En ce mois des sapins et des bambins, l’homme à la barbe blanche, béni, chéri et tutti quanti, a troqué ses rennes pour des chameaux et tire son traîneau sur les déserts d’Arabie et du Maghreb. Escale dans un monde où le jouet se dépose volontiers au bas des palmiers.
Un chouïa arabisée, la Noël se fête joyeusement dans les pays du Coran. Son nom : Baba Nawal – traduisez : le père de Nawal. Après moult recherches, nous sommes bien incapables de dire à quoi ressemble cette Nawal. Bonne musulmane sans doute, certainement enrobée et surtout fille (légitime) du gros cheikh du pôle Nord, elle aurait en charge la gestion du personnel. Sous sa férule, point de lutins, mais des djinns rieurs. Ces garnements laids et plissés cachent les courriers, déballent les cadeaux, rayent les prénoms des enfants. Bref, ils ont aussi mauvaise réputation que leurs congénères de l’Occident. Autre point commun avec le bonhomme en rouge, Baba Nawal crèche quelque part en Laponie… même si lui accomplit un véritable chemin de croix pour renouveler son permis de séjour.
Barbes noires
En terre d’islam, donc, les familles se préparent à veiller avec la plantureuse Nawal. Cependant, si Aïssa – le Jésus du Coran – est bien là, il s’adapte au contexte d’aujourd’hui. Ainsi, dans l’Alger boisé, on court déjà pour dégoter son sapin. Pénurie oblige, les plus « croyants » s’y sont pris très tôt, sous peine d’aller eux-mêmes le couper à la hache… s’il n’y a pas de pénurie de haches. Ou alors se reportent sur un palmier du Sud ou un olivier de Kabylie. Le principal, c’est que ça ait des branches pour accrocher. Mais accrocher quoi ? La vendeuse d’un magasin de décoration, sur les hauteurs embourgeoisées de la capitale algérienne, présente dignement ses boules à l’unité. Les grosses pailletées sont hors de prix. « Sinon, vous avez les petites boulettes made in China… en lot de six. » Dépité, on se rabat sur les feuillages de la vitrine. Gui, houx ? La vendeuse s’interloque : « Vous avez dit quoi ? Hibou ? Pourquoi, j’ai la tête d’une éleveuse de hiboux sauvages, moi ? » Au final… ce sont les olives qui feront la déco ! Sur la table, ce sera bûche huileuse, limonade à bulles et dinde béatifiée. Au lieu de la messe, c’est la permission de minuit qui sera accordée : pour les jeunes fêtards, des menus « Noël » ou estampillés « Nouvel An », mais qu’on peut prendre une semaine à l’avance.
À Rabat au Maroc, et dans la plus « occidentale » Casablanca, on choisit, comme à Paris, son sapin artificiel et sa neige en bombe. Mais là encore, il faut y mettre le prix. On dit fêter Noël par tradition, comme à la Saint-Valentin, pour les cadeaux et l’ambiance. Sans cloches ni muezzin. Sur les gâteaux, le pâtissier trie ses figurines : l’homme à la barbe blanche à trop forte connotation christique a été remplacé au pied levé par des pralines. En bonus, une fève glissée dans la crème. « Logique qu’une galette des rois du Maghreb soit marocaine, non ? » Reste que si les musulmans se confondent ainsi volontiers dans l’Épiphanie, c’est moins en l’honneur de Mohamed VI que pour leur goût très prononcé pour le sucré.
Incontestablement plus amers sont les effets des printemps arabes sur ce rendez-vous. En Tunisie, en Égypte et en Libye, l’hiver est résolument islamiste, et la naissance du « Fils de Dieu », sous toutes ses appellations, est loin d’être un cadeau. On préfère gâter les enfants à l’Aïd. Pour les petits, c’est le mouton qui apporte les paquets sous son bas de laine ; ce n’est pas plus délirant que de leur dire qu’un gros bonhomme passe par la cheminée ! Soutenir la présence d’Aladin sur un tapis chiite, passe encore, mais un traîneau tiré par des rennes est considéré comme un péché. À Tunis, les barbes blanches ont noirci et laissent circonspect. Les centres commerciaux seront-ils, comme autrefois, décorés de guirlandes et de sapins ? Fera-t-on entendre des chants de Noël dans les magasins ? Au Caire mal libéré, les résineux vont se refiler en douce et les décorations voir leur prix multiplier par dix. En Libye, la fête promet d’être plus corsée. Si, au temps de Kadhafi, le « papa cadeau » avait clairement sa place, aujourd’hui, les djihadistes jurent par tous les diables que la plus petite lanterne sera sévèrement punie. Une fatwa d’un certain cheikh Mohamed Saleh al-Mounajed condamne les noceurs s’associant aux infidèles dans cette fête qui « témoigne d’une croyance païenne ». Primo, parce que cela revient à les imiter et donc à devenir aussi païens qu’eux. Secundo, parce qu’on ne peut pas être l’ami d’infidèles.
