Les médias américains ont été plutôt silencieux sur la visite à Washington, la semaine dernière, du vice prince royal d’Arabie saoudite, le Prince Muhammad bin Salman (MbS).
Ils ont été peu convaincus par le scoop juteux de la déclaration officielle selon lequel l’homme connu comme MbS a déclaré au président Donald Trump que les services saoudiens « confirment… l’existence d’un complot contre les États-Unis d’Amérique qui a été planifié » dans les six pays dont les citoyens ne sont plus autorisés à entrer sur le territoire américain. Ils n’ont pas, non plus, été émus par les effusions d’un « conseiller supérieur » saoudien anonyme qui a qualifié la réunion dans le Bureau Oval et le repas avec Trump d ‘ « immense succès », de « tournant historique » et d’« évolution significative dans les relations ». La déclaration faisait référence, en outre, à « la grande compréhension du président Trump de l’importance des relations » et sa « vision claire des problèmes de la région ».
Mais ce n’est pas un hasard si la plupart des médias arabes ont reproduit ce discours exagéré. La partie saoudienne comptait utiliser la visite pour « rétablir » des relations avec Washington après les années Obama, ainsi que pour présenter le jeune homme qui semble devoir devenir le prochain roi d’Arabie saoudite, à la nouvelle administration. La mission de relance des relations a sans doute réussi. Mais il faut attendre pour juger le coming out personnel de MbS. Malheureusement pour lui et ses 31 ans, son cousin plus âgé Muhammad bin Nayef (MbN), le prince héritier, ne semble pas vouloir le laisser lui passer par-dessus. L’administration Trump se retrouve face à deux futurs dirigeants saoudiens potentiels, et peut – ou devrait – considérer qu’il serait prématuré de faire un choix.
La rivalité entre les deux hommes n’est pas le fruit de l’imagination des étrangers. La semaine dernière, le blogger saoudien anonyme, mais apparemment bien informé, qui utilise le compte Twitter @Mujtahidd, est réapparu après plusieurs mois. Selon lui, les deux Muhammad essayent de ne pas exprimer leurs désaccords en public, mais chacun veut gagner l’approbation non seulement de la majorité des membres de la Maison des Saoud, mais, également, des États-Unis.
Si on compte les points, MbN a été le dernier à rire de MbS et son voyage. En dépit des photos et des gardes d’honneur, le départ de ce dernier des États-Unis a été très discret. Pas de mouvement de foule d’admirateurs serviles, mais plutôt un vol à 14.30 pour Riyadh, un jour après la rencontre avec le Secrétaire à la Défense, James Mattis et le président de l’état major des Forces armées, Joseph Dunford, au lieu de retourner à New York pour des réunions d’affaires comme cela avait été prévu.
Que s’est-il passé ? Le roi Salman, le père de MbS, a interrompu un voyage d’un mois en Asie, et le prince se devait d’être là pour l’accueillir. Mais l’explication donnée par la cour royale selon laquelle les vacations du roi dans les idylliques Maldives a été interrompu à cause de virus de la grippe aviaire, semble trop diplomatiquement pratique pour être totalement crédible. Selon le Financial Times, l’opposition locale a fait du raffut à cause d’un arrangement supposé concernant la cession perpétuelle d’un groupe d’îles à MbS. Les membres de l’entourage du roi qui espéraient s’approprier deux complexes touristiques et tremper leurs pieds dans l’Océan indien ont dû revenir plus tôt à Riyad, obligeant MbS, quelle que soit sa mission personnelle à Washington, à rentrer également.
Cela aurait pu être pour le mieux. Malgré la relance théorique, les photos et les clips video à Washington suggèrent la froideur de Trump envers MbS. Peut-être le président américain a-t-il été irrité par le manque de respect du jeune saoudien.
Finalement, bien sûr, les divergences politiques, et non personnelles, compteront davantage. Tous les dirigeants saoudien partagent les mêmes vues que Trump sur le danger iranien. Mais il y a un fossé entre les positions respectives sur la guerre au Yémen et sur la façon dont le royaume peut s’en tirer au mieux. Les Saoudiens ont fait des progrès limités là-bas dans leur guerre contre les Houthis soutenus par l’Iran, et les bureaucrates de Washington sont probablement en train de regretter leur généreux soutien initial à la guerre, une concession politique à Riyad pour calmer les inquiétudes saoudiennes quant à l’accord avec l’Iran sur la question nucléaire. Les militaires saoudiens continuent de démontrer que, comme l’a dit un responsable du Pentagone de l’administration Obama, c’est un « tigre de papier ».
