Antoine Glaser est sans doute l’un des meilleurs experts français de l’Afrique et ils ne sont pas légion. Ses analyses sont toujours soigneusement sourcées, à l’appui de décennies de terrain, d’une expertise continentale, rhizomatique et opérationnelle. Cela nous change des mièvreries de l’Express…
Dans son dernier livre 1, Antoine Glaser dresse la généalogie des politiques africaines de la Vème République, de Jacques Foccart à François Hollande : dix chapitres ciselés à l’attention à la fois des nuls et des africanistes plus confirmés, qui tordent le cou à nombre d’idées reçues. Mise en bouche, notamment avec les French Doctors, les futurs Médecins sans frontières qui trempent la plume de leurs bons sentiments à l’encre du SDECE (aujourd’hui DGSE) mais aussi de … USAID et du Département d’Etat américain, au Biafra dès la fin des années 60. Tout un monde aussi avec Michel Roussin, qui ne cache pas ses relations privilégiées avec les présidents issus de l’armée, tels Blaise Compaoré au Burkina Faso, Denis Sassou Nguesso en République du Congo ou Idriss Déby au Tchad. Feu Omar Bongo résumait déjà la situation par ces propos définitifs : « la France sans l’Afrique, c’est comme une voiture sans carburant ». Houphouët-Boigny était alors le vrai patron de la Françafrique, sur laquelle les belles âmes de Survie et autres Arche de Zoé ont dit et fait toutes les âneries possibles.
La saga ivoirienne « au cœur du village gaulois » nous rappelle tous les déboires de la succession du Vieux, des coups d’Etats à répétition jusqu’à la mégalomanie destructrice de Gbagbo et de sa Simone maléfique, groupie meurtrière des évangélistes et des services israéliens. Comment l’ancien pestiféré Alassane Ouattara est-il devenu le meilleur ami de l’Elysée avec l’aide de la direction du magazine Jeune Afrique qui sera décorée pour la peine ? Le plus grand ami africain de Nicolas Sarkozy est devenu encore plus intouchable à l’Elysée de François Hollande grâce à son soutien dans la crise malienne. Le nouveau président français se rend-il compte qu’il se maraboute lui-même lorsqu’il lâche de manière très inconsidérée le 2 février 2013 à Bamako : « je vis sans doute la journée la plus importante de ma vie politique ».
Congo au pays de l’or noir ! On voit ici défiler tous les grands hommes d’affaires de la République ainsi que Jean-François Copé, Jean-Pierre Raffarin ou la Reine des ménages, Christine Ockrent incontournable animatrice des podiums de promotions les plus juteuses. Edifiant ! Au Niger, pays de l’Uranium, il s’agit de contrer l’entrisme de l’Empire du milieu avec le camarade Mamadou Issoufou qui n’a pas toujours la reconnaissance du ventre… Au Tchad, on comprend mieux pourquoi et comment Idriss Déby est devenu le chouchou de la DGSE. Au Cameroun, le pays du franglais, Paul Biya s’est entiché d’Israël et de la Kabale au détriment de la France. Au pays des « hommes intègres », Blaise Compaoré reste adoubé par ses frères d’armes de Saint-Cyr. Laurent Bigot, alors sous-directeur Afrique au Quai, dévoile des télégrammes diplomatiques en conférence publique, affirmant que le Burkina est aussi un Etat failli ! Depuis, il s’est reconverti dans les affaires… Au Sénégal, l’ambassadeur Jean-Christophe Rufin, qui passe plus de temps à écrire ses bouquins que sa correspondance diplomatique, n’est pas dans les petits papiers de Wade. Le flamboyant Laurent Fabius y enverra en quarantaine l’un de nos plus grands ambassadeurs Jean Félix-Paganon.
La Guinée mérite une attention particulière. L’ex-gauchiste Alpha Condé y reçoit à sa table les plus grands groupes miniers internationaux et son ami de cinquante ans, Bernard Kouchner qu’il appelle « son frère jumeau ». Abritant les plus grosses réserves prouvées de bauxite au monde, la Guinée attise bien des convoitises, réserve aussi inépuisable de commissions et rétro-commissions. Sur la photo, à côté du promoteur de « l’ingérence humanitaire », on peut voir aussi le milliardaire George Soros et l’ancien premier ministre britannique Tony Blair, jamais en retard d’une petite enveloppe. Devenu « ministre des Affaires étrangères », Bernard Kouchner recevra souvent le premier au Quai d’Orsay… sans doute pour l’aider à résoudre quelque crise internationale !
Toujours est-il que l’Afrique demeure essentielle pour tout président français. Mais notre pays n’est plus le principal partenaire du grand continent : il n’est plus que le cinquième exportateur mondial vers l’Afrique subsaharienne derrière la chine, l’Inde, les Etats-Unis et même l’Allemagne. Dans les pays émergents, au contraire, l’Afrique apparaît comme The place to be : un potentiel de 300 millions de consommateurs, tous avec un portable à la main… Mais au grand poker africain, la France n’arrive plus à suivre. Après avoir attendu leur visa pendant des mois, auprès d’officines désormais privatisées, les étudiants africains s’envolent désormais pour Londres, San Francisco, Le Cap, Rabat, Casablanca ou Pékin. Le gouvernement chinois a triplé les bourses à destination des étudiants africains. Les instituts Confucius leur ouvrent toutes grandes leurs portes, avec à la clé distribution gratuite de stylos pour signer les contrats de demain.
« Le président François Hollande », conclut Antoine Glaser, « s’est raccroché au thème de la sécurité pour mobiliser autour de lui, à Paris en décembre 2013, des dirigeants africains qui, pour le reste, ont perdu la direction de l’Hexagone. Ce qui n’a rien d’étonnant : après tout, la Françafrique est depuis longtemps déjà leur Africafrance, mais ils se sont bien gardés de nous le dire ». CQFD !
1 Antoine Glaser : Africafrance – Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu. Editions Fayard, avril 2014.
Source :
https://www.espritcorsaire.com/?ID=383/Richard_Labévière/
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* Richard Labévière est Rédacteur en chef d’espritcors@ire.com. Grand reporter à la TSR, rédacteur en chef à RFI et de la revue Défense de l’IHEDN. Il est aujourd’hui consultant en relations internationales. Collaborateur du mensuel Afrique-Asie, il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont « Les dollars de la terreur », « Le grand retournement / Bagdad-Beyrouth », « Quand la Syrie s’éveillera » et « Vérités et mythologies du 11 septembre ».