Trois questions à Rudolf el Kareh, sociologue, spécialiste du Moyen-Orient
1 – Comment lisez-vous la crise née du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien ?
Rappelons le contexte. Il s’agit de la violation et du reniement d’un accord international, et de la résolution du Conseil de sécurité qui l’endosse, par l’une des parties signataires : les Etats-Unis. La balle a depuis été ramenée dans le camp des autres signataires, et notamment les membres européens du Conseil de sécurité, avec l’Allemagne.
L’Union européenne fait donc face à une situation historique inédite : elle est confrontée à un prédateur impérial brutal prêt à tout pour maintenir sa prééminence mondiale, y compris à dévorer ses propres amis – n’oublions pas que les Etats-Unis ont voulu déclarer une guerre commerciale à l’Europe…
L’accord sur le nucléaire était un accord win-win. Or, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le nucléaire, qui ne sont autres qu’un prétexte, les Etats-Unis – sous l’égide de Donald Trump – remettent en cause non seulement cet accord mais presque tous les traités qui ont permis de réguler, durant les cinquante dernières années, les relations internationales.
Trump viole, outre cet accord avec l’Iran, les principes et les règles du droit international. Il suffit de voir ce qu’il a fait sur Jérusalem, la Palestine ou la Corée du Nord, et peut-être demain sur le Golan syrien occupé.
L’enjeu dépasse le nucléaire iranien mais il est existentiel pour l’UE. Celle-ci est confrontée à un défi crucial : avoir une présence politique qui se distingue de la politique américaine et atlantiste. Ce qui est requis aujourd’hui, c’est une position européenne commune, sur la base des principes édictés par les lois internationales et la charte de l’Onu, ainsi qu’une autonomie de l’Union européenne en matière de politique étrangère.
2 L’Union européenne ne se retrouve-t-elle pas coincée entre les risques de sanctions américaines et les demandes de garanties iraniennes ?
Non. Les demandes de l’Iran sont légitimes pour éviter que l’accord ne soit vidé de son contenu. L’Europe a les ressources suffisantes pour prendre son autonomie par rapport à l’hégémonie américaine.
La question consiste à savoir si le personnel politique est capable de prendre la mesure de cet enjeu et de relever ce défi existentiel consistant à construire une autonomie européenne. C’est une occasion historique pour l’Union d’affirmer son indépendance.
La crise d’aujourd’hui est plus qu’existentielle, elle est morale : si les Européens plient devant les Américains, cela signifie qu’ils reconnaissent la prééminence de la force et de la violation du droit. Auquel cas l’Union européenne n’aurait plus de raison d’être et elle ne serait plus qu’une entité politique informe sur la scène internationale, à la remorque des Etats-Unis.
Cela provoquerait une aggravation des crises internationales car la confrontation des Etats-Unis serait plus brutale encore avec la Russie et la Chine. Or, si l’Europe avance de façon autonome, dans une concertation globale avec Moscou et Pékin, elle contribuerait à apaiser les relations internationales et les Etats-Unis devraient calmer leur jeu.
3 Dans la pratique, comment l’Union européenne peut-elle faire pour parvenir à une plus grande autonomie ?
Les Etats de l’Union doivent se réunir immédiatement, affirmer et unifier leurs positions, en s’adossant aux règles et aux principes édictés par la Charte de l’Onu et aux règles du droit international.
L’Union européenne doit s’opposer à ce genre de violation, surtout qu’en l’occurrence, l’AIEA vient encore d’affirmer clairement que l’Iran respectait intégralement ses engagements. Il est grand temps que l’Union se réveille pour défendre ses propres intérêts. Et qu’elle se confronte aux Etats-Unis, amicalement mais franchement, qu’elle leur dise qu’elle se dissocie de cette politique brutale. C’est son existence même qui est en jeu. V.B.
La Libre Belgique
https://www.lalibre.be/s/art/5b085dfb553291b801408491
Publiée avec l’aimable autorisation de l’auteur