La coalition arabe conduite et financée par Riyad a été placée par l’Onu sur sa liste noire des pays violant les droits des enfants. Ban Ki-moon l’accuse de la mort de centaines de mineurs au Yémen depuis mars 2015.
Ban Ki-moon a placé jeudi la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite sur sa liste noire des pays violant les droits des enfants. Le secrétaire général des Nations unies l’accuse de la mort de centaines de mineurs au Yémen, où plus de 6 400 personnes ont été tuées depuis mars 2015.
Les rebelles chiites Houthis, qui contrôlent la capitale yéménite Sanaa, ne sont pas pas en reste. Ils sont eux aussi épinglés dans le rapport annuel de l’ONU qui détaille le sort des enfants victimes de conflits armés en 2015 dans 14 pays.
« Dans plusieurs situations de conflit, des opérations aériennes ont contribué à créer un environnement complexe où de nombreux enfants ont été tués et blessés », a déploré Leila Zerrougui, la représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés de l’ONU.
« La situation au Yémen s’est montrée particulièrement préoccupante avec une multiplication par cinq du nombre d’enfants recrutés (pour participer aux combats) et six fois plus d’enfants tués et blessés par rapport à 2014 », souligne le bureau de la représentante dans un communiqué.
La coalition menée par l’Arabie saoudite pour lutter contre les Houthis est responsable à 60 % du bilan de 785 enfants tués et de 1 168 mineurs blessés l’an dernier au Yémen, selon le rapport.
Sur les 762 cas de recrutements d’enfants soldats recensés par l’ONU, le rapport en attribue 72 % aux Houthis, 15 % aux forces pro-gouvernementales et 9 % à Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa).
Catastrophe humanitaire
Pilotée par Ryad, la coalition arabe a lancé fin mars 2015 une campagne militaire contre les rebelles, accusés de liens avec l’Iran chiite, pour stopper leur avancée dans le sud du Yémen. Ces derniers, alliés aux partisans de l’ex-président déchu Ali Abdallah Saleh, ont pris le contrôle de larges territoires du pays.
L’ONU met régulièrement en garde contre une « catastrophe humanitaire » dans ce pays pauvre de la Péninsule arabique. Elle estime que 2,8 millions d’habitants ont été déplacés en un peu plus d’un an.
Le 29 mai, le chef de la diplomatie britannique Philip Hammond, en tournée dans la région du Golfe, s’était félicité des « progrès » dans les négociations de paix interyéménites, estimant qu’une solution à la crise au Yémen ne pourrait être que politique.
Un rapport qui embarrasse les marchands d’armes occidentaux
Un précédent rapport onusien sur la guerre au Yémen décrit des violations du droit international humanitaire de la part, entre autres, de l’Arabie saoudite, à laquelle le Canada veut vendre des véhicules blindés pour 15 milliards de dollars. Le document soulève aussi des questions sur la possibilité que des armes canadiennes se retrouvent entre les mains de groupes islamistes radicaux.
Dans le rapport déposé au Conseil de sécurité de l’ONU, et obtenu par Radio-Canada International, un panel évoque des violations généralisées et systématiques du droit international humanitaire. Celles-ci auraient été commises par la coalition menée par l’Arabie saoudite – comprenant le Bahreïn, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et le Soudan – ainsi que par ses opposants soutenus par l’Iran.
Le panel aurait documenté des frappes aériennes menées par la coalition contre des cibles civiles, incluant des camps de réfugiés et de déplacés, des rassemblements, des véhicules civils, des zones résidentielles, des installations médicales, des écoles, des mosquées, des marchés, l’aéroport de la capitale Sanaa, un port et des routes.
Selon le rapport, le panel a documenté 119 sorties faites par la coalition et associées à des violations du droit international humanitaire. Le document indique que « des armes explosives larguées depuis les airs » ont causé 60 % des décès et des blessures de civils dans le conflit au Yémen.
D’autre part, le panel onusien rapporte avoir vu des images de combattants de la résistance à Taïz, prétendument affiliés à un groupe salafiste, en train d’utiliser des véhicules blindés similaires à ceux utilisés par la coalition. Il évoque « le risque que des mesures d’imputabilité laxistes de la part de la coalition et du gouvernement légitime du Yémen aient pu causer le détournement d’armes vers des groupes radicaux et le marché noir ».
Des crimes contre l’humanité?
Dans le document, il est recommandé par ailleurs la tenue d’une commission internationale d’enquête sur les violations présumées.
Celles-ci pourraient constituer des crimes de guerre, selon un ancien procureur de l’ONU au tribunal de La Haye, Payam Akhavan. Celui qui enseigne aujourd’hui le droit international à l’Université McGill évoque même de possibles crimes contre l’humanité, en raison de la nature « généralisée et systématique » des violations.
À la lumière du rapport, M. Akhavan estime qu’une enquête est nécessaire, comme celle recommandée par le panel onusien.
Le gouvernement canadien a souvent dû justifier l’envoi de matériel militaire à l’Arabie saoudite. En vertu de ses contrôles sur l’exportation, le Canada doit s’assurer que les ventes d’armes sont soigneusement examinées et que les considérations relatives aux droits de la personne sont prises en compte.
La porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière d’affaires étrangères s’inquiète des conclusions du rapport. Hélène Laverdière presse le premier ministre Justin Trudeau de dévoiler l’évaluation menée par les fonctionnaires fédéraux avant d’autoriser la vente de véhicules blindés aux Saoudiens. Selon elle, il importe de connaître les mesures que le Canada a prises pour s’assurer de ne pas contribuer aux gestes reprochés dans le rapport.
Des officiels d’Affaires mondiales Canada ont refusé de commenter la question en indiquant qu’ils n’avaient pas vu le rapport complet.
Un porte-parole du ministère, John Babcock, a toutefois fait valoir que les contrôles à l’exportation du Canada pour les biens militaires et stratégies sont parmi les plus serrés au monde. « Le Canada surveille étroitement les droits de la personne en Arabie saoudite et soulève constamment les préoccupations qui y sont relatives auprès de hauts responsables saoudiens », a affirmé M. Babcock dans une déclaration.
Le porte-parole conservateur en matière d’affaires étrangères, Tony Clement, dont le gouvernement sous Stephen Harper a conclu la vente avec les Saoudiens, a aussi décliné une demande d’entrevue.