Selon les journalistes du Los Angeles Times basés à Amman en Jordanie, les milices syriennes armées respectivement par le Pentagone et la CIA se combattent dans les plaines entre la ville d’Alep et la frontière turque. Les combats se sont intensifiés pendant les deux derniers mois, alors que les factions opposées tentaient de contrôler le territoire au nord d’Alep. L’information est confirmée par les responsables américains et par les chefs rebelles eux-mêmes.
À la mi-février la milice Fursan al-Haq armée par la CIA a été chassée de la ville de Marea, à environ 20 miles au nord d’Alep par les « Forces démocratiques syriennes » (FDS) armées par le Pentagone qui se dirigeaient des zones kurdes qu’elles contrôlaient, vers l’est. « Nous combattrons toute faction qui nous attaque, quels que soient ceux qui les soutiennent, nous les combattrons » a déclaré Fares Bayoush, un dirigeant de Fursan al- Haq.
Les combattants rebelles ont décrit des confrontations similaires dans la ville d’Azaz, un point clef de transit pour les combattants et les approvisionnements entre Alep et la frontière turque, et le 3 mars à Alep, dans la banlieue de Cheikh Maqsud.
Les combats entre groupes soutenus par les Américains se poursuivent durement en Syrie et illustrent la difficulté de Washington à coordonner les dizaines de groupes armés qui sont en train d’essayer de renverser le gouvernement du président Bachar al-Assad, combattent État islamique et se battent entre eux.
« C’est un énorme défi », reconnaît Adam Schiff, chef démocrate du Comité des Renseignements du Congrès américain qui décrit le conflit entre les factions comme « un phénomène tout à fait nouveau ». Cela fait partie, dit-il du jeu d’échec à trois dimensions qu’est le champ de bataille syrien.
La zone au nord de la Syrie autour d’Alep, la seconde ville du pays, est non seulement témoin d’une guerre entre le gouvernement et ses opposants, mais également de batailles périodiques contre État islamique qui contrôle une grande partie de l’est syrien et quelques territoires au nord-ouest de la ville. On constate des tensions soutenues entre les tribus qui habitent la zone – arabes kurdes et turkmen.
« C’est une guerre compliquée, à plusieurs camps, où nos options sont très limitées », estime un responsable américain qui, selon le L.A. Times n’est pas autorisé à parler publiquement. « Nous savons que nous avons besoin d’un partenaire sur le terrain. Nous ne pouvons pas battre IS/ISIL sans cette donnée de l’équation, nous continuons d’essayer d’établir ces relations ».
Le président Obama a autorisé, ce mois-ci, un nouveau plan du Pentagone pour entraîner et armer les rebelles syriens, relançant le programme qui avait été suspendu en automne après une série de revers embarrassants, dont l’embuscade et l’arrestation de recrues dont toutes les munitions et véhicules lourds fournis par les États-Unis, sont tombés dans les mains d’une branche d’al-Qaeda.
Parmi ces revers, le Pentagone a déployé, à la fin de l’année, environ cinquante membres des Opérations spéciales dans les zones kurdes au nord-est de la Syrie pour mieux coordonner les milices locales et s’assurer que les groupes rebelles soutenues par les États-Unis ne se battent pas entre eux. Mais ces accrochages restent monnaie courante.
L’année dernière, le Pentagone a participé à la création d’une coalition militaire, les Forces syriennes démocratiques (FSD). L’objectif était d’armer le groupe et de le préparer à prendre le territoire contrôlé par État islamique dans l’est de la Syrie, et de fournir des informations pour les frappes aériennes américaines. Le groupe est dominé par des groupes kurdes connus sous le nom d’Unités de protection du peuple. Quelques unités arabes ont rejoint la force pour l’empêcher de ressembler à une armée kurde d’invasion et a reçu des largages de matériel et d’assistance des Forces spéciales américaines.
