Le premier ministre français Jean-Marc Ayrault s’est rendu au Maroc en éclaireur, les 12 et 13 décembre. Il était chargé de déminer la voie à François Hollande, attendu mi-janvier dans le royaume chérifien. Il sera le premier président de la Ve République à consacrer sa première sortie officielle au Maghreb à Alger plutôt qu’à Rabat. Pour ne pas froisser la susceptibilité marocaine, à vif lorsqu’il s’agit de son voisin de l’est, François Hollande, rompu à l’art de la synthèse, avait pris les devants en invitant à l’Élysée, et en le faisant savoir, le roi Mohammed VI qui se trouvait opportunément en visite privée à Paris en mai 2012.
Jean-Marc Ayrault ne s’en est pas si mal sorti. Pour écarter toute surprise, il s’est placé d’emblée sous le parapluie royal. Pour le roi, « c’est une évidence que la France doit avoir de bonnes relations avec l’Algérie et ça ne pose aucun problème que le président [Hollande] effectue une visite en Algérie et au peuple algérien ». « Pour lui ça n’a pas d’incidence, car il connaît la force de nos relations », a-t-il ajouté tout en nuances, en gommant l’épineuse question du calendrier. « La France et le Maroc sont unis par un partenariat d’exception. Le partenariat entre la France et le Maroc est singulier et n’a rien à craindre d’un dialogue plus étroit entre Paris et Alger », a-t-il martelé en diverses occasions.
Passée cette délicate épreuve, Jean-Marc Ayrault s’est concentré sur le cœur de son sujet : la promotion des relations économiques et commerciales bilatérales. Il était d’ailleurs accompagné de huit ministres, dont les poids lourds de son gouvernement : Laurent Fabius (Affaires étrangères), Manuel Valls (Intérieur) et Arnaud Montebourg (Redressement productif), ainsi que de la porte-parole du gouvernement, la Franco-Marocaine Najat Vallaud-Belkacem. Si l’Espagne est passée ces derniers mois devant la France en tant que premier fournisseur du royaume, Paris peut compter sur de solides appuis : plus de 700 sociétés très actives, employant plusieurs milliers de salariés locaux dans le secteur emblématique des technologies de l’information et de la communication (Tic) et des plate-formes de service. La maladroite déclaration d’Arnaud Montebourg l’été dernier sur une éventuelle relocalisation de certaines d’entre elles en France avait jeté un froid, mais le choc fut rapidement surmonté. Les principales entreprises françaises de service : EDF, GDF, Veolia, etc. ont leur antenne dans le pays.
L’installation il y a deux ans à Tanger d’une usine Renault, qui produira à terme 400 000 voitures à bas coût destinées en majorité à l’exportation, a marqué un tournant dans ces relations. Par ailleurs, le courant touristique ne s’est jamais tari entre les deux pays. Il est marqué depuis des années par un « exode » de retraités hexagonaux qui trouvent au Maroc un cadre de vie agréable et moins cher. Le « séminaire intergouvernemental », qui se tient tous les deux ans depuis 1997, s’est achevé par la signature de nouveaux partenariats d’un montant de 280 millions d’euros.
Concernant l’avenir, Jean-Marc Ayrault a plaidé à Casablanca, devant des chefs d’entreprises français et marocains, en faveur de la « colocalisation », qu’il a qualifiée de « démarche gagnant-gagnant », en l’opposant à la délocalisation. « Une colocalisation industrielle, si elle résulte d’une analyse fine de la valeur ajoutée sur toute la chaîne de production et les avantages compétitifs de chaque site, peut être bénéfique et soutenir l’activité des deux côtés de la Méditerranée », a-t-il expliqué.
Le dossier politique (droits de l’homme et Sahara Occidental) a été laissé aux chefs d’État. Mais le premier ministre islamiste Abdelilah Benkirane a levé un coin de voile en indiquant à son homologue : « Nous sommes d’une tendance politique dont vous n’avez pas l’habitude » ; « les gens n’ont pas voté pour nous pour notre barbe, mais parce que nous allons être un peu plus sérieux dans la gestion des affaires publiques ». « Je ne vais pas vous dire que notre système est parfait », a-t-il ajouté, en soulignant que les Européens devaient « prendre les choses comme ça […]. Nous ne sommes pas une copie de la France […], nous sommes de très bons amis, on se donne la main, mais nous sommes le Maroc ».