Aujourd’hui en avant-première, la tribune signée Bruno Guigue, à retrouver dans le numéro de mai d’Afrique Asie.
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« Ces deux dernières semaines, le monde a pu voir la détermination de notre président lors des opérations menées en Syrie et en Afghanistan », a déclaré le vice-président américain Mike Pence à Séoul (Corée du Sud), le 17 avril. Intimider la Corée du Nord en frappant deux pays du Moyen-Orient, voilà qui résume la nouvelle équation de la géostratégie américaine. Le bombardement d’une base aérienne syrienne, le 6 avril, puis le largage de la « mère de toutes les bombes » sur la montagne afghane, le 13, ne sont pas passés inaperçus. À l’évidence, l’administration Trump mise sur une démonstration de force pour tenter de reprendre la main.
Une confrontation russo-américaine « frôlée d’un cheveu »
Avec le bombardement de la base d’Al-Chayrat, les États-Unis, pour la première fois, ont procédé à une intervention militaire directe, ouvertement revendiquée, contre l’État syrien. Saisissant le prétexte d’une attaque chimique attribuée à Damas sans la moindre preuve, ce bombardement avait sans doute valeur de test. Les États-Unis ont voulu humilier la Syrie en montrant qu’ils peuvent frapper où ils veulent quand ils veulent. En envoyant 59 missiles de croisière Tomahawk sur la base d’Al-Chayrat, ils renouent donc, de façon spectaculaire, avec une « politique de la canonnière » à laquelle Donald Trump disait vouloir renoncer.
Outre qu’elle prête main-forte aux terroristes de Daech, cette violation flagrante du droit international lance aussi un défi au puissant allié de Damas, la Russie. Elle crée le risque d’une confrontation armée dont le premier ministre russe Medvedev a déclaré qu’on l’avait « frôlée d’un cheveu ». Prudent, le Pentagone avait pris la précaution de prévenir Moscou quelques heures avant le lancement des missiles afin d’éviter de tuer des soldats russes. Mais en agressant son allié syrien, la Maison-Blanche a entamé un bras de fer avec le Kremlin qui met fin aux spéculations sur un éventuel rapprochement. Décidément, Russes et Américains ne sont pas du même côté.
Cette opération américaine contre la Syrie, probablement, avait aussi valeur de test militaire. Sur les 59 missiles lancés, seuls 23 ont atteint leur cible. Plusieurs hypothèses circulent, et il est difficile de savoir exactement ce qui s’est passé. Mais il est vraisemblable que les 36 missiles disparus ont été soit détruits par la DCA syrienne, soit déroutés par le système de brouillage électronique russe. En définitive, les Américains peuvent se vanter d’avoir frappé le sol syrien sans subir de riposte, tandis que les Russes et les Syriens peuvent se targuer d’avoir neutralisé 60 % de la puissance de feu ennemie.
Trump va-t-en-guerre, enfin un président « normal » !
Quoi qu’il en soit, la politique de Donald Trump en Syrie ne ressemble pas à celle qu’il avait annoncée durant la campagne électorale. Fini, les diatribes contre l’interventionnisme brouillon et dévastateur de ses prédécesseurs à la Maison-Blanche. Fini, la révision déchirante que ce président improbable voulait imposer aux néo-conservateurs. Comme l’a dit un « expert » lors de l’émission télévisée animée par Yves Calvi, « Donald Trump, enfin, devient un président normal ». En ordonnant des frappes aériennes contre l’armée syrienne, le milliardaire atypique réintègre, pour la pensée dominante, le droit commun des locataires de la Maison-Blanche.
Faut-il y voir une concession du président à une droite républicaine nostalgique de l’ère Bush et adepte de la manière forte, Trump ayant besoin de ses voix pour gouverner ? Ou encore une capitulation devant l’État profond, cette coalition des multinationales de l’armement et des agences de sécurité qui dirigent en sous-main la politique étrangère ? Sans doute un peu des deux. En tout cas, il aura fallu trois mois à Donald Trump pour qu’il se révèle, à l’épreuve du pouvoir et du vertige qu’il procure, un président tout aussi désireux que ses prédécesseurs d’en découdre avec les adversaires de l’hyperpuissance américaine.
À la veille de sa prise de fonctions, déjà, il avait utilisé la pomme de discorde taïwanaise pour défier Pékin, laissant entendre qu’il pourrait enfreindre le tabou de la « Chine unique ». Puis il provoqua Téhéran en signant un décret migratoire qui assimile les ressortissants iraniens à des terroristes potentiels. Enfin, il prit le risque d’une confrontation avec Moscou en bombardant ouvertement son allié syrien. Désormais, le président américain s’en prend à Pyonyang. Joignant le geste à la parole, il a envoyé une escadre navale en direction de la péninsule et menacé la Corée du Nord de représailles si ce pays persistait à développer ses technologies militaires.
Méga-bombe et subtilité yankee
Depuis longtemps, le Pentagone rêve les yeux ouverts d’une frappe préventive contre les sites nucléaires nord-coréens, notamment pour empêcher ce pays d’acquérir des capacités balistiques susceptibles de porter des charges nucléaires à longue portée. Si d’aventure une telle attaque avait lieu, Pyongyang a fait savoir que la réplique nord-coréenne serait dévastatrice. Mais pour Washington, peu importe. L’échec répété des essais de lancement de missiles par la Corée du Nord pourrait inciter la Maison-Blanche à prendre les devants, au risque de provoquer une crise internationale dont l’issue est des plus incertaines.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser l’utilisation de « la mère de toutes les bombes », le 13 avril, sur des positions attribuées à Daech dans la région de Nangarhar en Afghanistan. Comme l’organisation terroriste est peu implantée dans ce pays, il est clair qu’elle sert de prétexte à une démonstration de force. En modifiant le relief d’un canton afghan, Washington adresse à Pyonyang un message d’une subtilité typiquement yankee. Les installations nucléaires nord-coréennes sont souterraines, et la bombe GBU43/B est précisément conçue pour la destruction en profondeur de bunkers enterrés. Fabriqué en 2003, cet effrayant engin de 9 tonnes n’avait jamais été utilisé. Donald Trump l’a fait.
À Washington, on est fier comme un Artaban de cette prouesse technologique. Le merveilleux joujou sort enfin du silo et pulvérise la montagne pachtoune sous les vivats des actionnaires du lobby militaro-industriel. Officiellement, c’était pour détruire des souterrains utilisés par les djihadistes, mais le président afghan, incrédule, a protesté, accusant les États-Unis de transformer son pays en terrain d’expérimentation militaire. Selon Edward Snowden, cette opération visait aussi à éliminer les traces d’installations clandestines créées par la CIA, dans les années 1980, au profit des moudjahidine luttant contre le Satan soviétique. C’est fort possible.
Face au déclin, les foucades guerrières
Au total, cette gesticulation militaire américaine fait planer une menace non négligeable sur la paix mondiale. À force de provoquer ses adversaires, on finit par en faire des ennemis, et la Maison-Blanche a visiblement décidé de les multiplier par son attitude agressive. Rien n’est plus dangereux qu’une puissance qui entend conjurer son déclin en entraînant les autres dans une confrontation dont elle espère une sorte de sursaut salvateur. Donald Trump a fait trop de promesses pour rester inerte devant l’effritement inéluctable de l’imperium nord-américain. Il va probablement enchaîner les foucades guerrières, au risque de se heurter à une résistance qu’il a sous-estimée.