Le Premier ministre ne se soucie plus de son image ni de celle de la Turquie. Il a brûlé ses vaisseaux. Toute l’architecture juridico-administrative du pays a été profondément remaniée sans ménagement. Twitter a été tout bonnement interdit. Ce mouvement de panique n’est pas sans susciter la curiosité. Décryptage de ses causes.
• Les enquêtes de corruption du 17 décembre : elles ont profondément déstabilisé le Premier ministre. La diffusion de conversations téléphoniques entre les ministres et leurs proches l’a littéralement mis hors de lui. Chaque meeting électoral a été l’occasion de “goûter” à la nouvelle rhétorique du Premier ministre. Il a mitraillé tout le monde, sans aucune concession.
Fethullah Gülen, le penseur musulman qui a des millions de sympathisants dans le monde et qui était jusqu’alors affublé du respectueux titre de «Hocaefendi» (révérend), a été cloué au pilori. Les athées, les alévis, les jeunes ainsi que les femmes qui vont protester ont eu droit à des sous-entendus blessants. Les réseaux sociaux ont été menacés d’interdiction. Finalement, l’accès à Twitter a été bloqué.
• Les diffusions à venir : si les moeurs d’Erdogan ne font pas de doute, d’autres attitudes louches peuvent être montrées en épingle. Les rumeurs courent sur les “cadavres dans le placard”. Les jours qui précèdent les élections municipales du 30 mars et, particulièrement la date du 25 mars, sont redoutés.
Ainsi, la mort mystérieuse de Muhsin Yazicioglu, leader d’une petite formation de droite nationaliste et religieuse, en 2009 peut faire l’objet d’une révélation. Les circonstances de l’écrasement de l’hélicoptère qui le transportait en pleine campagne électorale n’ont jamais été élucidées. Un rapport du Conseil d’Inspection de l’Etat, directement lié à la Présidence de la République, avait relevé des incohérences.
Autre sujet sensible qui peut éclater au grand jour : une vidéo sur Abdullah Öcalan et son implication directe dans le processus dit d’Oslo. Une rumeur prétend en effet qu’il aurait été transporté en catimini pour être personnellement à la tête des négociations avec le gouvernement AKP.
• Les tendances autoritaires : Erdogan, qui est connu pour ne pas supporter la contradiction, a été mis mal à l’aise lorsque la nation entière a découvert, grâce à plusieurs diffusions, son côté peu soucieux de la liberté d’expression. Les appels aux chaînes d’informations leur demandant de couper les interventions des leaders de l’opposition ou le ton cassant qu’il emploie contre un patron de presse septuagénaire qui finit par pleurer ont écorné l’image de celui qui se targue d’être le défenseur des libertés et des traditions turques.
Il faut dire que depuis qu’il a brisé tous les contre-pouvoirs (la justice et l’armée), il a les mains libres au niveau de tous les rouages de l’Etat. Cet Etat-AKP n’a pas manqué d’être dénoncé par les quelques voix discordantes comme un «empire de la peur». Le gouvernement ne tarissait pas d’éloges sur les réseaux sociaux pendant les révolutions arabes.
Ou lorsque Deniz Baykal, l’ancien président du parti kémaliste CHP, avait été victime d’un complot le montrant en galante compagnie, Erdogan n’avait pas fustigé YouTube, au contraire, il avait lancé, à la surprise de tous, «ce n’est pas la vie privée, c’est devenu du public, vous comprenez, du public !».
Aujourd’hui, il préfère diaboliser Internet au nom précisément de la protection de la vie privée et familiale ! Ce qu’il ne maîtrise plus devient suspect et par conséquent peu utile.
YouTube et Facebook sont dans son collimateur.
Résultat des courses : dans un pays où 50 % des Turcs sont connectés d’une manière ou d’une autre, le «système» Erdogan semble se fissurer. La cocotte-minute est prête à exploser et la soupape de sécurité semble être précisément inexistante. Tous les partis d’opposition promettent déjà de le traduire en Haute Cour.
Ali Babacan, puissant ministre de l’Economie, affirmait dernièrement que «la démocratie, ce n’est pas seulement des élections». Une équation qui ne semble pas comprise par un Erdogan qui persiste à confondre démocratie (le respect des droits de l’Homme pour tous) et sociocratie (le culte du peuple et de ses penchants).
La «démocratie avancée» qu’il ne cessait de promouvoir est en passe de glisser vers une «démocratie dirigée» à la Poutine avec un peuple satisfait de l’économie et peu regardant sur les affaires qui touchent l’élite.
Source : Zaman France