L’offensive de l’État islamique a eu pour conséquence, au printemps 2016, l’expulsion de la zone de sécurité de la frontière turco-syrienne des soi-disant « rebelles islamistes modérés » soutenus par la Turquie et les Etats-Unis. Ils ont cependant gardé un couloir d’environ 10-15 km sur la frontière entre Azaz et Quarah Koubri. Dans la période de Juin à Août 2016, les forces kurdes (YPG), commandées et formées par les officiers des Forces spéciales des États-Unis et soutenues par les tirs des avions américains ont établi une tête de pont à l’ouest de l’Euphrate et conquis de nouveaux territoires de l’État islamique, autour de Manbij.
L’intention initiale du Pentagone était que les forces de l’YPG continuent l’offensive vers le sud-ouest pour enlever à État islamique la ville de Al-Bab. Ce point est stratégique car il permet à la fois d’encercler les combattants de l’Etat islamique qui sont sur la bande frontière turco-syrienne, et aussi de diriger les forces kurdes vers la ville d’Alep. Seulement au cours de la visite du vice-président américain Joe Biden en Turquie, le chef des troupes américaines en Irak et en Syrie, le lieutenant-général Stephen Townsend, a ordonné la suspension de la distribution de munitions d’artillerie aux YPG et le retrait des soldats américains de la division YPG vers la caserne de Rmeilan située à 150 km à l’est de Manbij. On ne sait pas pourquoi les Américains, après la bataille pour Manbij, s’étaient convaincus que les YPG auraient la force combative pour mener à bien un tel plan. Le fait est que les Américains ont laissé les Kurdes à la merci de l’armée turque. Ce geste en dit long sur la loyauté des Américains et leur capacité à respecter leurs promesses pour la défense de certains alliés de l’OTAN. Avis aux amateurs !
Le matin du 24 Août 2016, l’armée turque a lancé l’opération « Euphrate Shield » dans le nord de la Syrie, dont le but est de créer une zone de sécurité d’une longueur de 100 km, en bordure de la frontière turco-syrienne, entre les villes de Azaz et Jarablus . Les responsables turcs disent que la Russie a été informée de l’action militaire dans la ville syrienne de Jarablus. Ce n’est pas un secret que l’invasion turque, qui n’a pas l’approbation du gouvernement légitime de Damas, a été conçue et coordonnée par les Etats-Unis. Les Américains ont profité du fait qu’après la réunion à Saint-Pétersbourg entre Vladimir Poutine et Recep Erdogan, le président russe a annulé l’arrêté d’abattre tout avion turc entrant en Syrie avec les missiles S-400. Cette ordonnance était entrée en vigueur le 24 Novembre 2015, lorsqu’un avion F-16 Turc avait abattu un bombardier Su-24 Russe sur le territoire syrien.
Cette invasion turco-américaine a lieu un mois après le putsch manqué dont le Président Erdogan affirme qu’il a été ourdi par les Etats-Unis et que c’est grâce à l’appui de la Russie qu’il a réussi à rester au pouvoir. Erdogan a ensuite visité l’Iran et la Russie, en disant qu’il voulait rétablir un partenariat économique et militaire avec les deux pays. Bien que les autorités turques aient déclaré qu’ils avaient informé Moscou à propos de l’opération autour de la ville de Jarablus, le colonel-général Valery Gerasimov, chef d’état-major général de l’armée russe fera une visite impromptue à Ankara le 30 Août 2016 pour obtenir des éclaircissements de la part de son homologue turc, le général Hulusi Akar.
L’opération militaire turque a commencé à 03.00 heure locale, avec le feu d’environ 80 pièces d’artillerie M114, obusiers automoteurs T-155, de calibre 155 mm (tous les deux), et des lance-roquettes T-122 cal. 122 mm, atteignant 70 cibles de l’État islamique autour de la ville de Jarablus. Simultanément à l’artillerie, huit F-16 turcs et des A-10 américains ont attaqué des cibles situées au sud-ouest de Jarablus. A l’aube, un bataillon de Forces spéciales turc (200-250 soldats) et deux à trois bataillons mécanisés, appartenant aux 20ème et 70ème brigades du 7ème Corps d’armée subordonné à la deuxième armée turque, ont franchi la frontière à l’ouest de Jarablus. L’avant-garde du dispositif turc était composé de 40-50 chars Leopard 2A4 et M60 T, avec 90 blindés légers ACV-15 (IFV).
