Ancien patron de la direction de surveillance du territoire (DST, contre-espionnage français), et membre de la commission parlementaire française de réforme des services secrets français, récemment installée, Yves Bonnet aborde, dans un entretien accordé au Temps d’Algérie, l’ignoble assassinat de l’otage Français Hervé Gourdel et évoque les circonstances de création de l’État islamique (EI, ou Daech) et la supposée installation de cette organisation terroriste en Algérie.
Le Temps d’Algérie : Comment avez-vous accueilli l’information se rapportant à l’enlèvement et assassinat, en Algérie, de Hervé Gourdel, ressortissant français, par une organisation terroriste affiliée à l’EI ou Daech ?
Yves Bonnet : Je suis évidemment consterné par l’enlèvement et la décapitation de Hervé Gourdel qui intervient à un moment stratégique, celui où la France s’engage plus activement dans la lutte contre l’EI, même si cet engagement est plus symbolique et politique que déterminant. Bien entendu, cette mauvaise nouvelle témoigne de ce que la lutte antiterroriste n’est jamais totalement gagnée.
C’est le premier acte criminel fait par « Djound al khilafa, affilié à l’EI. Vous attendez-vous à d’autres actes criminels de cette organisation terroriste en Algérie ?
Djound al khilafa était effectivement inconnu, au moins du grand public, à ce jour, mais ceci importe peu, car on connaît le caractère labile de ces groupuscules terroristes qui naissent et disparaissent, sous des formes renouvelées avec le même fonds de recrutement. Ce qui importe, c’est d’en connaître les chefs et leurs antécédents ainsi que leurs connexions avec les autres « formations » de cette nature. Ces groupes qui n’ont pas d’autre raison de vivre que le crime et les trafics d’armes, de drogue et d’otages s’appliqueront à renouveler leurs actes.
Pourquoi maintenant (au moment où une coalition internationale est installée pour combattre Daech) ?
Je crois davantage à l’opportunisme de ce groupe qu’à une stratégie élaborée. Il se trouve que l’intervention française leur fournissait un prétexte et que Hervé Gourdel était un objectif aisément atteignable. L’occasion a fait le larron.
Pourquoi l’Algérie et pourquoi un otage français (des dizaines d’autres pays font partie de cette
coalition) ?
Pour les terroristes, la France restera toujours en Algérie la meilleure cible. C’est à la fois historique et facile, en raison du nombre de Français qui franchissent la Méditerranée. Ces criminels connaissent aussi la plus grande vulnérabilité de l’opinion française à des attentats en Algérie que dans tout autre pays au monde.
Quelques heures seulement nous séparent de l’appel lancé par l’EI pour s’attaquer aux ressortissants des pays faisant partie de la coalition anti-Daech et l’enlèvement du ressortissant français. Cela dénote-t-il, selon vous, d’une coopération entre l’EI et sa « filiale » en Algérie, « Djound al khilafa », en l’occurrence ?
Je ne pense pas qu’il puisse s’agir d’une opération coordonnée mais d’une opportunité bien mise en scène.
Ne croyez-vous pas que la France a encouragé, même indirectement, l’EI en armant « l’opposition armée »
en Syrie ?
Il est certain que la France a prêté le flanc à de telles actions par son interventionnisme en Libye et en Syrie. Loin de moi l’idée qu’il ne faut pas soutenir ni participer à la lutte antiterroriste mais nous devrions plutôt concentrer nos efforts dans les régions que nous connaissons le mieux, comme l’Afrique subsaharienne, et coopérer avec des pays amis comme l’Algérie. L’agitation tous azimuts est inutile et inopérante.
Quel serait, d’après vous, le degré de coopération entre les services de sécurité algériens et français dans le dossier de l’enlèvement de Hervé Gourdel ?
La coopération entre les services algériens et français conserve un haut niveau de confiance et l’assassinat de Gourdel ne changera rien à cette exemplaire coopération. Les Français savent quels efforts leurs partenaires et amis algériens déploient à chaque fois qu’il s’agit de sauver des innocents et leur compétence est avérée et reconnue, n’en déplaise à Marceau que j’ai connu plus pertinent et mieux inspiré.
Quel sera le comportement de la France vis-à-vis de ses « djihadistes » dans les rangs de Daech ?
Dès le départ, les services de sécurité comme la DGSI se sont inquiétés de la dérive fanatique de certains jeunes Français, issus ou non de l’immigration. Y compris quand le président Hollande appelait à aller guerroyer contre le régime syrien, dont la légitimité n’a pas à être contestée. Il n’y a donc rien à changer. On saura si ces jeunes écervelés ne sont pas révoltés par l’ignoble spectacle que leur ont donné les djihadistes de Djound al khilafa.
Quel serait l’impact de la création de « Djound al khilafa » (dissidente d’Al Qaïda au Maghreb islamique – Aqmi – et auteur de la revendication) sur la situation sécuritaire dans la région du Sahel ?
L’échec de Belmokhtar à In Amenas prouve les limites des dissidences qui affectent les groupes terroristes plus puissants et mieux structurés. Il y a un effet d’échelle qui « rabote » les espérances des sécessionnistes et réduit leurs possibilités d’action. Pour durer, il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Or les « petits » éprouvent de grandes difficultés à se procurer ce viatique indispensable pour toutes sortes de raisons dont leur propre crédibilité vis-à-vis des financeurs que nous connaissons.
Qui a intérêt, d’après vous, à installer Daech en Algérie et dans la région ?
Tous les ennemis de l’Algérie et de la France dont, encore une fois, les destins sont liés et les intérêts communs.
Comment voyez-vous la suite de la situation sécuritaire au Sahel, en général, et en Algérie, en particulier après ce rapt suivi de l’assassinat ?
Il est encore un peu tôt pour jauger les effets et les conséquences de cet ignoble forfait. Considérons-le comme un rappel à l’ordre impératif. Ce sera déjà bien.
Source : https://www.letempsdz.com//content/view/131909/177/