Le général Joseph Votel, aujourd’hui commandant du Commandement américain des forces spéciales et futur chef du Commandement central, a confirmé que les FSD sont à 80% composées de Kurdes. Le soutien américain pour l’armement lourd kurde a été un point de tension avec le gouvernement turque qui a, au cours de l’histoire, écrasé à de nombreuses reprises les rébellions kurdes, et ne veut pas voir les unités kurdes contrôler plus que sa frontière sud.
La CIA, pendant ce temps, a son propre centre d’opérations en Turquie d’où il envoie de l’aide aux groupes rebelles en Syrie, leur fournissant des missiles anti-tanks TOW venant des stocks d’armes d’Arabie saoudite. Tandis que les actions du Pentagone font partie d’une opération officielle des États-Unis et leurs alliés contre État islamique, le soutien de la CIA aux milices est un plan secret visant à maintenir la pression sur le gouvernement d’Assad dans l’espoir de l’affaiblir à la table des négociations.
Au début, les deux factions combattaient dans des zones syriennes bien séparées – les Forces FSD du Pentagone dans le nord-est, et les groupes de la CIA très à l’ouest. Mais, au cours des derniers mois, les frappes aériennes russes contre les combattants anti-Assad au nord-ouest les ont affaiblis. Ce qui a créé une ouverture permettant aux groupes kurdes d’élargir leur zone de contrôle des environs d’Alep, poussant les deux groupes à des affrontements plus fréquents.
« Le fait de se battre pour des territoires autour d’Alep montre la difficulté pour les Américains, de gérer ces affrontements très locaux et dans certains cas, retranchés », dit au LA Times Nicholas A. Heras, un expert de la guerre civil syrienne au Center for a New American Security (Centre pour une nouvelle sécurité américaine), un think-tank basé à Washington. « Empêcher les confrontations est l’un des sujets récurrents dans le bureau des opérations conjointes avec la Turquie ».
Au fil de la guerre civile en Syrie, la ville de Marea s’est trouvée sur la ligne de front des offensives d’État islamique pour traverser la province d’Alep vers le reste du nord de la Syrie. Le 18 février, les FSD ont attaqué la ville. Selon un combattant de la brigade Suqour al-Jabal, un groupe lié à la CIA, des officiers du renseignement de la coalition conduite par les Américains pour combattre État islamique savaient que leur groupe s’était affronté avec les milices entraînées par le Pentagone.
« Le MOM savait que nous les combattions », dit-il, se référant au centre des opérations conjointes au sud de la Turquie en utilisant l’abréviation de Musterek Operasyon Merkezi. « Nous combattrons tous ceux qui veulent diviser la Syrie ou faire du mal au peuple », déclarait le combattant sous anonymat.
Marea abrite de nombreux combattants islamistes parmi les premiers qui ont pris les armes contre Assad lors du « Printemps arabe » en 2011. La ville a longtemps été un point de passage crucial pour l’approvisionnement et les combattants allant de Turquie à Alep. « Les tentatives des FSD pour prendre Marea sont une grande trahison et sont considérées comme un autre exemple de la conspiration kurde pour les repousser des territoires arabes et turkmen », explique A. Heras.
Selon certains experts, les combats entre les différentes factions soutenues par les Américains sont, peut-être, inévitables. « Les combats rendent fous les responsables américains et turcs », ajoute-t-il. Après les pressions diplomatiques américaines, les milices se sont retirées des banlieues de la ville en signe de bonne volonté. « Une fois la frontière franchie, vous perdez une quantité substantielle de contrôle ou de capacité à contrôler leurs actions », dit Jeffrey White, ancien responsable de l’Agence militaire de renseignement (DIA), interviewé par le L.A. Times. Il y a de fortes chances pour que cela devienne un problème plus grave quand les gens se battent pour le territoire et le contrôle de la zone de la frontière au nord d’Alep. »
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
Source L.A. Times https://www.latimes.com/world/