L’auteur de ces lignes a connu Mohamed Sifaoui à Alger, dans les années 1990, en pleine décennie sanglante d’une guerre civile qui a fait quelques 200 000 victimes. Alors pigiste pour plusieurs quotidiens algérois, celui-ci était – comme nombre de ses confrères – l’objet de menaces proférées par les terroristes du FIS (Front islamique du salut) et des GIA (Groupes islamiques armés).
Grâce à plusieurs aides, il a pu se réfugier à Paris en 1999 où il a continué à enquêter sur les islamistes algériens et leurs réseaux français. Il signera plusieurs reportages télévisés de bonne facture, notamment l’histoire d’une infiltration d’associations et de librairies des Frères musulmans implantés dans la région lyonnaise. Son succès d’estime l’entraîne à réaliser quelques documentaires plus contestables sur « les traces d’Oussama Ben Laden », où la rigueur cède de plus en plus au spectaculaire fabriqué…
Mais, les médias parisiens, notamment les chaînes de télévision d’information continue, raffolent des expertises binaires et adaptées à l’immédiateté des plateaux. Mohamed Sifaoui devient un « expert du terrorisme ». Dernièrement, le magazine Télérama a fait œuvre de salubrité publique en décortiquant le contenu de cette « expertise », dont celle de Mohamed Sifaoui, homme de plateaux « très controversé », selon l’hebdomadaire qui ajoute : il « se vantait de savoir où avait été enterré la petite Estelle Mouzin et a encore fait la tournée des plateaux le 22 mars (C dans l’air, BFM-TV, Europe 1, RTL, etc.) ». D’autres exemples pourraient être cités, toujours est-il que Mohamed Sifaoui ne cesse plus de colporter se idées arrêtés sur le terrorisme islamistes, la Qaïda, Dae’ch et tous les méchants du monde.
En consultant averti, il s’essaie à la géopolitique en comprenant bien qu’il faut contenter le client. S’inspirant de Frédéric Encel, d’Antoine Basbous et d’autres thuriféraires de la politique israélienne, il multiplie les prises de position mainstream, allant dans le sens de la doxa dominante. Un Arabe, pro-israélien : le succès est assuré ! Il devient conférencier, se livrant à d’étranges prestations à l’invitation, notamment de l’Association culturelle juive des Alpilles (ACJA), toujours pour parler du « terrorisme » et de l’Orient compliqué. Dernièrement, il participe à un débat organisé par l’Association Keren Hayessod – qui milite pour la promotion des priorités nationale de l’Etat d’Israël – à Marseille. Tout un programme !
Selon La Provence du 23 mai 2016, en compagnie de Richard Prasquier – président d’honneur du CRIF -, Mohamed Sifaoui dit toute son « indignation » après le vote par la France d’une résolution de l’UNESCO ayant trait aux droits des Palestiniens concernant l’Esplanade des mosquées de Jérusalem. Interview : « Je partage cette colère (celle de Richard Prasquier[1]) car cette réécriture de l’histoire est d’autant plus inconcevable qu’elle émane de la République française. La France a pourtant toujours eu une attitude équilibrée, y compris sur les deux Etats qui doivent être légitimés dans leur existence et leur culture et doivent vivre pacifiquement côte à côte. Cela peut paraître idéaliste, mais il semble très difficile aujourd’hui pour israël de trouver des interlocuteurs sérieux. Cela offre un terrain d’expression aux extrémistes. Je suis curieux de voir comment le gouvernement va se sortir de cet incroyable imbroglio ». Le Quai d’Orsay va certainement très bientôt consulter cet expert himalayen de la question palestinienne…
Mais notre grand historien de l’histoire de Jérusalem d’ajouter : « nous sommes dans une supercherie où des démocraties comme Israël sont mises au ban par des Etats non démocratiques avec l’aval de pays comme la France ». A l’évidence, Mohamed Sifaoui ne lit pas bien les journaux ! Nous l’invitons à séjourner dans quelques camps palestiniens de la Cisjordanie occupée ou dans la bande de Gaza pour apprécier à sa juste mesure les comportements de l’armée israélienne. Ceux-ci témoignent quotidiennement de l’occupation, la répression et la colonisation « démocratiques » dont il fait l’éloge. Et sur la photo accompagnant l’interview de La Provence, on peut voir côte à côte et hilares Mohamed Sifaoui, la présidente de Keren Hayessod et Richard Prasquier. Depuis qu’on le connaît, Sifaoui a pris du ventre, certainement pas seulement à cause de la bouillabaisse marseillaise…
Comme le laissait clairement entendre Télérama, il est vrai qu’avec ce genre d’experts, on risque de ne pas beaucoup progresser, ni dans la compréhension du terrorisme, ni dans celle des crises des Proche et Moyen-Orient. Quant à la l’honneur et la dignité, c’est une toute autre question…