Si André Breton n’avait déjà fait le travail, en observant les relations entre la France et le Qatar, nous pourrions écrire quelques pages intitulées « L’Amour fou ». En dépit de l’implication de la dictature de Doha dans le soutien tout azimut au jihadisme, Hollande et Valls, en tandem, ont pris dès 2012 le relais de Sarkozy dans l’exécution d’une politique immuable : tout ce qui tombe du Qatar est béni.
Aujourd’hui ce sont les 291 hectares de Grignon, une ferme école vieille de deux siècles, près de Poissy en Ile de France, que l’Elysée entend brader aux pétrodollars de la famille Al Thani, celle de roitelets sans lois dont le trône est une miraculeuse poche de gaz.
Tout le gouvernement français est mobilisé pour, en tordant le cou à la loi, attribuer ce très riche morceau de plaine, et le château planté dessus, à l’émir qui viendrait là voir pousser le gazon. Manœuvre frauduleuse et difficile puisque nous ne sommes plus en ces temps bénits où l’habile propagande des médias sponsorisés avait fini par nous faire croire que le Qatar était le poste le plus avancé de « l’islam éclairé » dans le monde, un exemple de démocratie. Le temps n’est donc plus à donner le bon Dieu sans confession au satrape bien aimé : des lanceurs d’alerte veillent, par exemple ceux du « Collectif pour le Futur du site de Grignon ».
Cette braderie à la sauvette, souhaitée par Hollande et le clan néoconservateur qui l’entoure, est la conséquence d’une délocalisation. L’école d’agriculture quitte Grignon tout comme les instituts de recherche installés dans son sein qui travaillent sur une agriculture vraiment verte, « raisonnée ». Restent les 120 hectares d’une ferme en or, intramuros, et les 171 autres attenants qui, avec un peu de magie, pourraient un jour devenir le cœur d’une ville nouvelle. Pourquoi pas…
En attendant le gros lot de ce placement dans la pierre, comme sous-marin du Qatar, c’est sa filiale, le PSG qui a manifesté son intérêt pour Grignon. On y ferait pousser des terrains de foot, des maisons de repos pour athlètes, bref un Disney World du sport. Quel que soit le prestige du PSG auprès de l’Elysée, la pilule était trop grosse, pour bien jouer au foot 291 hectares de terre à blé et betterave sont-ils vraiment nécessaires ?
Débusqué, le PSG doit rentrer bredouille aux vestiaires et le vrai maître se dévoiler : Tamin al-Thani, l’émir du Qatar veut débarrasser la France de cette terre qui lui colle aux pieds. Mais comment faire pour éviter les stupides appels d’offre, avec enquêtes afférentes, et autres paperasseries ? Pas difficile pour les magiciens du ministère du Budget. Et là je réclame votre attention tant les artistes sont éblouissants. Une loi « Sapin 2 » (du nom du ministre du budget), vient d’être votée, un texte « anticorruption » (ne riez pas). A cette loi mains propres, les amis du Qatar, sans doute sartriens, entendent donner tout de suite les mains sales. Le 2 juin, en douce, un article 15 est glissé en addenda à la loi. Les observateurs n’y voient que du feu. Ces quelques lignes donnent une dérogation au Code général de la propriété publique à l’INRA et à l’Ecole AgroParis Tech. Ça tombe bien, ce sont les gestionnaires de Grignon ! Le Qatar va bientôt pouvoir planter ses choux contre 35 millions d’euros, même pas le prix d’un bon joueur du PSG.
Malchance, par un sursaut jusque-là inconnu dans son sage sommeil, le Sénat retoque l’addenda si utile. Comme il y a urgence, le gouvernement a déjà sommé Bartolone, l’exemplaire président de l’Assemblée nationale, de repasser le plat au plus vite devant les députés. Pour l’instant le suspense demeure et les 26 000 pétitionnaires défendant Grignon sont dans l’incertitude. Comment faire confiance à des élus qui, presque tous ont fait le voyage initiatique à Doha, comme d’autres à Canossa. Comment faire confiance à Gérard Larcher, le président du Sénat alors que des dizaines de photos le montrent en train de se goberger à l’ambassade du Qatar … Et accorder foi à Bartolone qui a reçu l’émir au Palais Bourbon avec un protocole réservé à la Reine d’Angleterre.
Dommage en effet que tout cela n’aille pas plus vite. A Grignon les hommes de Doha seraient proches de cette jeunesse qu’elle aime tant, celle qui est priée d’observer les préceptes jihadistes de l’excellent imam Qaradawi, le « Pape » du wahhabisme qatari.
Jacques-Marie Bourget
22 août 2016
Source : Proche et Moyen-Orient.ch
https://prochetmoyen-orient.ch/qatar-lamour-fou/
Photo : Après tant d’autres actifs français de prestige, la maison Balmain tombe aux mains de la famille régnante du Qatar.