Et comme pour en rajouter encore, alors que MbS était dans son avion, sur le chemin du retour, on apprenait qu’un hélicoptère appartenant à la coalition saoudienne avait ouvert le feu sur un bateau de réfugiés transportant des Somaliens qui fuyaient la guerre au Yémen. Le bilan s’élevait, selon les informations, à 42 morts, mais du point de vue de Washington, le pire est qu’il s’agit d’un hélicoptère américain Appache. Ce qui signifie qu’il pouvait être ou Saoudien ou des Émirats, mais ceux-ci ont publié un démenti officiel. (Les doutes sur l’éventuel rôle des Saoudiens sont basés sur l’idée que leurs pilotes sont trop incompétents pour mener une attaque de nuit, au-dessus de la mer). Les États-Unis avaient déjà un dilemme quant à l’arrêt de leur fourniture de bombes aux Forces saoudiennes suite à la suspension, l’année dernière, motivée par leurs inquiétudes concernant les frappes contre les civils. Les photos de réfugiés morts et rescapés vont encore compliquer l’évolution politique.
Si le Yémen reste une épine dans le pied des relations américano-saoudiennes, les deux pays semblent trouver un terrain d’entente sur les relations économiques. Les Saoudiens ont déclaré que les changements de la politique américaine voulus par Trump coïncident « avec les changement en cours en Arabie saoudite dans le cadre de Vision 2030 », projet de MbS pour la transformation économique du royaume. Les responsables de la Maison Blanche » parlent d’ « une coopération élargie (qui) pourrait créer jusqu’à un million d’emplois directs américains dans les prochaines quatre années, des millions d’emplois américains indirects, et autant en Arabie saoudite. » Ils mentionnaient aussi des accords « qui pourraient atteindre plus de $200 milliards en investissements directs et indirects dans les quatre prochaines années ». Et ce pour l’aspect « prudent » de l’affaire. Selon certaines rumeurs circulant dans les marchés financiers, le royaume a laissé entendre la possibilité d’$1 billion d’investissements aux États-Unis dans les dix prochaines années. Un tel deal peut être tentant pour Trump. Mais, comme toujours, il y a un prix à payer. Comme l’a dit le ministre du pétrole saoudien Khalid al-Falih, la loi de 2016 concernant le soutien au terrorisme (Justice Against Sponsors of Terrorism Act ») a « créé des tensions dans les relations américano-saoudiennes et menace de refroidir les investissements saoudiens aux États-Unis. » Falih a, également, expliqué que la loi était aussi conditionnée par la volonté du royaume de mettre en bourse les parts de l’État saoudien dans la compagnie pétrolière Aramco, la première offre publique d’achat qui doit se tenir en 2018 étant attendue aux États-Unis comme la plus importante de l’histoire.
La loi ous le nom de Jasta, a été motivée par le nombre important de Soudiens impliqués dans les attaques du 9/11. Elle permet aux victimes de déposer des plaintes civiles devant la cour fédérale contre le royaume protégé, auparavant, par l’immunité souveraine. Trump avait fortement soutenu cette mesure. Les Saoudiens veulent, au moins, neutraliser la mesure, mais ils ont travaillé sur la question sans succès, malgré un lobbying qui leur a coûté plusieurs millions de dollars. Ce rebondissement fait de ce que chaque partie peut tirer des réunions de Washington un plus grand défi. La volonté de travailler ensemble est claire, mais le Yémen est un problème immédiat qui fausse la discussion sur la façon de répondre à la menace plus large que posent l’Iran, Islamic State, al Qaeda et autres groupes terroristes. En même temps, une réconciliation publique de l’Arabie saoudite et des EAU avec Israël basée sur la peur de l’Iran, reste compliquée. Les Saoudiens accusent l’Iran d’empêcher un accord « pour régler la question palestinienne », mais essaient de ne faire aucune mention d’Israël. Il pourrait revenir à la garde rapprochée de conseillers de Trump d’avoir à régler ces difficultés. Son stratégiste en chef, Stephen Bannon, et le principal conseiller (et gendre), Jared Kushner, ont assisté aux réunions du Bureau Ovale et au déjeuner à la Maison Blanche. Entre temps, les avocats de Trump et son conseiller pour Israël, Jason Greenblatt, étaient à Jérusalem et Ramallah pour rencontrer le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas.
Parfois, les événements dans le monde sont curieusement et peut-être ironiquement prophétiques. Le voyage du roi Salman en Asie s’est terminé, la semaine dernière, par une visite de haut niveau en Chine, où, avec sa délégation de businessmen saoudiens, il était reçu par les dirigeants au plus haut niveau, et parvenait à des accords à hauteur de $65 milliards de dollars. Le 19 mars, Netanyahu arrivait à Beijing pour des discussions similaires. Le Premier ministre chinois, Li Keqiang lui rendait hommage en déclarant que « le peuple chinois et le peuple juif sont deux grands peuples du monde ».
Les lignes directives sont évidentes. Les affaires peuvent être la clé d’alliances politiques plus solides et l’Arabie saoudite et Israël ont plus en commun que la Maison des Saud veut l’admettre. Y aurait-il une transaction plus importante en vue ?
*Simon Henderson est un ancien chercheur au Baker Institute et le Directeur
du Gulf and Energy Policy Program au Washington Institute for Near East Policy.
Source : Foreign Policy
Traduction : Christine Abdelkrim-Delanne