« Si je veux, je peux être à Kiev dans deux semaines » : selon La Repubblica, c’est ce qu’a lancé le 29 août Vladimir Poutine au président de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui l’a rapporté le lendemain aux chefs d’État et de gouvernement réunis en sommet extraordinaire à Bruxelles. Et si on avait affaire à un malentendu, voire à une subtilité grammaticale mal traduite ? Alexandre Baounov, ancien diplomate, journaliste et chroniqueur, s’explique.
Évidemment que ce qu’a dit Barroso – « Poutine, au cours d’une conversation privée, a menacé d’envahir Kiev dans deux semaines » – est un exemple typique de mauvaise compréhension de la grammaire politique de Poutine.
Nous, compatriotes de Vladimir Vladimirovitch, sommes tous depuis longtemps habitués à cette manière qui est la sienne.
« Je veux interdire Internet ? Mais si je le voulais effectivement, dans deux jours, vous n’auriez plus le moindre Facebook » ; « On opprime les gays chez nous ? Mais si nous les opprimions, il y aurait un article au pénal dès la prochaine réunion du Parlement » ; « J’ai l’intention de fermer les frontières ? Mais si j’en avais l’intention, il y aurait des visas de sortie dès la semaine prochaine ».
Il est peu probable qu’il vaille la peine, après ce genre de sorties, de se jeter pour écrire des nouvelles du type « La Russie va interdire Internet dans deux jours », « La Douma s’apprête à introduire une répression pénale contre les gays » ou « La Russie va fermer ses frontières dans une semaine ».
Et c’est précisément dans cette modalité, très certainement, que s’est déroulée aussi cette conversation entre Barroso et Poutine : « Ils disent qu’ils font la guerre contre la Russie, mais s’ils combattaient la Russie, dans deux semaines, j’aurais déjà envahi Kiev. »
Toutefois, Barroso n’est peut-être pas très familier de cet attribut de Vladimir Vladimirovitch : montrer à la moindre occasion à quel point il est en réalité un homme bon. Et il y a cette particularité des grammaires russes, et généralement slaves, comparées aux langues latines et romanes : des périodes conditionnelles très maladroites et mal marquées par les temps et les modes.
Tout ce flou dans un ou deux si et privé de terminaisons passées propres des deux côtés de la virgule : ceux qui ont appris le latin, ou au moins le français, comprennent la différence. Traduire cette modalité russe peu claire dans un des conditionnels romans infiniment plus précis est toujours délicat : non que ce soit un vrai problème, mais souvent, quelqu’un de chez nous qui soit traduit de sa langue soit s’exprime directement dans une des langues romanes néglige la différence entre casus potentialis et casus irrealis – soit entre un événement possible et un événement strictement hypothétique –, simplement parce que, dans notre langue, ils ne sont presque pas dissociables. Et ensuite, la Russie, au cours de ces derniers mois, a à ce point déjà traduit le casus irrealis en cas tout à fait réel que même un Barroso peut avoir confondu. Quoique la prise de Kiev (avec la bombe atomique de Geletei) soit tout de même irrealis.
P.S.
Suite à la polémique suscitée par cette phrase attribuée à Poutine, l’administration du président de Russie s’est dite prête à publier le contenu de la conversation téléphonique entre le président russe Vladimir Poutine et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, a déclaré le représentant de la Russie auprès de l’UE Vladimir Tchijov.
Le quotidien italien La Repubblica rapportait qu’au cours de la discussion téléphonique avec Barroso, Poutine a indiqué que « s’il le voulait, il pourrait prendre d’assaut Kiev pour deux semaines ».
L’assistant du président russe Iouri Ouchakov a déclaré que les propos du leader russe ont été pris hors de leur contexte. La divulgation des détails de la conversationtéléphonique avec le président de la Commission européenne est « incorrecte et sort complètement du cadre de la pratique diplomatique », a ajouté Ouchakov.
Source : Alexandre Baounov
Traduit par : Julia BREEN publié Mardi 2 septembre 2014