Quelques heures après l’arrivée des Turcs, 1500 djihadistes dans des uniformes de l’Armée syrienne libre (ASL), s’échappent en embarquant sur des camionnettes Toyota armées de mitrailleuses. Ils faisaient partie d’un groupe de combattants 2000-2500 qui s’étaient retirés en Turquie il y a une semaine, en traversant la frontière pour fuir les zones d’opérations d’Alep et de Lattaquié, où ils étaient confrontés à l’armée nationale Syrienne. Les combattants de l’État islamique se sont donc retirés de Jarablus en direction d’Al-Bab, évitant tout engagement avec l’armée turque. Au Sud de Jarablus, les blindés turcs accompagnés de combattants d’ASL se sont trouvés face à face avec les militants kurdes qui leur ont opposé une faible résistance, puis ils ont pris les localités de Dashtan et Al shamel, pour ensuite continuer leur avance vers le sud.
La Turquie a obtenu l’accord des Etats-Unis que leurs anciens protégés, les militaires des forces kurdes (YPG) quitteraient la tête de pont créée à l’ouest de l’Euphrate, et que s’ils n’obtempéraient pas, l’armée turque les détruirait. Avec cet épisode, les Kurdes voient s’émietter leur rêve de créer un corridor reliant la frontière entre Afrin et Jarablus, leur permettant de créer un Etat kurde dans le nord de la Syrie. Il est très probable que l’armée turque continue son avance vers Al-Bab et de là, au nord vers Quarah Koubri pour détruire les groupes armés de l’État islamique en Syrie, sur une bande de frontière d’une longueur de 90 km et une profondeur de 50 km.
Quelles sont les évolutions possibles?
L’armée turque pourrait se limiter à la libération d’une bande de 90/50 km occupée par l’Etat islamique et YPG, laissant le contrôle de la zone libérée à l’armée nationale syrienne. Ensuite, elle se retirerait en Turquie. Mais, comme les troupes turques étaient accompagnées de combattants de l’ASL, cette hypothèse est peu probable, car la prise de ce territoire dans le nord de la Syrie permettra aux mercenaires d’attaquer le dispositif de l’armée arabe syrienne dans la région d’Alep, à l’est et au sud-est, coupant les communications avec le reste du pays.
Comme cela a été mentionné dans un article publié le 26 Février 2016, le » Groupe de choc » de la 2ème Armée turque, composée de 55000 hommes, est concentrée sur la frontière avec la Syrie et a trois brigades de chars, trois brigades mécanisées, deux brigades pour les opérations spéciales, plusieurs unités d’artillerie et une brigade d’aviation avec 110 hélicoptères (AH-1P/S/W, TAI/AgustaWestland T129, CH-47F, S-70A) [[i]]. La Turquie pourrait introduire la totalité de ce groupe en Syrie avec pour mission de mettre en œuvre le «Plan B» américain qui viserait en première instance le partage de la Syrie. Avec la défaite de l’Etat islamique et la conquête de leur capitale Raqqa, après la « libération » par l’armée turque des zones Nord, Centre et Est de la Syrie occupées par l’Etat Islamique, il pourrait y avoir temporairement la création d’un état sunnite, appelé Sunnistan. Englobant tous les champs de pétrole syriens, le nouvel état serait sous occupation turque qui exploiterait ces ressources syriennes.
Dans l’immédiat, les troupes d’occupation turques pourraient être remplacés par celles des Etats-Unis ou de l’OTAN. Dans ce cas, ce serait la deuxième phase de la mise en œuvre du Plan B en intégrant la plupart des groupes de mercenaires, de l’Etat islamique et des soi-disant «modérés» contrôlés par les Etats-Unis. De cet avant-poste appelé Sunnistan, la nouvelle armée de mercenaires et les troupes américaines seraient en mesure de mener des raids dévastateurs contre l’armée nationale syrienne et la base russe de Lattaquié. L’armée arabe syrienne serait submergée par le nombre et la technologique du nouvel ennemi et sera vaincue très rapidement. L’objectif que les États-Unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Grande-Bretagne, la France et la Turquie poursuivaient depuis cinq ans sera enfin atteint, c’est-à-dire le renversement de Bachar Al-Assad et l’installation à Damas d’une marionnette avec un gouvernement salafiste, contrôlé par les États-Unis.
Une autre conséquence serait que, après le remplacement de l’armée turque par l’armée américaine au Sunnistan, le rôle de Recep Erdogan serait terminé et il deviendrait indésirable. Ainsi, une fois qu’il aura été utilisé pour faire le jeu de la Maison Blanche en Syrie, les Américains pourraient éliminer Erdogan en fomentant un nouveau coup d’Etat par l’armée turque.
Traduction Avic – Réseau International
[i] Quel serait le plan B en Syrie ? ( https://reseauinternational.net/quel-serait-le-plan-b-en-syrie/).
En savoir plus sur https://reseauinternational.net/erdogan-contraint-de-mettre-en-oeuvre-le-plan-b-des-etats-unis-syrie/#LkJw6S34Dgd1IPr3.99