Près de 700 Français combattent le régime d’Assad en Syrie. Des associations mais aussi des municipalités tentent de réagir, comme à Nice. Reportage.
Lorsqu’il évoque Nice, il parle de « [s]a ville », « là où [il a] grandi » : « Ma ville me manque quand même. » Omar Omsen, cyber-djihadiste, est en Syrie depuis décembre. Là-bas, il a créé une « brigade francophone », liée au Front al-Nosra, la branche officielle d’al-Qaida en Syrie. C’est là que se trouveraient, selon ses dires, les quatre Niçois partis fin décembre. « Ils ne se battent pas », précise-t-il.
« Tous ces gamins, on les connaît », soupire Chokri Abed, président de l’association Tunisie-Avenir. À Nice, une vingtaine de jeunes auraient pris le chemin de la Syrie. En tout, ce sont près de 700 Français qui seraient partis combattre le régime de Bachar el-Assad, selon le ministère de l’Intérieur. « Ce phénomène est extrêmement inquiétant », s’alarme Anthony Borré, directeur de cabinet de Christian Estrosi, maire UMP de la ville. Alertée, prise à partie par des familles « parfois mal reçues par les services de l’État », la municipalité de Nice a créé une cellule « informelle », composée aussi bien d’éducateurs sportifs que de professeurs ou encore d’agents de la police municipale. Le but ? « Accompagner et soutenir les familles qui ont le sentiment de ne pas être entendues. Notre rôle est limité. Nous avons peu de marge de manoeuvre », concède Anthony Borré. Alors que des mineurs sont partis, un texte législatif visant à rétablir l’autorisation de sortie de territoire, supprimée début 2013, devrait être déposé dans les prochaines semaines.
Recrutement via Internet et les réseaux sociaux
« Tout ce qu’on peut faire, c’est sensibiliser au fait que des jeunes puissent tout abandonner, comme le lycée, juste parce qu’il est mixte. Mais on ne peut pas être derrière eux tout le temps. Ils sont trop malins. Ils sont toute la journée sur Internet avec leur smartphone. Comment on peut savoir ce qu’ils font ? Ces départs touchent tout le monde, toutes sortes de famille. Le recrutement ne se fait pas dans les mosquées », note Chokri Abed.
Un survêtement à l’effigie d’un club de foot du quartier, il montre l’entrée d’un des quelque vingt lieux de culte musulmans de Nice. « Les radicaux n’osent même pas entrer dans les mosquées connues », sourit-il. Les salafistes djihadistes fustigent la démocratie jugée impie. Ils accusent aussi l’État français de « contrôler » les mosquées. Depuis les derniers départs en Syrie, deux instances religieuses régionales ont été « sensibilisées » par la mairie : Alpes-Maritimes Fraternité, qui regroupe l’ensemble des représentants des cultes et des collectivités locales de la région, et le Conseil régional du culte musulman. Quelques prêches, à la demande de Chokri Abed, ont évoqué les départs en Syrie.
Ici, certains dealent en bas des immeubles. On raconte que des prières se font dans des caves ou des garages. Mais Omar Omsen dément : « C’était il y a vingt ans ! » Internet a depuis remplacé ces réunions obscures. Pour le journaliste et auteur de Les Français jihadistes (éditions les Arènes) David Thomson, il n’y a pas vraiment de profil type, « tous ces jeunes qui viennent de milieux très différents ont un point commun : ils se sont tous connus et rassemblés sur Internet et les réseaux sociaux ». Certains diffusent des photos d’eux arrivés sur place. Et des vidéos comme celles d’Omar Omsen, producteur depuis cinq ans d’une série sur le Web dans laquelle il appelle notamment les musulmans à quitter la France « à cause des attaques contre la religion », ont eu « une vraie influence sur certains jeunes qui sont partis », constate David Thomson.
Religion musulmane vs islam radical
« Certains parlent même du cheikh Google », relève Boubaker Békri, vice-président du Conseil régional du culte musulman pour la région Paca, en référence au fait que des jeunes cherchent à comprendre l’islam avec l’aide de Google. « On manque d’imams bilingues en France. La plupart des imams formés viennent du Maghreb et prêchent en arabe, langue que beaucoup de jeunes ne comprennent pas, regrette-t-il. Or, les hadith de la sunna [recueil de paroles du Prophète qui complète le Coran, NDLR] peuvent être interprétés de mille manières. Il faut suffisamment de sagesse pour établir un juste lien entre le texte et le contexte. C’est là qu’il y a toutes les déviances et manipulations de l’islam. »
« Les institutions ne savent pas faire la différence entre la religion musulmane et l’islam radical. Elles ont été laxistes avec les radicaux. En France, la religion musulmane est considérée comme très différente, voire archaïque. Donc certains croient que ces gens sont plus musulmans que d’autres. Mais les considérer comme musulmans est de l’islamophobie », dénonce Dounia Bouzar, auteur de Désamorcer l’islam radical (Les éditions de l’Atelier). Une trentaine de familles se sont tournées vers cette anthropologue qui a lancé des centres de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, regroupant des éducateurs et des travailleurs sociaux.
À Nice, Farid, la petite vingtaine, est rentré de Syrie, où il était parti en septembre. Une semaine après son retour, il a été arrêté et incarcéré. Selon le ministère de l’Intérieur, 70 Français seraient de retour de Syrie. Plusieurs procès sont en cours. Les familles, elles, s’emmurent dans le silence. « Si on n’apporte pas le remède nécessaire et adéquat, cela sera irrémédiable. On a vu des petits voleurs devenir de grands bandits une fois sortis de prison », s’inquiète Boubaker Békri. Assis dans le cloître du monastère de Cimiez qui surplombe la ville, il condamne toute « utilisation mal intentionnée » de ce phénomène qui « ferait le jeu des radicaux » : « Ce problème concerne tous les citoyens, toutes les religions. Il faut diagnostiquer le malaise dans la société. »
Vidéo : Désarroi des parents dont l’enfant est parti faire le djihad en Syrie.
Cliquez pour regarder : https://www.youtube.com/watch?v=brAS_XQ94gs
Source : Le Point.fr
https://www.lepoint.fr/societe/nicois-partis-faire-le-djihad-en-syrie-tous-ces-gamins-on-les-connait-20-03-2014-1803398_23.php#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20140321
Légende : Des combattants dans la région d’Alep, en Syrie (photo d’illustration). © TAMER AL-HALABI / ALEPPO MEDIA CENTRE / AFP