. Des chapitres avaient été ouverts dans le passé, puis il y a eu une longue période de suspension. Un chapitre a été de nouveau ouvert sur les politiques régionales. Mais j’ai toujours considéré qu’il était possible d’ouvrir les chapitres – notamment la justice, les droits de l’homme, la sécurité – au niveau européen. C’est le message que j’ai passé.
Enfin sur le plan des échanges culturels, universitaires, je me souviens encore de mon déplacement. Là-aussi, il y a de grands progrès qui ont été constatés. Cette visite, bien sûr rapide, du Président ERDOGAN vient après d’autres. Elle vient après une réunion qui, à mon avis, a été plus fructueuse qu’il n’y paraît, entre ce que nous appelons le « groupe de Minsk » qui concerne le Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan et l’Arménie. J’y ai passé toute la journée de lundi et cela a été à mon sens positif. Parce que même si nous restons sur des principes pour régler cette question, il y a beaucoup de points communs qui nous unissent et nous avons pu avancer. Je sais que la Turquie y est aussi attentive.
Voilà le sens de ce déplacement, et nous aurons d’autres rencontres aussi bien ici, que dans des réunions internationales.
Nous avons quand même un objectif : faire en sorte que nous puissions lutter contre Daesh, lutter contre le terrorisme, apporter une stabilité et une sécurité, et il y a urgence. Il y a là un cri d’alerte, qu’il faut lancer. Il n’y a pas que Kobané, il y a aussi d’autres villes en Syrie qui sont menacées, d’autres villes en Irak. Toute la communauté internationale doit se mobiliser par rapport à ce danger.
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Comme le Président ERDOGAN m’invite à reprendre la parole, je vais le faire.
D’abord sur Kobané, il n’y a pas que Kobané et le Président ERDOGAN a raison, il y a d’autres villes qui sont aujourd’hui menacées par Daesh en Syrie. Pour nous la ville clé parmi toutes les villes, c’est Alep. Nous faisons donc en sorte d’appuyer, comme nous l’avons toujours dit, l’armée syrienne libre et l’opposition démocratique pour que nous puissions leur apporter tout le soutien nécessaire par rapport à cet enjeu.
Il y a aussi Kobané. Même si cette ville a été vidée de sa population, il y a la nécessité de lui apporter les renforts nécessaires. Nous faisons là-dessus confiance à la Turquie pour que les mouvements puissent se faire.
Le second sujet, c’est l’Europe. C’est vrai qu’il y a eu des blocages dans la discussion entre la Turquie et l’Union européenne, qui ne venaient pas que de la France d’ailleurs et qui portent sur des sujets extrêmement difficiles. Même si comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de savoir si la Turquie va adhérer ou non mais de savoir si nous pouvons avancer sur un certain nombre de sujets.
J’ai été précis sur les chapitres 23 et 24. Nous pouvons avancer comme il a été démontré d’ailleurs que nous l’avions fait sur les politiques régionales. Nous ne faisons aucune conditionnalité.
Et puis pour nous, le rapport avec la Turquie, bien sûr c’est un rapport global : il y a ce qui se passe au niveau européen et au niveau mondial, mais il y a aussi la relation bilatérale qui en elle-même doit être portée à son plus haut niveau. Nous en avons parlé parce qu’il y a beaucoup de sujets : aéronautique, défense, agroalimentaire, où nous pouvons au-delà même du nucléaire civil, ce qui est un point important, progresser encore dans nos échanges.
Je vais saisir cette occasion qui m’est donnée de ce rendez-vous avec la presse pour parler aussi de la conférence sur le Climat. Nous allons avoir des responsabilités communes dans l’année 2015. La France, parce qu’elle va réunir cette conférence à la fin de l’année ; et la Turquie parce qu’elle va avoir une responsabilité au sein du G20. Nous pouvons faire en sorte de porter les mêmes objectifs et là-dessus, nous sommes en plein accord. La Turquie est également consciente que nous devons trouver un accord global à la fin de l’année 2015.
Il y a ensuite ce qui se passe au Burkina Faso, qui est un pays ami de la France. Il y a eu un certain nombre de manifestations, de rassemblements et une tension maximale. La France contribue et veut contribuer à l’apaisement dans ce pays. Dans ce pays de l’Afrique de l’ouest, pour nous si décisive, où il se passe tant de choses, y compris la lutte contre le terrorisme, la sécurité et également éviter qu’Ebola puisse se répandre… Pour les liens qui nous unissent au Burkina Faso, pour la stabilité de la région, la France contribue à l’apaisement. Je suis sûr que le Président COMPAORÉ, dans les heures qui viennent, prendra les bonnes décisions pour parvenir à cet apaisement nécessaire.
Enfin, au moment où j’étais avec le Président ERDOGAN, j’apprenais qu’un incendie extrêmement grave est en train de se produire à la maison de la Radio. Nous n’avons pas constaté et heureusement de victimes. Tout a pu être évacué. Les forces de la protection civile sont en pleine intervention et nous ne connaissons pas encore l’ampleur des dommages mais ils paraissent considérables.
Le Gouvernement et l’ensemble des administrations concernées sont à l’œuvre, et nous pensons en terminer avec cet incendie dans la journée. C’est en plein Paris, un traumatisme extrêmement grand, par rapport à cet édifice qui est symbolique, qui est un édifice qui avait été voulu par le Général de Gaulle en 1964. Nous en avions célébré le 50ème anniversaire, il y a des travaux qui étaient en cours… Je ne sais pas si c’est la cause de l’incendie, mais je suis très attentif, très mobilisé par rapport à ce qui se passe en ce moment même en plein Paris.
Je remercie encore, le Président ERDOGAN pour sa venue. Elle sera annonciatrice d’autres décisions, parce que nous sommes pleinement mobilisés par rapport à la lutte contre Daesh. C’est ce qu’a dit le Président ERDOGAN, il n’y a pas de doute à avoir, ni sur la lutte que nous devons mener par rapport à Daesh, ni sur le rapport que nous avons avec le régime de Bachard El-ASSAD. Ce sont deux facteurs de guerre et de désordre.
Merci