L’épineux dans la gandoura
Les déserts du Moyen-Orient ne sont pas en reste. Du haut des tours du très « égalitaire » Qatar, qui fricote régulièrement avec les démocraties occidentales, le cheikh Al-Qaradaoui, star locale, interdit de célébrer ou s’associer à ces agapes mécréantes. La forme phallique du sapin n’y serait pas étrangère. L’existence du père Noël n’est pas décrite comme une vue de l’esprit, mais un mensonge pur et dur. Dur surtout. Au royaume du roitelet Al-Thani, on préfère au gentil barbu les sèches vertus du père Fouettard… Aussi, les amateurs de cadeaux finissent-ils par prendre de sérieux risques. Ainsi, dans la Riyad voisine, les épines des branches ont saigné sous la gandoura. On raconte qu’un Saoudien, enguirlandé par l’épineux, a éprouvé les affres de la crucifixion jusque dans son intimité. Les femmes, elles, coquines à souhait, seraient bien disposées à porter sous leurs voilures les boules du sapin, mais les hommes auraient soudain l’impression de perdre les leurs. Les sujets les plus douillets de l’émir resteront sans doute sur les classiques chocolats… français, suisses ou belges. Qu’ils peuvent se faire livrer par Internet, dans des emballages conçus pour supporter la température locale, sans supplément de prix et à condition de trouver un prête-nom jésuite. Quoi qu’il en soit, dans ces contrées pétrolifères, rien n’est assez beau pour l’homme à la barbe blanche. Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, détient ainsi depuis 2010 le record du sapin de Noël le plus cher du monde : 10 000 dollars pour le tronc et les branches, auxquelles s’agrippent 11 millions de dollars de perles, diamants et pierres précieuses. Amen !..
Les musulmans adeptes du 25 décembre n’agacent pas que les extrémistes de leur « camp ». Vus de l’Occident, le partage et la tolérance propres à ce gueuleton paraissent, en ces temps d’islamophobie, tout à fait incompatibles avec le Coran. Retenu sur un forum de croyants : « Ils ont l’Aïd, nous on a Noël, point barre. » Erreur de date : la Noël correspond en vérité à la fête du Mawlid chez les musulmans, qui célèbre la naissance du prophète Mohamed. Retour sur le forum : « Nous, au moins, on n’égorge pas des moutons innocents. » Certes. Mais sous quels motifs d’inculpation la dinde a-t-elle fini dans le four ? L’an dernier, le Salon international du monde musulman (SIMM) devait se tenir en région parisienne du 23 au 25 décembre, en pleine descente du traîneau. « Une période de paix et de fraternité qui semblait plus propice aux dialogues interconfessionnels », justifiaient les organisateurs. Tollé général. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. La manifestation a dû être avancée d’une semaine. Quant au SIMM 2012, il a été… reporté à une date ultérieure !
Vœu pieux
Fête inspirée des Saturnales marquant l’arrivée du solstice d’hiver, la chrétienne Noël qui célèbre aussi le renouveau du soleil s’est démocratisée avant de se… politiser. Cette année 2012, qui augure pour certains la fin du monde, est plus religieuse que jamais, avec son lot de tueries, d’exactions et d’injustices. « Partage, tolérance », dites-vous ? Et tandis que la Syrie ouverte à toutes les communautés se fait désormais enfermer dans les carcans du radicalisme international, il en est qui se demandent encore si à Bethléem, en Cisjordanie, qui a vu naître le Christ, les rennes ne vont pas se crasher sur le Mur de la honte. Désenchanté, le père Noël, alias Baba Nawal, a pris la plume et s’est envoyé une lettre. Son souhait : que les imbéciles qui peuplent cette planète se mettent à réfléchir un peu. Pas sûr, mais vraiment pas sûr que son Vœu soit exaucé.