Elu président de la République dès le 1er tour le 10 août dernier, Tayyip Erdogan entrera en fonction le jeudi 28 août. Les polémiques qui entourent son accession à la magistrature suprême font déjà fureur.
Harassé d’une fatigue accumulée depuis plusieurs semaines, le «président élu» Recep Tayyip Erdogan se repose dans sa villa de Urla, à Izmir, sur la côte égéenne. Son absence, assez exceptionnelle au demeurant pour un citoyen turc habitué à l’entendre ou à le voir tous les jours depuis 12 ans, n’a pas pour autant empêché le déclenchement de nouvelles polémiques.
D’abord, sur le statut du Premier ministre. En effet, selon l’article 101 de la Constitution, «celui qui est élu président de la République ne peut plus avoir de lien quelconque avec un parti politique, il perd également son mandat de député». La lettre de la Loi fondamentale évoque la date de l’élection et non celle de l’entrée en fonction. Autrement dit, Tayyip Erdogan aurait perdu sa qualité de membre de l’Assemblée et, partant, celle de chef du gouvernement (la Constitution exige que ce dernier soit d’abord député) dès le 10 août.
Le principal parti d’opposition, le CHP, a saisi la justice pour faire annuler toutes les décisions prises par le Premier ministre-président de l’AKP (parti de la Justice et du Développement) ès qualité. Or Erdogan souhaite avoir la haute main sur le congrès de son parti qui se tiendra un jour avant son intronisation, soit le mercredi 27 août.
Quel futur chef de gouvernement ?
Ensuite, le successeur d’Erdogan à la présidence de l’AKP et à la tête du gouvernement suscite également des interrogations. Le «président élu» n’a pas encore vendu la mèche (le nom sera dévoilé jeudi 21 août) mais les observateurs et les caciques du parti avancent tous le nom d’Ahmet Davutoglu, l’actuel ministre des Affaires étrangères.
Professeur d’université de son état, Davutoglu dirige (d’abord en coulisses ensuite en fonction) la diplomatie turque depuis 2002. Adepte d’une nouvelle stratégie, il avait mis en avant ses concepts de «diplomatie pro-active» et «zéro problème avec les voisins». Or force est de constater qu’il a échoué sur toute la ligne. Dans un contexte où 49 otages turcs dont le Consul de Mossoul sont toujours aux mains de l’Etat islamique, beaucoup se demandent si le choix de Davutoglu serait judicieux.
Autre chicane qui commence à enfler. A peine élu, Erdogan a indiqué qu’il n’assisterait pas à l’audience solennelle de début d’année judiciaire de la cour de Cassation si le bâtonnier du Conseil national des barreaux y faisait un discours. Ce dernier, Metin Feyzioglu, irrite particulièrement le Premier ministre qui avait déjà claqué la porte du Conseil d’Etat lorsque son allocution, émaillée de critiques assez acerbes contre les politiques du gouvernement, s’était éternisée. Or la coutume judiciaire lui octroie un droit d’intervention au nom de la défense. Le président de la Cour de cassation a immédiatement annoncé une réunion d’urgence pour reconsidérer cette coutume. Une pusillanimité qui a été dénoncée par Sami Selçuk, l’ancien président de la Cour suprême de l’ordre judiciaire et un juriste respecté de tous. Celui-ci est monté aux crénaux pour fustiger une ingérence du politique dans la pratique judiciaire.
Enfin, dernière controverse : la détermination de la nouvelle résidence officielle du chef de l’Etat. Malgré une décision de la justice administrative, Erdogan a ordonné la poursuite de la construction du nouveau siège du gouvernement. Il ne cache pas cependant sa volonté de déserter le palais de Cankaya, siège actuel de la présidence, qui fait trop «vieille Turquie» pour s’installer dans le nouveau complexe qui s’inspire de l’architecture seldjoukide et ottomane. Cankaya, l’ancienne demeure d’un Arménien qui aurait été confisqué par la jeune République, deviendrait un musée. «Nous discuterons de tout cela avec le nouveau Premier ministre», a tranché Tayyip Erdogan.
Zaman France
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