La détermination de Barack Obama et l’action de pays autrefois marginalisés marquent l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère;
La résolution adoptée par le Conseil de sécurité sur la politique de colonisation israélienne en Palestine marque une vraie rupture, dont les diverses composantes sont occultées par des polémiques souvent destinées à égarer. Vient d’abord à l’esprit le sens politique de l’abstention américaine. Celle-ci apparaît comme l’aboutissement logique d’appels et de pressions vainement mis en œuvre depuis le début de son premier mandat par Barack Obama.
On peut certes considérer que ce dernier a été lent à conclure : mais c’est ignorer la forte contrainte exercée par d’actifs lobbys et la tradition d’alignement américain sur l’Etat hébreu. C’est oublier l’hypothèque que faisait peser le clan Clinton, dont on sait combien il était proche des dirigeants israéliens. C’est surtout méconnaître cette marque de la post-bipolarité qui renverse la vieille tradition en faisant du grand frère l’otage du plus petit et de ses turbulences.
Politique d’énonciation
Il fallait oser et Obama l’a fait, ce qui est à son honneur. Il l’a fait à sa manière, en se confiant davantage à une politique d’énonciation – et de dénonciation – qu’à une politique de force, montrant mieux que jamais ce qui le distingue de Poutine et de Trump. Les esprits chagrins s’interrogeront sur l’efficacité de la démarche. Ils auront raison de dire que l’acte accompli ne résoudra pas un conflit qui va bientôt devenir septuagénaire. On peut même ajouter que l’innovation est toute relative, car le droit international avait déjà condamné une politique de colonisation violente et injuste.
Mais cette diplomatie de l’énonciation n’est pas vaine : du discours du Caire, qui ouvrait son premier mandat, jusqu’à la résolution 2334, le président sortant a offert la première lecture d’un monde post-bipolaire, où le droit n’est plus appelé à se confondre avec la force, où l’allié peut avoir tort, où une puissance occidentale peut aussi donner raison à ceux qui, naguère, étaient en posture d’adversaire.
La méthode Obama a été marquée par la déconfiture du néoconservatisme, par la faillite d’un interventionnisme devenu réflexe diplomatique, par la prégnance des postures intransigeantes. Convaincu, bien avant ses partenaires occidentaux, que l’usage de la force relevait plus de la présomption que de l’efficacité, il a accrédité une diplomatie davantage ouverte à la fluidité des choix, à la capacité de l’énonciation et aux vertus de la négociation, genre qui avait disparu et que les dossiers iranien et cubain ont remis sur rail. Nétanyahou n’était pas en l’espèce le partenaire idéal pour une telle relance. L’acte onusien est arrivé à temps pour le rappeler et le fustiger.
L’effet de rupture ne s’épuise pas pour autant. L’énonciation, formalisée par une institution internationale et légitimée par un vote quasi unanime, a force délibérative de ce qui apparaît comme une communauté internationale. Les Nations unies annulent leur autorité en apparaissant comme un lieu d’expression de l’équilibre des forces. Elles atteignent un tout autre niveau de réputation quand elles expriment un sentiment consensuel qui vient incarner l’idéal d’une sécurité collective.
Dans un monde de communication et d’implication humaine, où les relations internationales ne sont plus la pleine propriété des seuls stratèges et autres monstres froids, une telle énonciation ne relève plus de la volatilité de simples paroles. Elle fixe un cadre que Donald Trump ne pourra pas ignorer, à défaut peut-être d’en comprendre pleinement la signification.
D’autant qu’une autre rupture mérite d’être prise en compte. Le débat du Conseil n’a pas été le fait des puissances habituelles, raidies dans leur statut de membres permanents, anciens cogérants d’un monde fini. Il a été initié par des Etats qu’on n’attendait pas : Malaisie, Nouvelle-Zélande, Sénégal, Venezuela montraient par leur volontarisme que la réputation de puissance n’est plus l’étalon de la capacité diplomatique. Le monde arabe s’est vite retiré du jeu : abandonnant son initiative, l’Egypte du maréchal Sissi a laissé paraître une diplomatie plus sensible aux pressions d’Israël et de Donald Trump qu’à la solidarité arabe. Que le champ libre fût ainsi donné à des Etats issus d’autres lieux que ceux de la puissance et de la guerre constitue un signal et peut-être un espoir de voir grandir cette diplomatie post-bipolaire.
La colère du gouvernement israélien est en partie liée à ce spectre nouveau, mais reste en grande partie feinte. Comment délivrer un brevet de sincérité à ceux qui présentent cette résolution comme » honteuse « , alors qu’elle ne prévoit aucune sanction et qu’elle appelle à mettre fin à des spoliations incessantes ? La force produit la force et, en réagissant par la menace, Tel-Aviv espère mobiliser les ressources d’une contre-attaque. De ce point de vue, les risques pour demain n’ont pas disparu.
Bertrand Badie
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